Le Coffre Magique

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Dans le monde des Grands-Aigris, tout est triste et gris. Les murs sont gris mouillés, les nuages sont gris fumée, les routes sont grises et embou­teillées. Peu de gens rient, personne ne crie, tout est morne et sans vie. La bonne humeur s’est enfuie, la joie l’a suivie. Même les chats sont tristes et gris souris.

Victor, pourtant, traverse la ville en chantonnant, la tête ailleurs et l’œil rieur, comme seuls savent le faire les enfants.

Il rentre chez lui, retire ses chaussures en un tour de main, enlève sa lourde veste en deux temps trois mouvements, monte les marches quatre à quatre et entre dans sa chambre aux murs ternes assombris par une fenêtre sur laquelle battait la pluie.

Au centre de la pièce un imposant coffre cerclé de fer semble laisser passer de fins rayons d’une vive lumière. Victor s’en approche, sort une clé de sa poche, déverrouille le cadenas et ouvre le mystérieux coffre en bois.

Il en sort tout d’abord un grand tapis vert-de-gris sentant la poussière, la terre, l’humidité … la forêt. Mais lorsque Victor le déroule sur le sol, ce n’est plus une vulgaire carpette, mais une rivière azur, du sable doré, de la bonne terre noire et de l’herbe bien verte. Ce ne sont pas non plus de vieux coussins éventrés qu’il jette aux quatre coins de sa chambre exiguë, mais un amas désordonné de gros rochers moussus. Des morceaux de papiers pliés, déchirés, froissés semés autour de la rivière deviennent les plus grandes, les plus belles et les plus colorées des fleurs de cette forêt éphémère. Les peluches pelées et borgnes, misérables dépouilles, trônent désormais au sommet des rochers, ici des oiseaux, là des grenouilles. Au fond du coffre ne reste qu’une pauvre lampe de bureau désarticulée. Non, le plus lumineux, le plus chaud et le plus agréable des soleils d’été.

Le coffre est vide de tous ses objets, mais la chambre s’emplit d’une douce gaieté. Victor nage dans la rivière en riant aux éclats, fait des ricochets tout en mangeant quelques fraises des bois, cueille des fleurs aux pétales de soie et imite les grenouilles en faisant “crôa crôa”.

Toute cette joyeuse et bruyante activité ne pouvait qu’attirer les terribles ours du rez-de-chaussée. Jamais contents, jamais souriants, toujours en colère, toujours sévères, Papa et Maman ouvrent la porte et laissent entrer la rigueur de l’hiver.

« C’est quoi tout ce bazar ? Pourquoi tant de bruit ? Va faire tes devoirs sinon tu vas être puni ! Et puis peux-tu m’expliquer ce que font tous ces coussins par terre ?»

Et Victor répond : «Ce sont des rochers au bord de la rivière.

  • Et pourquoi tous ces bouts de papiers ne sont pas mis à la poubelle ?»

Et Victor explique : «Parce que de toutes les fleurs de la forêt, ce sont les plus belles.

  • Et tu vas me faire le plaisir de ranger ces peluches avant que je les écrabouille !»

Et Victor s’exclame : «Il va falloir que tu m’aides alors, pour attraper ces grenouilles !

  • Et c’est trop dangereux de jouer avec cette lampe, je te l’avais interdit ! »

Et Victor, d'un ton triste, réplique : «Oui mais si tu l’éteins, alors il va faire nuit…»

Papa et Maman, d’abord agacés et parlant d’une voix forte, se regardent d’un air un peu penaud et referment la porte. Toutes ces années ont-elles été si dures qu'ils ne voient plus ce que leur fils endure ? Cet enfant absent, si longtemps pleuré, ce bébé tant désiré enfin annoncé. Et qu'ils n'ont finalement pas vu grandir, faute de temps, d'idées et de bien trop de soupirs. D'un regard, les deux ours retrouvent leur complicité. Il ne faut plus perdre de temps, il y a une forêt à ranger. Il s’approchent l’air très sérieux et s’adressent à Victor en le regardant droit dans les yeux.

Papa dit : «Fils, trouve-moi quelques rochers. On va en faire un petit barrage. On va s’en servir pour piéger les petites grenouilles là-bas, celles qui nagent.».

Et Maman continue : «Mon amour, regarde comme ces fleurs sont merveilleuses ! Si tu m’en faisais un bouquet je serais la plus heureuse ! »

Et l’après-midi se passe, dans une forêt enchantée hors du temps, au milieu des rires de Victor et de ses parents.

Oui, ce coffre est magique. Non pas pour ce qu'il renferme à l'intérieur mais pour ce qu'il révèle au regard de ceux qui cherchent le bonheur.


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