Tremblement de terre - 2° partie

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Je demandai à l’intendant principal comment toute cette affaire avait commencé.

— Je ne sais pas. Le roi a exigé la présence de Krys pour une affaire d’exécution.

— Il y a une exécution programmée aujourd’hui ?

— Oui. Elle aurait eu lieu si Krys ne s’était pas interposé. Il a ensuite été convoqué à comparaître, comme il le demandait d’ailleurs lui-même. La garde a vérifié l’absence d’arme et d’armure et l’a fait monter chez le roi.

Allie revint vers nous, essoufflée.

— Ils ont attaqué.

— La garde a attaqué ? répéta Clément. Ont-ils réussi à pénétrer dans le bâtiment ?

— Non. J’ai vu trois soldats à l’armure étincelante se placer devant l’entrée pour la protéger. Ils ont tenu le choc et blessé une douzaine des nôtres. Le capitaine a fait reculer la troupe et a ordonné aux archers de les éliminer. Plutôt que de fuir, ils sont restés à leur place et aucune flèche n’est parvenue à percer leurs cuirasses.

Clément nous regarda, indécis.

— Et maintenant ?

— De dépit, le capitaine a ordonné à ses troupes de reculer.

— Ça m’étonnerait qu’il en reste là. Merci Allie.

— Ça me rappelle la bataille de Bladel, marmonnai-je.

— Comment cela ? interrogea Clément, qui m’avait entendue.

— Les trois guerriers qui ont défendu l’entrée, ce sont les immortels. Le quatrième n’est pas avec eux, il est derrière cette porte.

— Hum ! Oui. Pour autant, il n’a pas d’armure, lui.

— C’est ça que je ne comprends pas. Il doit pouvoir s’en passer, apparemment.

Mon frère se gratta le menton en alignant quelques pas.

— Dans la pièce d’à côté, les archers tendent certainement leur cordage au maximum. Si l’un d’entre nous ouvre violemment cette porte, ils croiront qu’il a bronché, et toutes les flèches partiront en même temps dans sa direction. Impossible qu’il les évite toutes.

— Mais, dans ce cas, notre roi est mort, avança l’intendant principal, certainement persuadé que Krys possédait des pouvoirs surnaturels.

— Il n’est pas magicien, que je sache, protesta Clément. En tout cas, père ne semble pas se fier à ses mensonges.

— Mais les gardes le croient, eux.

Clément opina de la tête et se tourna vers moi.

— Ma sœur ?

— Oui ?

— Ton opinion ?

— Je comprends pourquoi les gardes ont peur.

— Au point de désobéir au roi ?

— Ils pensent le protéger. Ils pensent que le roi n’est pas assez informé pour prendre la bonne décision.

— Mais comment peuvent-ils se tromper à ce point ?

— Les gardes ont en tête la version des militaires.

— Mais toi, tu y étais. Qu’est-ce que tu as vu ?

— À leur place, j’aurais très peur moi aussi. Je l’ai vu faire. Et tu as entendu ? Krys s’exprime dans un calme absolu. Il est très sûr de lui. Comme en pleine guerre.

Je connaissais son arme ultime, la ruse. Mais loin de moi la volonté de lui nuire. Je ne le pensais pas capable de tuer mon père, même s’il le pouvait. Cependant, lui-même avait bien plus à craindre du maître des lieux.

Clément, beaucoup plus incisif et assuré que d’ordinaire, avait pris les choses en main. Sans mon handicap, je l’aurais certainement devancé. Diminuée comme je l’étais, je laissais les décisions aux autres. Qui plus est, l’obligation de trouver un époux m’avait relégué à ma condition première : une femme, un simple instrument au service de l’Etat, destinée à servir dans le plus grand silence.

Dans le bureau, le chef des gardes chercha à débloquer la situation.

— Si nous faisons mine de tirer, il va vous tuer, seigneur. Nous sommes là pour vous protéger. Ne devrions-nous pas plutôt le laisser partir ? Citoyen Krys, accepteriez-vous de quitter le château ?

— Non, le roi doit d’abord amnistier le prisonnier. Ensuite, compte-tenu de ce qui vient de se passer, je dois obtenir l’assurance de pouvoir quitter le château en toute sécurité avec mes compagnons. Le prisonnier nous accompagne.

— Des conditions irrecevables ! répondit mon père.

— Si je vais en prison, je serais exécuté avec les miens. Vous pensez récupérer mes inventions, mais elles ne vous serviront à rien, vous ne comprendrez rien aux procédés de fabrication. Vous perdrez la prochaine guerre !

Krys avait terminé sa phrase de pleine voix, transformant ses mots en malédiction. Les gardes acquis à sa cause hésiteraient à tirer, conscients de l’importance de sa présence lors du dernier conflit. Une habile manœuvre, pensai-je, même s’il s’agissait de la pure vérité.

— Il a prononcé la sentence : il refuse d’obéir ! Il menace votre roi ! Abattez-le !

— Il a mis à terre Duncan à mains nues ! osa un garde. Duncan ! Sans bouger ! Il n’a rien vu venir, sa propre épée plaquée contre sa jugulaire !

Je ne pouvais imaginer les gardes plus tendus que nous l’étions nous-mêmes. La placidité apparente de l’ancien gladiateur nous convainquait de sa capacité d’action. Dans cette pièce, chacun risquait la destitution, mon père également.

Vingt-cinq gardes le séparaient du roi. Nous aurait-il caché certains de ses talents ? Ou son plan ne se fondait-il que sur la dissimulation ?

Subitement, je l’entendis hausser la voix.

— Ne vous approchez pas de cette porte, mon roi. Si vous touchez cette poignée, vous mourrez !

— Que… commença mon père.

Mon père en avait certainement assez. S’il le pouvait, il se retirerait et laisserait les soldats se débrouiller seuls avec Krys. Sans son otage, Krys était perdu, il ne pouvait se permettre de le laisser partir.

Allie fit à nouveau irruption au milieu de nous.

— Ils ont envoyé la cavalerie !

— La cavalerie ? répéta Clément.

— Les trois défenseurs ont reculé. Une trentaine de cavaliers a investi les locaux et la garde a suivi.

— Et ?

— On ne sait trop ce qui se passe. Un vacarme assourdissant nous parvient en provenance de l’intérieur du bâtiment. La cour est remplie d’archers et de fantassins qui attendent d’entrer. Les cris et les hurlements… c’est terrifiant !

— Écoutez ! s’écria Clément.

Nous ne savions à quelle nouvelle accorder notre attention. Ma tante cachait ses lèvres de sa main. L’intendant principal et M. Honfleur, restaient prostrés. Bien des serviteurs avaient le front plissé par l’angoisse. Apeurée par l’expression de nos visages, Allie ne s’en laissa pas conter et partit à toute vitesse rejoindre son lieu d’observation. À l’intérieur de la pièce voisine, nous entendîmes :

— Ne devrions-nous pas appeler le général, seigneur ? Il doit savoir si Krys peut faire ce qu’il dit. Peut-être parviendra-t-il aussi à lui faire entendre raison.

— D’accord, d’accord, répondit le roi, visiblement très fatigué. Appelez le général.

.oOo.

Nous entendîmes une porte claquer. Un long silence s’ensuivit. Nous nous détendîmes.

— J’ai confiance en Gauthier, dis-je.

— Il prendra position pour le roi, assura Clément. Que peut-il faire d’autre ?

En grande réflexion, Antoine Weiser secoua la tête.

— Mais s’il prend position pour le roi, rien ne changera.

— Il va amener des soldats, supposa Clément. Le rapport de force changera.

Krys ne laissera pas faire, pensai-je.

De nouveaux bruits. Clément annonça l’arrivée du général, qui entra, seul. Mon père fut le premier à prendre la parole, puis ce fut au tour de Krys de livrer sa version. Ils parlèrent posément et nous eûmes du mal à capter leurs échanges. Mon père se mit à hausser le ton sans que l’on comprenne ses mots. Le général hésiterait-il ? Krys parla à nouveau dans le plus grand calme, toujours très sûr de lui. Après un moment de réflexion, Gauthier demanda à la garde de temporiser en baissant les armes.

— Général ! gronda mon père.

— Reconsidérons la situation dans le calme, répondit celui-ci. Asseyons-nous et faisons le tour des différentes options. Bientôt, mon roi, nous aurons besoin de toutes nos forces.

Fidèle à lui-même, le chef de nos armées mesurait ce que nous perdrions avec la disparition de Krys. Il envisageait la survie du royaume, non sa carrière. Clément ne voyait pas les choses ainsi. Derrière sa porte, toujours à l’écoute, il fulminait.

— Mon général, est-ce que Krys peut vraiment nous tuer d’un geste avant d’atteindre le roi ?

Nous reconnûmes la voix du chef des gardes. La question le taraudait et sans doute se ménageait-il la possibilité d’agir sans l’appui du chef des armées.

— Oui, il le peut. Baissez vos armes.

Les gardes avaient leur réponse. Sans leur laisser le temps d’en tenir compte, mon père hurla.

— Tirez ! Protégez votre roi, tirez !

La poignée de la porte coulissa, malmenée de l’intérieur. Immédiatement après, ce fut le chaos. Des bruits d’impact nous parvinrent. Clément recula, Père sortit, accompagné de trois gardes. Sans un regard pour nous, comme poursuivi par une bête sauvage, il se précipita en direction des appartements royaux. Du grand bureau s’échappaient cris et bruits de toutes sortes. Clément, au départ figé au passage du roi, jeta un œil dans la grande salle puis nous rejoignit au fond de la pièce. Par crainte de recevoir une flèche, aucun de nous ne bougea, tout le temps des échauffourées. Le tumulte s’intensifia, plus important encore que si les gardes se battaient entre eux. Le général appela ses soldats à la rescousse. Sans doute, ceux-ci attendaient non loin de là. Nous vîmes Krys passer comme une flèche, suivi du général et de soldats.

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