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16 janvier 2019


Alice avait insisté. Hans avait fini par accepter. Il fallait interroger Ehril Renard, le fils du premier mariage d'Elena Pericolo. De plus, sa voisine lui avait donné le numéro de téléphone de son fils. Au cas où il voudrait le contacter pour une commande spéciale. De légumes. Hans avait mis poliment la carte de visite d 'Ehril Renard dans son porte-monnaie. En pensant que jamais, il n'en aurait besoin ! Erreur monumentale.

Donc, ils iraient à Sion interroger le jeune homme. Mais Hans avait posé sa condition. Y aller en train. Il avait fait l'aller-retour Genève/Amriswil ce week-end et était fatigué de la voiture. Alice avait immédiatement accepté. C'était plus écolo. Le voyage en train. Et ne pas prendre l'énorme BM de Hans était une bonne chose. Pour l'impact CO2. Alors ils étaient là, tous les deux, sur le quai trois de la gare cornavin.

8h05. Le train arrivait.

- Eh mais, il y a un wagon restaurant ! s'exclama Hans. J'adore les wagons restaurant. Il y a des vrais nappes en tissus...

- ...Tu veux aller en wagon restaurant ? s'étonna Alice.

- ...sinon je viens pas...

Alice se mit à rire.

- Bon. Soit. Allons en wagons restaurant. C'est en zone C.

Ils s'avancèrent sur le quai tandis que le train s'immobilisait. Grimpèrent dans le convoi et s'installèrent dans le wagon restaurant.

- Mais t'as raison. Des vraies nappes en tissus. C'est sympa. Mais il y a personne ? C'est étonnant...

- Ils savent pas ce qui est bien...heureusement pour nous...on est plus tranquille...

Alice souriait. C'était vrai. Hans avait raison, c'était vraiment très sympa le wagon restaurant. Un peu comme dans un film. Ils commandèrent deux cafés et deux croissants. Le train se mit en branle. Ils en avaient pour deux heures de voyage. Le jour se levait. Le soleil chassait le brouillard. La vue était magnifique sur les montagnes.

- Dis-donc, on va passer par Montreux. La ville de tes vacances d'été, fit Alice.

- Oui. Au retour, j'hésite presque à descendre rendre visite à mon oncle.

Alice frappa la nappe de la main :

- Mais c'est une excellente idée, Hans !

- Si on a le temps...

- Oh ça devrait le faire, je ne pense pas que l'on n'en a pour des heures avec Ehril Renard.

Hans parut contrarié. Alice savait pourquoi.

- Mais je ne sais pas ce que tu as avec ta voisine, Hans, mais on doit interroger son fils. C'est dans la logique d'une enquête policière. Même s'il n'a rien a avoir avec l'affaire "E".

- Mais Alice. C'est justement ça. Il n'a RIEN à avoir avec l'affaire "E". Je le sens de tout mon être. Alors nous perdons complètement notre temps.

Il regardait Alice. Son visage. Elle s'était légèrement maquillée. Elle avait mis une veste bleue foncée, une chemisette bleue claire. Ses cheveux étaient détachés. Et tombaient magnifiquement. Souvent elle les attachait en un gracieux chignon. Sauf aujourd'hui.

- Mon dieu, Alice, qui est donc ce "E". Où est-elle ?

- Mais Hans, peut-être que nous faisons fausse route. J'y ai pensé l'autre jour. "E" n'est peut-être pas la première lettre d'un nom ou d'un prénom, mais signifie peut-être équilibre, ou équité ? Parce que, finalement, que reproche "E" à l'état genevois ? Une disproportion, un déséquilibre dans l'octroi des postes de travail. Il n'interdit pas les frontaliers, Il dit qu'ils sont trop. C'est une nuance importante à mon sens...

- Hum...oui Alice. C'est intéressant ton idée, mais cependant, je penche quand même pour une initiale de prénom. Déjà, dans ce que tu viens de me dire, j'ai relevé beaucoup de "peut-être". Trois, il me semble. Sinon, il me semble que si c'était équilibre ou équité, "E" autait été plus explicite. Elle aurait signé: ÉQUITÉ par exemple, ou ÉQUILIBRE...mais bon, si ton idée s'avère juste, et que à la fin de cette affaire, si un jour elle finit pour que je puisse retourner en Thurgovie, "E" nous explique dans un ultime message le sens de "E", ton idée, cela tiendrait du génie, je trouve. Cela serait très classe...

- Oh Oh Oh ! Hans, je sens de l'admiration dans ta voix là ! Tu admires "E" ma parole !?

- Oui, Alice. Absolument. Il y a toujours quelque chose d'admirable chez les grands criminels, quelque chose qui relève de l'art dans un sens. Ils expriment quelque chose. Quelque chose d'immoral évidemment, car nous avons appris que tuer est quelque chose de mal. Ils utilisent la vie d'autres humains, leurs corps comme un musicien utilise du papier et une plume pour composer, un écrivain pour écrire, un cinéaste une caméra pour filmer. "E", à travers les horreurs qu'elle commet, attention je ne les approuvent pas, elle exprime quelque chose de très fort. Au lieu d'écrire un pamphlet sur l'État et le faire imprimer dans les journaux, elle « écrit » dans la chair en lettre de sang. Elle se permet une liberté non seulement d'expression mais également dans la manière et les moyens...

- Wouaww...!!!

Alice était tout de même un peu sonnée. Le train filait à 140 kilomètre à l'heure. Le soleil illuminait le lac. Elle but une gorgée de café et ajouta :

- Et toi, tu t'exprimes très librement aussi. Mais je concède que...je vois ce que tu veux dire. Et c'est très intéressant...

Puis elle éclata de rire.

- Mais...cela doit rester entre nous. Ce que tu viens de dire ne dois pas parvenir à toutes les oreilles...

- Oui. Tout le monde n'est pas près à l'entendre.

- Hans, as-tu remarqué que, pour parler de "E", tu dis elle et moi il...

- Oui.

Il sourit :

- C'est intéressant. "E" brouille les pistes. D'abord, « elle » signe féminin, « ...de l'UNE de vos admiratrices... », puis « il ».... « ...je suis SÛR que Tell l'aurait fait... ».

Alice sourit puis éclata de nouveau de rire et posa sa main sur celle de Hans et la serra :

- T'es incroyable Hans ! J'en viens à souhaiter que l'affaire "E" s'étire dans le temps, pour pas que tu ne retourne trop vite en Thurgovie...

- Si Klara t'entendait...

- Oui, elle serait pas contente. Je m'excuse. J'oublie que t'as une femme, des enfants qui t'attendent en Thurgovie.

Il y eut un silence. Une pause dans la discussion. Dans le temps.

On s'arrêtait. Lausanne. Un couple s'installa à la table d'à côté. Ils n'étaient du coup plus tout seul dans le wagon-restaurant. Le convoi repartit. Alice commanda une eau minérale.

- Mais en fin de compte, depuis l'attaque des jumelles en novembre, "E" n'a plus sévit. Mise-à-part la bouteille de vin offerte à Jean-Pierre Lonfat, plus rien. Silence radio, dit alors Hans.

Alice buvait son eau et acquiesça :

- Oui. Mais dans le message qu'il a laissé pour monsieur Lonfat...il promet...

- Oui. C'est vrai...

Il soupira :

- Et nous on attend...la suite...comme des cons.

Alice buvait son eau et regardait le paysage. Il est vrai. Magnifique. Le Lavaux ! Vigne. Lac. Montagne. Il y avait peu de panorama tel que celui-là dans le monde pensa-t-elle.

- Et comment va Diae ?

Alice se tourna vers Hans :

- Il va bien.

- C'est pour quand le mariage ?

- Ouh là, tu vas vite là, Hans.

Il sourit.

- Non mais. Je t'embête. Tu y retourne quand ? À Paris.

- Ce week-end.

- Ah mais on est décalé, en fait. Moi je retourne en Thurgovie dans dix jours.

Alice s'étonna :

- Mais ce n'est pas important. Ou plutôt oui. Comme ça on n'est pas les deux à la fois inatteignable. Enfin, inatteignable c'est un grand mot. Mais les deux inspecteurs principaux sur l'affaire ne sont pas les deux en week-end.

Hans réfléchissait.

- Oui. T'as raison. Évidemment. Mais si on était pas décalé, les week-end où on est là, on pourrait...

- On pourrait quoi ?

Hans se mit à rire.

- On pourrait...aller au cinéma...par exemple. T'aimes bien le cinéma, non ?

- Oui...Hans...on pourrait...

Elle rit. But une gorgée d'eau. Repoussa de sa main droite les cheveux qui recouvrait son visage. Hans la regardait. Puis il se tourna vers le serveur qui prenait une commande à la table d'à côté :

- Une bière, s'il-vous-plait.

Le train arrivait à Villeneuve. Quittait le lac léman. Hans prit le 20 minutes qui était posé sur la table. Et se mit à le lire. Alice sortit son portable et commença à le balayé de l'index de sa main droite.

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