Chapitre 2

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Le calme revenait dans la vie des parents. En tant que nourrissons, tu t'en doutes, il n'y avait rien de plus important que manger, chier et pleurer.

Bien sûr, il a fallu du temps pour que le calme revienne. Depuis le jour où nous étions réapparus chacun devant la porte de nos créateurs, la période des fêtes tournait autour de nous.

"Miracle ou mise en garde ?" ; "Pourquoi cette soudaine réapparition ?" ; "Qui sont les kidnappeurs grecs ?" Ouais. Pas très futés comme tu peux le penser.

Le FBI a vite étouffé l'affaire car "les enfants ont chacun étés retrouvés sains et sauf chez leurs parents respectifs et donc l'affaire est close."

Bande d'idiots. S'ils avaient agi comme il le fallait, ils auraient pu éviter l'apocalypse huit ans plus tard. J'y reviendrai dans un moment.

Depuis les retrouvailles avec mes parents, j'ai été chéri comme un roi par ma mère, car je ne voyais mon père que très peu dans l'année. Et quand je dis très peu, c'est l'affaire de quelques jours voir une semaine si la chance pointait le bout de son nez. De ce fait, la plupart des choses que je te raconte à son sujet m'ont étés racontés par ma mère.

Les jours où mon père revenait, on devenait la famille modèle. Ma mère qui se levait tôt le matin pour faire bien plus de pancake qu'il n'en faut. La quantité, c'était son point faible.

"- Si on te donnait une école à nourrir, tu ferais disparaître la faim dans le monde," disait mon père.

Elle se mettait à rire et mon père entourait son bassin de ses bras pendant que j'expulsai le sirop d'érable de sa bouteille.

Ces jours-là, c'était mon père qui m'emmenait à l'école dans sa grosse berline noire. J'adorai ces moments parce qu'il me laissait aller devant, même si mes yeux ne parvenaient à apercevoir ne serait-ce que les arbres.

J'adorais ce moment quand il sortait et m'ouvrait la porte comme s'il était Alfred - en bien plus jeune - et moi le richissime Bruce Wayne. Je me sentais important, même si rien de spécial ne se passait vraiment.

J'avais beau être le fils du grand Adam Lane, mes notes ne connaissait que la lettre B. Mes parents en étaient assez satisfaits. Ils préféraient que je sois moyen et calme plutôt que nul et fouteur de merde. En bref, des parents modèles.

Tu te doutes bien que ça n'a pas duré longtemps pour que j'en sois à détruire le dernier humain sur Terre. En vrai, je ne sais même pas pourquoi j'écris ces lignes alors que je sais que je suis le dernier. J'ai fait plusieurs fois le tour de la planète donc, je sais de quoi je parle. Je pense que c'est surtout pour moi, si un jour, je me retrouve à perdre la boule et penser que j'aurais dû laisser une chance à ce qui restait de l'humanité.

Comme je te disais, il n'a fallu que quelques années depuis mes premiers cours à l'école. Deux ans pour être exact. Une semaine plus tard, j'allais avoir cinq ans et mon père serait revenu, me faisant tourner dans ses bras comme une pale d'hélicoptère.

Le bonheur comme il aurait dû l'être. Le week-end précédent son arrivée, je me trouvais devant la télé à chercher la chaîne sur laquelle passait Bob l'éponge pendant que ma mère faisait comme tous les samedis un gâteau au chocolat. Celui-ci ressemblait plutôt à une pièce montée pour le mariage de, je ne sais qui.

Je tapai sur la télécommande de plus en plus fort. Celle-ci décidait elle-même quand on pouvait changer de chaîne. Ma mère qui regardait patiemment le four, adossée à l'évier, torchon dans ses bras croisés, m'avait averti une première fois d'y aller doucement sur la télécommande.

Je l'entendais sans l'écouter, Bob l'éponge était mon dessin animé préféré. Je ne pouvais me permettre de rater ne serait-ce qu'un épisode. Je continuais de taper sur la télécommande et ma mère m'a surpris quand elle me l'a prise des mains, apparaissant derrière le canapé.

"- Tu t'y prends mal. C'est une vieille télécommande. Il faut un coup sec, mais doux."

Paf. La main de ma mère a claqué le dos de la télécommande et la chaîne a changé. Pas sur la chaîne de dessin animé, mais la principale des infos.

Je me souviens parfaitement des deux carrés et des titres. Dans le carré de gauche, le présentateur, brun, la quarantaine, dans un costume noir. Dans celui de droite, la vue du ciel d'une ville déjà en ruine qui explose. Le titre "neuf soldats morts au Mali".

Je n'avais pas fait le rapprochement jusqu'à ce que ma mère dise tout bas :

"- C'est là que ton père est parti. Il m'a dit qu'il serait le -

Elle s'est fait couper par le journaliste :

- Nous ne savons pas s'il y a d'autres victimes, nous ne pouvons être formels seulement pour huit d'entre eux. - Il donna les noms dont je ne me souviens plus et continue - Notre plus brave soldat, Adam Lane était le chef des opérations sur le terrain. Il était en première ligne, ont indiqué des membres de son régiment. Nous attendons pour de plus amples informations."

Dans le carré de droite, il y avait maintenant une photo de mon père dans sa tenue de l'armée. Une semaine plus tard, je retrouvais son cercueil entouré de tantes et d'oncles dont j'ignorais l'existence, tous vêtus de noir. Je voyais sa boîte descendre six pieds sous la terre rendue boueuse par les cordes de pluie.

Depuis ce jour, je ne pleurais plus. Moi qui avais l'habitude de chialer pour un moustique que ma mère écrasait en tapant des mains ou pour une araignée de la taille d'une miette de pain.

Elle, elle se permettait de pleurer seulement aux anniversaires de mariage, de la naissance et de la mort de mon père tandis que moi, je n'y arrivais pas.

C'étaient les seuls jours où elle me permettait de parler de lui. Mais seulement avec modération.

Ce fut trois ans avant la plus grande catastrophe que la terre ait connu.

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