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- C'est moi qui a posé l'enveloppe sur la table !

Hans Pfäfi avait réuni tout le personnel de l'hôtel dans la grande salle du restaurant. Et avait demandé à chacun de signaler le moindre élément suspect pouvant expliquer la présence de cette enveloppe sur la table du président français.

Il n'avait pas du insister, ni s'énerver. L'un des employés était sorti du rang, un dénommé Sylvain Kauf :

- C'est moi qui a posé l'enveloppe sur la table !

Tous les regards s'étaient tournés vers lui.

- Arrêtez-le !

Hans Pfäfi tenait enfin quelque chose, quelqu'un. Du concret, du matériel. On allait peut-être, enfin, avancer dans l'affaire « E »!

On emmena Sylvain Kauf. Menotté.


Au moment même où le couple présidentiel Matton décollait de Cointrin, le jeune hôtelier s'asseyait dans une salle d'interrogatoire au troisième étage de l'hôtel de police de Genève. En compagnie de Hans Pfäfi et Alice Noît.

- Qui vous a remis cette enveloppe ? asséna sèchement Hans.

Sylvain le regardait. Aucun son ne sortait de sa bouche. L'inspecteur frappa de sa main droite la table :

- QUI !!!!????

Le jeune homme sursauta. Il voulait parler mais la situation était si nouvelle pour lui, si surréaliste qu'il se demandait s'il ne rêvait pas. Et dans les rêves, les siens du moins, il ne parlait jamais. Il voyait des choses se dérouler comme dans un film muet en couleur.

Mais Hans parvint à lui faire faire la part des choses :

- QUI ???!!!! hurla-t-il en tapant des deux mains cette fois-ci.

La table bougea, et Alice, assise un peu en retrait, sursauta.

- euh...un...un...cy...cycliste....

Sylvain tremblait.

- OÙ ET QUAND ?

- ...euh...dimanche...

Hans calcula :

- Dimanche neuf décembre ?

- Oui, dimanche neuf.

- OÙ !?

- Devant l'entrée de l'hôtel.

Hans le regardait quelque seconde. En réfléchissant

- Bon. Sylvain. Je vais m'asseoir, tu vas reprendre tes esprits, et me raconter le plus précisément possible ce qui s'est passé, en essayant de te souvenir de tout les détails possible, de la couleur des lacets, au temps qu'il faisait ! D'accord ? Et moi je vais t'écouter calmement. D'accord ? En essayant de ne pas t'interrompre. Je te rappelle juste, qu'à l'heure actuelle, moins tu te souviendras de ce qui s'est passé, plus tu seras dans de sales draps ! M'as-tu compris ?

Sylvain acquiesça nerveusement.

- ...ok.

Et Hans et Alice d'attendre, ainsi que Nicolas Vidon et Abdel Chentali derrière le miroir sans teint, une histoire, qui serait si possible une belle histoire de noël, qui donnerait une piste avec option sur un suspect plus que suspect :

- J'étais de service comme portier.

Hans et Alice se redressèrent instinctivement sur leur chaises. Alice comprit que de nouveau, c'était mettre une pression inutile sur le pauvre Sylvain Kauf, employé d'hôtel propulsé quasi ennemi public numéro un depuis à peine deux heures. Elle se radossa, se détendit, et Hans l'imita.

- ...tout d'un coup, l'enveloppe a atterri devant moi. J'ai été surpris. J'avais rien vu venir. J'ai levé les yeux et j'ai vu le cycliste s'éloigner...

- STOP ! fit Hans. Concentre-toi ! Je veux tous les détails possible sur ce vélo et celui qui était dessus ! Ferme tes yeux, regarde le plafond, couche toi par terre s'il le faut, mais je veux le maximum ! Concentre-toi comme tu t'es jamais concentré, putain !

Alice ne put s'empêcher de sourire. Hans avait quelque chose de comique quand il s'excitait, s'énervait.

- ...un vélo de couleur... ?...je sais pas...

- Alors laisse tomber le vélo ! Le cycliste ?

- ...habillé sombre...avec...un...bonnet noir...

- Une inscription sur le bonnet ? Sur les habits ?

- Euh...non...je ne croit pas...je ne me souviens pas...

Un silence. Hans se pencha en arrière, regarda le plafond et dit :

- Détends-toi, ferme les yeux, rappelle-toi un détail, n'importe lequel...

Sylvain s'éxécuta. De nouveau un silence. Puis :

- Un fil blanc. Un fil blanc sortait de sous le bonnet. Un casque pour écouter de la musique. Oui. Le fil blanc. Je le dis parce que je me suis dit c'est dangereux, ces cyclistes qui roulent en écoutant de la musique...

- Autre chose ?

- Oui. Il était vieux.

- Qu'est ce qui te fait dire ça ?

- Dans sa manière de rouler, comme s'il était pas à l'aise sur le vélo, comme s'il faisait attention pour ne pas tomber. Comme s'il avait peur de tomber...

- Tout en écoutant de la musique ? C'est contradictoire mon cher Sylvain. C'est les jeunes qui écoutent de la musique dans un casque sur un vélo, non !?

- Je sais pas. C'est juste que je trouve que vu de dos, il avait une apparence de vieux...

- Quel âge ?

- euh...dans la septantaine...

- Septante ans ! Carrément !

Sylvain ne rajouta rien. Il avait vidé son sac. Se sentait soulagé. Cela se voyait à son léger sourire. Qui allait disparaître aussi rapidement qu'il était apparu sur son visage.

- Nous en n'avons pas fini avec vous, Sylvain Kauf ! Comment cela se fait-il que vous n'avez pas avertit la police , ou votre chef, de cette lettre, et que vous avez gardé le secret et posé l'enveloppe sur la table où allait se dérouler la réunion au sommet.

Sylvain regardait, effrayé, l'inspecteur qui redevenait ennemi. En repassant au vouvoiement, il avouait que le tutoiement d'avant était pure manipulation. Pour créer un semblant de proximité humaine pour obtenir des informations. Sylvain était surpris par sa propre naïveté.

- Je vous garde au frais. Nous reprenons dans une heure, et pendant cette heure, réfléchissez bien à une chose : quatre personnes sont mortes, toute la république de Genève ne parle que de « E », et vous recevez sur les pieds, une enveloppe qui potentiellement peut-être de la main de « E » et vous décidez de jouer son jeu ! Cela peut faire de vous un complice !


Hans se leva, sortit et s'adressa à un policier en uniforme :

- Emmenez-le en cellule !

Il était maintenant bientôt vingt-trois heure.

Hans avait pris une barre chocolatée au distributeur automatique qui se trouvait au troisième étage, dans le couloir. Il le mangeait tout en sirotant son café. Alice l'accompagnait avec un thé au citron.

- Abdel, tu pourrais pas aller nous chercher des pizzas ? Je vais pas manger que des Snickers, ça va pas le faire.

Abdel était bien content de la proposition du chef. Son ventre gargouillait depuis un moment, et il fila à toute vitesse en direction de la pizzeria d'en face.

Une demi-heure plus tard, l'interrogatoire reprit . Hans avait pris le dernier bout de pizza napolitaine avec lui, et le mangea tout en questionnant l'hôtelier:


- Alors ! As-tu réfléchi, Sylvain ?

Hans était repassé en mode tutoiement genre on est proche, on mange ensemble, tu peux te confier je suis ton ami ???

- Qu'est ce que vous voulez savoir ?

Sylvain avait réfléchit et savait ce qu'il voulait dire. Il était un tant soit peu sortit des émotions fortes qui l'avaient accaparées lors du premier interrogatoire. Il avait mis de l'ordre dans ses idées et avait même hâte de les partager.

Avec Alice qui prenait la relève :

- Quelles sont les raisons qui vous ont emmené à ne pas appeler la police ou votre supérieur hiérarchique alors que vous ne pouviez ignorer qu'il y avait de fortes probabilités que l'enveloppe vienne de « E ».

Sylvain regardait Alice, soupira et se lança :

- Il y avait un message sur l'enveloppe...

Il s'arrêta, semblait de nouveau hésiter.

- Quel message !? intervint Hans qui se léchait les doigts. De l'huile avait coulé sur ses mains.

- Un message où on me demandait de donner cette enveloppe au président français.

- Le message était écrit comment ? À la main ou à la machine ? Vous l'avez toujours ? demanda Alice.

Une urgence s’emparait des deux inspecteurs. L'inquiétude de ne pas arriver à pêcher le poisson, que quand l’hameçon sortirait de l'eau, l'animal n'y serait plus !

- Non, je l'ai brûlé...

- Brûlé ? Bravo !

Hans allait s'énerver mais se ravisa :

- Évidemment...je vous comprend, c'est logique...

- ...je ne voulais pas que l'on sache que c'était moi !

- Mais vous avez quand même finit par vous dénoncer, s'étonna Alice.

- ...euh...j'ai vu que ça allait très loin...et j'ai quand même voulu vous aider...

Hans sourit :

- Merci, c'est gentil de votre part ! Mais répondez à la question de ma collègue, comment était rédigé le message ?

- À la machine...

- Évidemment ! « E » n'est pas con !

- Ou conne, ajouta Alice.

- Ou les deux ! corrigea Hans. Je suis de plus en plus sûr qu'ils sont au minimum deux dans cette histoire. Et qu'est ce qui était écrit ?

- C'était écrit, c'était très poli en fait, qu'il serait très aimable de ma part de faire en sorte que cette enveloppe parvienne au président Matton...

- C'était signé ??

- ...euh...oui...

- OUI !!?? cria Hans.

C'en était trop pour arriver à garder son calme. Alice avait la bouche ouverte :

- ...vous...saviez donc parfaitement, dès le début que l'enveloppe provenait de « E » ?

- ...euh...oui...

Il y eut un silence. Il n'y avait en fait pas de raison de s'énerver. Mais Hans était tout de même étonné d'expérimenter ici, à l'Hôtel de police, le soutien populaire à « E » qui depuis quelques semaines pointait son nez dans la population. Cela avait commencé avec des affiches sauvages qui parlaient des chômeurs à Genève et qui questionnaient ainsi la population : « Un carrefour dangereux ? Il faut souvent un voire plusieurs accidents mortels pour que l'on daigne faire les modifications pour le sécuriser ! Une politique de l'emploi dangereuse.... ? » Ces trois petits points étaient lourd de sens. Et sans le nommer, désignait « E ». Et incriminait l'état de Genève ! Et ces affiches, placardés un peu partout dans la ville, faisaient leurs nids dans les cerveaux des genevois. Et certains n'hésitaient plus à s'exprimer sur le sujet. Dans les courriers des lecteurs par exemple. D'ailleurs la Tribune de Genève avait réalisé un sondage : soutenez-vous les idées de « E » sans pour autant approuver sa violence ? Ou acceptez-vous que l'on puisse en venir à cette violence ? Comprenez-vous la démarche de « E » ? Et le résultat avait glacé d'effroi le conseil d'état ! 55% des sondés comprenait la démarche sans approuver le recours à la violence, mais admettait que, comme pour l'histoire du carrefour dangereux, il y avait une certaine logique humaine à cette violence. Jean-Pierre Lonfat, président intérimaire, avait martelé devant tous ses collègues-élus par le peuple, que cela voulait dire, en gros, qu'une bonne partie de la population soutenait, dans un sens, « E » ! Et que si l'état ne parvenait pas à trouver rapidement une réponse politique à cette situation, même l'hypothétique arrestation de « E » n'y changerait rien. « E » ne faisant finalement que stigmatiser un malaise bien plus profond.

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