La ligne

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Courir, il devait courir le plus vite possible, le plus loin possible.

Jamais il ne devait s'arrêter.

Sa vie en dépendait après tout.

Cela faisait combien de temps, il ne savait plus, une journée, une heure ou même pas une minute.

Mais les tiraillements qu'il ressentait au niveau de sa poitrine eurent raison de lui.

Il devait faire une pause, juste quelques secondes, juste le temps de reprendre son souffle.

C'était déjà trop tard, il n'aurait jamais dû s'arrêter, IL était derrière lui.

- Je vais t'avoir, petit, souffla la voix à son oreille.

Non. Jamais. Impossible.

- Plutôt crever, répondit-il entre deux halètements.

Et il repartit de plus belle, essayant d'oublier ses muscles douloureux et sa fatigue. Jambes, mollets, épaules, son corps tout entier lui hurlait tant pis, laisse tomber, arrête cette torture, par pitié ! Ses poumons cherchaient l'air, ses narines dilatées essayaient de faciliter le travail, mais chaque bouffée passait en écorchant sa gorge, qui semblait tapissée de flammes.

Il toussa, une fois, deux fois, et ne put s'empêcher de cracher par terre.

Dégueu, mais efficace : l'air passait mieux, et il parvint même à respirer à nouveau par le nez, calmement, bouche fermée.

"Concentre-toi, s'intima-t-il, tu peux y arriver !"

Le salut n'était plus loin, à présent. Il s'exhorta au calme, fixa un point à l'horizon pour se redresser et ainsi dégager sa cage thoracique. Ses épaules se détendirent, ses pieds martelèrent l'asphalte à un rythme plus soutenu, ses jambes appuyèrent la cadence.

"Ca y est, ça revient !"

Une goutte s'écrasa sur sa main ; il leva machinalement les yeux vers le ciel, qu'il savait dégagé, et comprit que l'eau n'était autre que sa propre sueur. De ses poignets couverts de bracelets en mousse, il essuya ses tempes et son front ruisselants.

"Encore un effort, t'y es presque !"

Et enfin, il l'aperçut : la fin. La sécurité, la promesse du repos. Au prix d'un effort surhumain, il piqua un ultime sprint et LE rattrapa. Ils restèrent quelques instants au coude à coude, puis, centimètre par centimètre, il LE dépassa. La mine déconfite de son adversaire lui donna un regain de courage, et il rassembla ses dernières forces pour mettre le super turbo.

"OUI !"

Tandis que la ligne de papier se déchirait contre son torse, il jubilait : il avait enfin réussi à LE battre, LUI, son concurrent de toujours !

- Vainqueur du marathon : le jeune ...

Il n'écoutait déjà plus : mains sur les genoux, la sueur dégoulinant jusque dans ses yeux, il reprenait enfin son souffle. Le coeur, poussé jusque dans ses dernières limites, tapait dans ses côtes comme s'il voulait s'en échapper. Il savait qu'il en aurait pour des jours à se remettre de ses courbatures, mais bon sang, IL L'AVAIT FAIT !

Ses amis et sa famille vinrent le féliciter, et lui apportèrent des bouteilles d'eau qu'il vidait à toute allure. La tête lui tournait un peu, tant de l'effort fourni que de l'enjeu qu'il avait mis dans cette course.

De l'autre côté de la route, son adversaire recevait lui aussi son lot de félicitations. Leurs regards se croisèrent et le vétéran adressa une oeillade assassine au jeune poulain, qui se mua ensuite en rictus ricanant. Délaissant ses proches, il vint serrer la main du vainqueur, dans un geste de total fair-play.

Mais dans le bruit de la foule, personne, si ce n'est le jeune lauréat, n'entendit l'ancien lui murmurer d'une voix lourde de menaces :

- La prochaine fois, ce sera moi.

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