- C’est hors de question !

Je sursautai.

- Qui est- là ?

Je reculai, fis pivoter ma chaise pour embrasser du regard ma chambre. Personne.

- Rose ! pestai-je, persuadée que ma petite sœur me jouait un mauvais tour.

- Oui, Jo ?

- Arrête de m’embêter quand j’écris, tu veux ? Après, à la limite, mais pas maintenant !

- Mais je n’ai rien fait !

- Mais si. Tu as parlé. Tu m’as houspillée sur je ne sais quel sujet.

- Alors, Jo, je crois que je sais quand je parle et quand je parle pas.

- C’est un fantôme alors ?

- Chais pas. En tout cas, c’est pas moi, laisse-moi la paix. Si tu deviens folle, m’embarque pas avec !

Et elle sortit de ma chambre comme une bourrasque, claquant la porte au passage. Une vraie gamine.

- Eh oh !

Je sursautai à nouveau. Toujours personne dans la pièce. Par hasard, je baissai le regard sur l’écran de mon ordinateur. Les lettres du nom Adhara dansaient. Elles fondirent soudainement et se reformèrent en un petit personnage en noir et blanc. Il agite la main comme pour retenir mon attention :

- Eh oh ! la grande perche ! Oui, toi ! Je ne suis pas d’accord !

- Je… Quoi ?

- Sortir de l’hôpital en fauteuil roulant. C’est hors de question. J’ai ma dignité moi. Alors je te dis : je ne suis pas d’accord. Change le passage.

- Mais…

- Je ne veux pas être déshonorée ! Beurk !

- T’y vas fort quand même. Et puis, déjà, c’est moi qui décide. Et j’ai décidé ça. Ensuite, dans un prochain chapitre, il y aura une bataille et tu en feras partie.

Bon, je ne lui avais pas dit que la bataille se passerait mal pour elle, mais Adhara ne m'avais pas demandé l'issue de ce combat...

- C’est déjà mieux. Mais encore ?

- Quoi ?

- Je peux avoir des supers pouvoirs ? demanda-t-elle malicieusement.

- Non mais ça va pas !

Adhara haussa des épaules, l’air de dire « j’aurais essayé » et alla se percher sur le texte que j’écrivais avant son interruption.

- Sinon, ça va ?

- Je rêve, bougonnai-je, je suis en train de parler à… à quoi ? Mon imagination ? Mon ordi ? Peut-être même que je dors…

- La perche ! Je suis toujours là !

- Un peu de respect ! Je t’ai créée, je peux aussi te faire disparaître. D’un coup de crayon.

- Mais toute ton histoire tombera à l’eau si tu fais ça. Bon, ok. Alors, Grande Créatrice de mon monde, que dois-je faire ?

- Te taire.

- Pas ça.

- Ta servitude est incroyable, remarquai-je d’une voix neutre.

- Comme tu le dis si bien, c’est toi qui m’as faite comme ça.

- Mouais.

- C’est qui ma mère ? demanda subitement Adhara.

Je restai un instant stupéfaite, surprise par ce soudain changement de sujet.

- Euh… Tu lui ressembles beaucoup.

- Mais encore… ?

- Elle s’appelle Catherine. Et je ne vais rien dire de plus, tu dois la découvrir sans a priori.

- Je la verrai ? insista Adhara.

- Oui, mais pas maintenant. Dans plusieurs chapitres, ça, c’est sûr. Combien ? Je ne sais pas. Mais elle va arriver dans l’histoire. Et elle aura un rôle, assez discret, dans le prochain chapitre.

- Cool ! Et c’est quoi ?

- Je ne te le dirai pas.

- Mais pourquoi ?

- Ça brise le suspens. Et ta réaction doit rester naturelle.              

- Ça c’est pas cool, grogna Adhara. Et mon père ? Il est toujours… vivant ?

Sa voix se cassa légèrement à la fin de sa phrase.

- Oui.

- Ok, soupira ma « créature », je n’en saurais rien de plus, c’est ça ?

- Ouep.

- Cruelle Créatrice !

- Hum. Comment peux-tu revenir dans ton monde ? Parce que j’aimerais bien recommencer à écrire, moi.

- Chais pas.

- Mouais.

Une idée traversa mon esprit alors qu’Adhara continuait à papoter : elle dort dans l’histoire. Alors, si je la contrôle, et si elle se réveillait… ? Je me mis aussitôt mon "plan" à l’exécution. Le petit personnage eut un instant de profonde surprise avant d’éclater de rire :

- Je savais que tu comprendrais. A plus, Infâme Créatrice !

Et elle fondit à nouveau. Les lettres reprirent leur forme et leur place.

Je clignai plusieurs fois des yeux, peu sûre d’avoir tout compris.