Chapitre 4

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Le souterrain était vaste et éclairé. Des arches et tunnels liaient différentes salles entre elles sur une surface difficile à estimer au premier regard. L’assurance apparente de Laure avait volé en éclat avec son seuil de tolérance. Tenue par la main, elle se laissa guider pour une visite, nue, vulnérable, et prête à s’en aller. A quelques mètres de là, un groupe de hippies se tenaient par la main et communiaient autour de bougies et de mixtures verdâtres contenues dans des pilons. Leur trip était un peu plus soft et conviendrait probablement mieux à Laure en cet instant.

« Que font-ils ? Demanda-t-elle.

— Ils prient pour que se manifeste Asmodée et que leur plaisir soit maximal.

— Je n’ai aucune idée de qui est Asmodée. Ce n’est pas mon truc ce genre de croyances… »

En passant derrière une paroi de briques rouges, Laure vit une jeune femme urinant sur une stèle. Sous elle, quelques personnes buvaient du champagne dans une flute et remplissaient leur coupe à la fontaine. Elle-même ne se privait pas de partager ce breuvage avec ses convives. Les personnes présentes semblaient toutes prendre du plaisir. Aucun n’eut l’air d’être aussi perdu ou hésitant que Laure. Quand elle croisa le regard de la jeune femme, celle-ci entama la dégustation de sa flûte de verre et exulta de plaisir en mâchant sa coupe. L’un des convives, d’un mouvement violent, explosa son verre au visage de son voisin qui l’en remercia.

Laure tressauta et se mit à courir sans savoir où elle allait, canalisée par Octopus qui pressa le pas avec elle.

« … doucement ma jolie, dit-elle de sa voix grave. Tu n’as pas trouvé ton bonheur ? ». Octopus fermait la marche. Il n’y avait pas d’animosité dans sa posture mais Laure pensa qu’il était préférable de s’en détacher. Elle accéléra encore. Un instant, elle vit un homme tremper son sexe dans un seau dont elle préférait ne pas imaginer le contenu ignoble. Elle tourna la tête de l’autre côté. Une arche laissait apparaître une petite pièce à l’intérieur de laquelle une foule en transe se tranchait des lambeaux de chair aux ciseaux. Un cuisinier faisait frire leurs tétons dans un gigantesque wok et leur redistribuait.

Laure hurla d’effroi et d’horreur. Elle retint un renvoi. L’adrénaline l’envahit alors en une fraction de secondes. Plus question de faire bonne figure. Elle se retourna et fonça sur Octopus pour s’assurer qu’elle la laisserait passer. Octopus ne tenta pas de la retenir. Elle repassa devant les mangeurs de verre qui n’avaient désormais quasiment plus de visage. Laure pleura d’effroi mais ne stoppa pas sa course. Elle vit alors que sous les caillebotis, à une bonne dizaine de mètres en contrebas, se tenaient plusieurs groupes de personnes qui pratiquaient des activités cultistes et sexuelles qu’elle ne chercha pas à comprendre, dissuadée par la crasse faite de sang et d’excréments qui en baignait le sol.

Elle retrouva le couloir par lequel elle était arrivée, en haut d’une petite échelle. Laure ne voulut pas prendre la peine de grimper en bonne et due forme. Elle sauta, nue, s’agrippant au rebord, s’esquintant les genoux et les mains. Elle pédala un peu dans le vide, s’éraflant contre le mur et rejoignit le couloir. La lampe torche n’était plus nécessaire car tout était éclairé désormais. Elle ne reconnut pas du tout le chemin qu’elle avait emprunté à l’aller. D’improbables circonvolutions organiques formaient les parois des égouts.

Pas de doutes, elle s’était perdue. La panique fut telle qu’elle n’osa pas tourner la tête, ne serait-ce qu’une seconde, pour vérifier si on la suivait. Est-il encore utile de préciser qu’à ce stade, Laure ne prenait plus aucune décision sciemment ce qui n’était pas plus mal étant donné qu’elle se donnait du mal à prendre les mauvaises quand elle le pouvait. Seuls ses instincts de survie primaires la guidaient dans sa fuite. Avec le sentiment que cet égout se refermait sur elle, elle courut là où elle le put jusqu’à tomber sur l’espèce de pied de biche avec lequel la plaque d’égout avait été soulevée. Elle leva les yeux pour constater la présence d’un dédale de chemins qui s’étalait en volumes, probablement sur de nombreux étages avec une incohérence qui forçait la folie.

Elle ramassa la barre de fer et agrippa le premier barreau d’une nouvelle échelle dans l’espoir, si ce n’est d’atteindre la surface, de pouvoir au moins se cacher. Elle monta rapidement, s’enfonçant dans un plafond épais de plusieurs mètres et finit par atteindre un étage supérieur.

La tête à peine sortie du sol, Laure sentit une masse énorme tout près d’elle. S’approchant lentement, cet amas informe sortit de la pénombre et révéla un ensemble rougeâtre formé de dizaines de corps humains et grelotant au rythme de leurs ébats. Ce seul et unique gigantesque sac de chair était le lieu d’une débauche bouchère et consanguine. A sa surface, on pouvait distinguer des visages déformés par le plaisir et l’horreur.

Un effroi oppressant, au-delà de toute limite, envahit le sang de Laure. L’air ne parvint plus à ses poumons, estomaquée par l’horreur à l’instant où elle reconnut le visage de Claire, aux yeux livides et écarquillés, la bouche craquelée par les gémissements et fondu à moitié avec la tête bosselée d’un autre homme. Cette manifestation sexuelle d’outre-tombe occupait tout le volume visible de l’étage que Laure venait de rejoindre.

Prise au piège par des entités qui promettaient une agonie dépassant les limites de la mort, et n’endurant plus l'effroi que sa folie ne contenait plus, elle s’écrasa la gorge de la partie plate et coupante de la barre qu’elle tenait en main, se laissant tomber par la même occasion. L’évidence était alors que la seule fuite probable pour Laure se trouvait dans la mort. Elle utilisa ses dernières forces mentales pour maintenir le pieux salvateur contre son buste, s’assurant que sa chute terminerait l’empalement. Elle fit bien. Elle accueillit avec soulagement la douleur de la réussite. Elle eut une pensée pour ses enfants, juste un instant, et ne regretta pas de les abandonner tant l’enfer dans lequel elle avait posé le pied était effroyable. Elle aurait aimé penser que tout était terminé et s’inquiéter pour le sort de ses fils, mais elle mourut le cœur lourd de douter que la mort fût une échappatoire à son calvaire.

Par-dessus son âme flottante. Elle entendit finalement les appels en chœurs : « Asmodée revient ! ».

FIN

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