6 - Logan

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Depuis dix minutes, mon regard est braqué vers la table où sont assis Lucy et son chien de garde. C'est ainsi que l'a surnommé mon pote quand il m'a parlé de son altercation avec lui et je trouve que ça va super bien à ce connard qui tourne autour de Lucy.

Putain, ce mec risque de foutre tous mes plans en l'air s'il ne s’éloigne pas d'elle !

Il va falloir que je le bloque et que je lui impose mes règles, comme à tous les autres. On ne s'approche pas de cette fille. Point barre. Pas de discussion. Je veux la voir seule et qu'elle souffre autant que moi.

— On fait quoi, vieux ? me questionne mon pote.

— Ce type doit dégager, grogné-je.

— Ouais, mais si c'est son mec, j'ai pas trop envie qu'il me tombe dessus.

Je lève les yeux au ciel, dépité, face à l'attitude de mon meilleur ami.

— T’as la frousse ou quoi ?

— Il n'a pas l'air très clean, comme gars.

Certes, ce gars tatoué de partout n'a pas l'air d'avoir froid aux yeux, mais je suis certain que si toute l’équipe de foot lui tombe dessus, il fera moins le malin. Seul face à tous mes coéquipiers, il n'a aucune chance de se relever.

— Il est hors de question que ce type continue de lui tourner autour. Alors, on fait ce qu'on a à faire, point barre !

Chris se tait, sachant pertinemment que si je décide un truc, il est inutile de tenter de me faire changer d'avis.

La discussion close, je reporte à nouveau mon attention sur ce couple, qui j’espère n'en est pas vraiment un. Le sourire que Lucy adresse à ce mec me met les nerfs en boule, pourtant, ce n'est rien comparé à la fureur qui m'envahit à l'instant où elle pose sa main sur son avant-bras.

Je vais le tuer !

Hors de moi, j'abats avec violence mon poing sur la table. La douleur qui en ressort est fulgurante, mais ce n'est rien face au sentiment qui me broie le cœur.

Putain, mais c'est quoi ce truc ? Impossible que je sois jaloux. Cette fille me dégoûte trop pour que je puisse ressentir un tel sentiment. Entre Lucy et moi, il n'y a plus rien depuis bien longtemps.

J'aimerais juste que ma frangine se pointe pour les séparer un peu tous les deux.

Jamais là, quand on a besoin d'elle, celle-là.

D'un rapide coup d'œil, je scrute la queue aux caisses pour voir si je la trouve. Personne. Elle fout quoi ? Si elle ne se magne pas un peu, je vais aller écraser la tête de ce con sur son plateau. Avec le nez en sang, il fera moins le malin et n'aura plus trop l'occasion de mater Lucy comme une délicieuse friandise.

Quand je ramène mon regard vers la table où est installée la meilleure amie de Deb', je tombe sur Gabson. Assis seul, comme à son habitude, il semble ne pas perdre une miette de ce qui se déroule entre Lucy et son chien de garde. Sa mâchoire crispée m'indique qu'il ne semble pas plus apprécier que moi la situation.

Putain de bordel de merde ! J'y crois pas ! Elle attire tous les mecs comme ces deux-là ou quoi ? En même temps, vu le genre de meuf qu'elle est devenue, ça ne m’étonne pas une seule seconde.

Au moment où je reporte mes yeux sur Lucy, mes dents sont sur le point de se fissurer, tant mes mâchoires sont contractées.

— Calme-toi, Logan. Je vais m'occuper de ce gars. Lucy va vite se retrouver sans son chien de garde, me dit Kate, pour tenter de m'apaiser.

Je tourne la tête vers elle, afin de connaitre ses intentions. Son sourire aguicheur me dévoile le fond de ses pensées. Ce mec lui plaît et elle va vite m'en débarrasser en lui mettant le grappin dessus. Lucy sera à nouveau seule et plus rien ne pourra entraver ma vengeance.

Malgré cette bonne idée, je ne peux pas m’empêcher de tourner la tête vers Lucy, jusqu’à l’arrivée de ma sœur et son autre copine, Kim, je crois. Soulagé, je commence à manger mon sandwich, tout en écoutant la conversation de mes potes, qui discutent de la prochaine saison de football.

— Vous inquiétez pas, les gars, on va encore faire un tabac cette année.

— Ouf, j'ai cru que cette année, il n'y avait que Lucy qui comptait pour notre capitaine, se marre Chris.

— De quoi tu parles ? demandé-je, en lui adressant un regard noir.

— Depuis qu'on est arrivé, t’arrêtes pas de la mater.

— Ça me fait juste chier de voir ce con avec elle.

— Ah ouais et pourquoi ?

Putain, mais qu’est-ce qu'il m’énerve, quand il agit comme un imbécile !

— Je n'aime pas ça, c'est tout.

— Eh les gars, arrêtez de vous chamailler. Promis, Logan, dans pas longtemps, tu pourras continuer à t’amuser avec elle, me sourit Kate.

— Pourquoi vous la faites chier comme ça ? Franchement j’ai un peu de mal à vous suivre. Cette fille a l'air sympa et en plus, elle est super mignonne. Vous feriez mieux d’arrêter de l'emmerder deux minutes, intervient mon autre pote ReedR.

Il veut que je lui éclate la tête ou quoi ? Depuis quand il me sort de telles conneries, celui-là ?

— Tu ferais mieux de faire gaffe à ce que tu dis, si tu ne veux pas que notre capitaine te fasse mordre la poussière, se marre Chris, encore une fois.

À croire que la situation est des plus comiques pour lui.

— Désolé, mais j'ai juste un peu de mal à comprendre. L’année dernière, j'ai fait ce qu'on me demandait sans broncher, mais là, j'ai plus trop envie de marcher avec vous, surtout que ce mec n'a pas l'air d’être un enfant de chœur.

Rob, un des défenseurs de notre équipe, est arrivé en cours d’année dernière. Pour bien se faire voir, il a accepté de faire tout ce qu'on lui demandait sans rien dire. À présent, qu'il est bien intégré, il ne semble plus trop apprécié le petit jeu, qui nous amuse depuis près d'un an.

Des gars comme lui me saoulent gravent. On leur tend la main et dès qu'ils se sentent en sécurité, ils vous tournent le dos.

— T’as le choix, ducon : ou tu marches avec nous ou tu dégages, le menacé-je.

— Je suis prêt à marcher avec vous, si tu me donnes une seule bonne raison. T'es amoureux d'elle ou quoi ?

— Mauvaise réponse, mon pote ! se moque Chris, tandis que j’émets un rire bref.

Sérieux, il en a d'autres encore ?

— Putain, mais regarde-la ! Cette fille s'est tapé tous les types de la ville. Vois avec quel genre de mec, elle traine. Lucy est une poufiasse.

— C’est vraiment ce que tu penses, Logan ? entends-je dans mon dos.

Et merde ! Je me retourne vers ma sœur à la vitesse de la lumière. Les bras croisés sur la poitrine, le regard aussi noir que les abysses, Deb trépigne du pied, en attendant que je lui fournisse une réponse. Cette fois, j’en suis certain, je vais me faire tuer lorsqu'on sera tous les deux à la maison.

— Alors, j'attends, réponds ! m'ordonne-t-elle, outrée. Tu penses vraiment que Lucy est une poufiasse ?

Mon haussement d’épaule lui fait comprendre qu’en effet, c'est peut-être bien le fond de mes pensées. De toute façon, quoique je dise, entre ma sœur et moi, après ces mots , c'est mort. Son amitié avec Lucy est sacrée et elle la défendrait au détriment de sa propre vie. Alors, à quoi bon en ajouter une couche ?

— Tu m'avais promis, Logan, s'insurge-t-elle, dépitée de ne pas entendre la bonne réponse.

— C’est bon, Deb, ferme-la un peu et lâche-moi, putain. Tu vois pas que je bouffe avec mes potes là.

— Je me demande bien où est passé mon frangin. Tu sais, celui qui n'avait qu'une parole.

Pour le coup, elle a raison. Chaque fois que je lui ai promis un truc, j'ai toujours tenu parole. Mais là, c'est différent, je n'y arrive pas. Il m'est impossible de tenir l'engagement que j'ai conclu avec elle quelques jours plus tôt, au bord de la piscine familiale. Me tenir loin de Lucy et lui foutre la paix est au-dessus de mes forces. Cette fille m'a bien trop blessé, mon cœur se souvient encore de la douleur qu'il a ressenti l’année dernière. Depuis il s'est blindé sous une épaisse couche de glace.

— Il est mort, la nargué-je. Tu sais, l'an dernier, le jour où ta copine m'a bien fait comprendre qui elle était vraiment.

— C’était aussi ton amie !

Non, Deb', nous étions bien plus que ça, et tu le sais. C'est la raison pour laquelle je la déteste autant.

— C’est ce que je croyais aussi. Je me suis juste gouré.

— Au final, ce n'est pas Lucy qui a changé, mais toi. Tu es devenu un vrai con. J'ai honte que tu sois mon frère. Et dire que j'ai cru qu'elle exagérait en me disant ce que vous lui aviez fait subir en cours de biologie. Je te jure que je ne vais pas en rester là, me menace-t-elle, la voix tremblante de colère.

Je l'observe quelques secondes, cherchant à déterminer ses intentions. Toutefois, seul son regard, à la fois peiné et furieux me répond.

— Et tu as l'intention de faire quoi ? Le balancer aux parents comme la sale petite garce que tu es. J'te jure que s'ils apprennent quoi que ce soit, je ne me gênerais pas pour leur dire que ta meilleure amie est devenue une pute, comme sa mère… oh, et je rajouterais que tu traînes avec un mec des plus louche. D'ailleurs, je ne serais pas étonné d'apprendre que c'est un dealer. À ton avis, lequel de nous deux risque le plus ? Ça m’étonnerait qu'ensuite nos vieux acceptent que tu traînes encore avec elle.

Son regard m'informe que j'ai atteint ma cible. Triomphant, je lui adresse mon plus beau sourire narquois.

— Va te faire voir, Logan ! Tu me gonfles ! Tu ne sais rien de Lucy et pourtant, tu te permets de la juger.

— Parce que toi tu sais ?

— Peut-être bien que oui. En tout cas, si tu savais, je ne crois pas que tu réagirais comme un connard !

Sur ces dernières paroles, elle me tourne le dos et pars rejoindre ses potes. Avant même qu'elle n'atteigne la table, je la rattrape par le bras, pour l'obliger à me faire face. Ce qu'elle vient de dire m'interpelle, j'ai besoin d'en savoir plus. Qu’est-ce qui pourrait me faire changer d'avis sur Lucy ?

— Qu’est-ce que je dois savoir, Deb ?

— Rien, Logan. Laisse-tomber.

— Si tu veux que j’arrête d’emmerder ta copine, tu dois me dire.

D'un signe de tête, elle me montre son désaccord.

— Lucy me tuerait si elle apprenait que je t’en ai parlé. Même Kim ne le sait pas. Je suis désolée, mais elle a trop besoin de moi, pour que je puisse me permettre de la trahir.

Putain, mais ça veut dire quoi ça ?

Tout le reste de la journée, je n’arrête pas de penser au propos de ma sœur. Je ne suis même pas foutu de me concentrer sur mes cours.

Que se passe-t-il dans ta vie, Lucy pour que tu aies autant changer ?

Ma raison et mon cœur se chamaillent, comme deux gosses. Quand la première me dicte que ce n'est plus mon problème depuis longtemps, le deuxième se serre en imaginant que quelqu'un a contraint Lucy à changer ainsi et me fuir.

Je ne suis plus sûr de rien désormais. Est-ce lié à ce qui s'est passé entre nous ? S'est-elle, comme je l'imagine, foutu de ma gueule ? Ou bien est-ce autre chose ?

Mon cœur se contracte douloureusement en songeant que j'ai peut-être tout gâché entre nous, à cause d'une putain de jalousie . J'aurais peut-être dû la forcer à me parler, chercher à comprendre, mais à la place, j'ai fui toute discussion. J'ai préféré l'ignorer et la détester, plutôt que d'en savoir plus, coucher avec plein de filles pour tenter de l'oublier plutôt qu'aller vers elle.

Durant une seconde je me demande si je la déteste autant que je le prétends, avant de me haïr face à l’idée qu'il n'en est rien.

Mon cœur a tort. Je ne ressens plus rien pour cette fille depuis longtemps, à part ce dégoût farouche qu'elle me provoque dès que je la vois.

Durant le temps de l’entraînement, mes questions s'envolent. Ce n'est qu’à la fin, en rentrant à la maison, que tout se bouscule à nouveau dans ma tête. Je pousse la porte d’entrée, déterminé à obtenir des réponses auprès de Deb'.

— Deb’ ! hurlé-je pour l'appeler.

— Quoi ? me demande-t-elle en descendant tranquillement les escaliers.

— Dis-moi ce qu'il se passe avec Lucy.

— Tu m'as juste appelé pour ça ? Après ce que tu lui as fait aujourd'hui, je n'ai pas trop envie de t'en parler.

Quand Deb' est furieuse, il est inutile d'insister. Elle peut être aussi têtue que moi, voire plus. Et là, vu sa colère, je suis certain de ne rien obtenir d'elle. D’ailleurs, je pense qu'elle m'en veut énormément et n'est pas prête à me pardonner de ne pas avoir tenu parole.

Et merde !

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