Chapitre 90 : Une demande particulière

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C'était une belle journée d'octobre 1861. La chaude humidité qui suivait la mousson s'estompait et les températures redevenaient très agréables. Après avoir passé un nouvel été à Bhimtal, les familles Randall et MacLeod étaient de retour depuis peu à Lucknow. Luna était contente de retrouver sa maison et son grand-père : Don Felipe n'avait pas voulu, cette année, faire le voyage pour la montagne et avait préféré rester chez lui. Il se portait bien, cependant, et n'avait pas trop souffert du chaud été, ni de la mousson.

En cet après-midi, Luna venait de coucher le petit Henry. A bientôt quatorze mois, c'était un bébé aussi facile que l'avait été sa sœur, quoiqu'un peu plus gourmand. Il avait aussi moins aisément trouvé son rythme de sommeil et c'était seulement à Bhimtal que Luna avait pu enfin passer des nuits complètes. Ameera pensait, à juste titre, que le printemps précoce, avec des températures qui étaient vite montées, lui avait rendu le sommeil plus difficile. Leur retour à Lucknow n'avait rien changé et Luna en était bien soulagée : elle n'aurait pas voulu que leur fils trouble le sommeil d'Alex, puisque le petit garçon dormait dans leur chambre, et y dormirait encore tant qu'elle l'allaiterait.

La jeune femme gagna le grand patio, puis le jardin. Don Felipe se reposait lui aussi, comme toujours en début d'après-midi. En revanche, Myriam ne dormait plus et passait beaucoup de temps à observer la nature. Depuis leur séjour à Bhimtal, elle s'était trouvé une occupation qui lui plaisait particulièrement : elle apprenait à dessiner et s'appliquait à reproduire les fleurs, les feuilles et les animaux qui l'entouraient. Luna se demandait si elle n'avait pas subi l'influence des murs peints de sa chambre. Toujours était-il qu'elle faisait de nets progrès.

Sonya était installée à l'ombre des orangers, avec sa petite-fille. Assise à une table, Myriam dessinait la belle fleur d'oranger posée devant elle, que sa grand-mère lui avait cueillie. Sonya, elle, poursuivait un ouvrage de crochet : elle voulait faire un petit vêtement pour Henry, comme elle l'avait fait autrefois pour Myriam.

- Henry s'est endormi ? demanda-t-elle en voyant Luna s'approcher.

- Oui, assez facilement. Ameera reste à côté.

La jeune femme s'assit dans le fauteuil voisin de celui de sa belle-mère et ajouta :

- Il fait vraiment bon ici, c'est agréable.

- Tout à fait. Même s'il fait plus chaud qu'à Bhimtal, surtout l'après-midi, nous ne sommes plus comme au printemps, à étouffer et à ne pas pouvoir profiter du jardin. Je crois que Myriam est très contente que nous puissions nous installer ici.

- Oui, répondit la petite fille sans lever le nez de sa feuille. Je dessine mieux les fleurs ou les oranges quand je suis sous les orangers. C'est pareil avec les bougainvilliers : je les dessine mieux quand je suis à côté.

Luna sourit avec tendresse. Elle n'était pas étonnée de cette remarque et de cette sensibilité que sa fille développait avec le temps.

- Est-ce que papa sera là ce soir ? demanda-t-elle encore.

- Oui. Il ne repart pas avant quelques temps, fit Luna. Enfin, normalement.

- Je n'aime pas quand il n'est pas là. Déjà qu'on ne l'a pas vu pendant longtemps quand on était à Bhimtal ! Quand on sera plus grand, on n'ira plus à Bhimtal, hein, maman ?

- Tu sais, Myriam, je crois que quand vous serez plus grands, au contraire, vous apprécierez bien d'aller à la montagne, tous autant que vous êtes ! Car l'été ici peut être vraiment suffocant, puis si humide avec la mousson... Tu étais encore petite quand nous avions passé deux étés ici, et ce n'était pas facile. Et puis, un voyage, c'est toute une aventure et cela plaît beaucoup à Roy, je crois !

- Roy, soupira Myriam. Il veut toujours bouger !

- Comme son papa, s'amusa Sonya. Toujours quarante pas en avant !

- Et à force de le dire, il le fait vraiment, ajouta Luna.

A cet instant, elles entendirent une voiture entrer dans la cour.

- Et tiens, fit Sonya, quand on parle de Roy... Le voilà déjà !

La voiture s'était en effet à peine arrêtée que le petit garçon en était descendu et courait vers elles. Brenda qui l'accompagnait eut à peine le temps de remercier le domestique qui les conduisait, mais voyant que Sonya et Luna étaient au jardin, elle ne se précipita pas pour suivre son petit neveu.

- Brenda ! fit Luna. Quelle belle surprise !

- Bonjour, Luna. Bonjour, Sonya. Allez-vous bien ?

- Oui, répondit Sonya. Nous profitions de l'ombre agréable des orangers... Et Myriam était en train de réaliser un nouveau joli dessin.

- Myriam ! fit Roy qui avait lui aussi salué les deux femmes, on va jouer ?

- Roy, un peu de patience... fit Brenda. Laisse Myriam terminer son dessin !

- Elle en a pour des heures... fit-il en levant les yeux au ciel. Sinon, je vais tout seul en exploration !

- Non, pas tout seul, fit Brenda. Tu vas attendre un petit peu.

- On peut demander à Pedro ?

- Pedro est occupé avec son papa aux ateliers, fit Sonya. Mais tu le verras tout à l'heure, certainement.

- Chouette ! Il pourra jouer à cache-cache avec nous !

- Je pense qu'il en trouvera le temps... sourit Luna. On va demander à Jivan de venir avec toi.

Jivan était le plus jeunes des fils d'Hamid et de Nadja. Agé de neuf ans, il connaissait le jardin comme sa poche et aimait beaucoup jouer avec les enfants. Il était toujours ravi lorsque Sophie ou Brenda leur rendaient visite et venaient avec Roy et Elisabeth. Pour l'heure, la petite fille restait encore sous étroite surveillance, mais il trouvait toujours des jeux pour les occuper tous les trois. Souvent, lorsque Luna allait voir ses amies, elle l'emmenait avec elle : Sophie et elle avaient alors l'assurance que les trois enfants étaient sous bonne garde. Jamais encore Roy n'était parvenu à prendre Jivan en défaut.

- Installe-toi, Brenda, fit Luna. Je vais chercher Jivan et demander à Satya de nous préparer des boissons fraîches. A moins que tu ne préfères du thé ?

- Non, une orangeade, cela ira très bien ! Alors, Myriam, que dessines-tu aujourd'hui ?

- Une fleur d'oranger, répondit la petite fille. Mais bon, je continuerai tout à l'heure. Sinon, Roy va s'ennuyer...

Le petit garçon lui adressa un grand sourire et lui attrapa la main alors qu'elle quittait sa chaise, pour l'entraîner déjà à tourner autour du grand bassin.

- Pas plus loin, Roy ! fit Brenda. Pas plus loin tant que Jivan n'est pas arrivé !

- Me voilà, Miss Brenda, répondit le grand garçon. Je vais m'en occuper ! J'ai aperçu ce matin des nids d'oiseaux dans le grand banian et je vais les leur montrer. Peut-être que Dona Myriam voudra les dessiner demain...

Brenda sourit avec attendrissement. Jivan était vraiment un petit garçon attachant et serviable, tout comme ses parents.

**

- Tiens, Miss Brenda ! Que nous vaut l'honneur de cette visite ?

Don Felipe arrivait, suivi d'Ameera qui portait Henry.

- Il s'est réveillé, Dona Luna, expliqua-t-elle.

- En même temps que moi ! sourit Don Felipe avec tendresse.

- C'est toujours ainsi, fit remarquer Sonya.

- Je vais m'en occuper, dit Luna, reprenant son fils dans ses bras et retournant vers la maison. Je vous rejoins tout à l'heure, quand ce petit gourmand aura mangé.

Henry ne parlait pas encore, mais il offrit un grand sourire à sa mère. Don Felipe prit place avec Sonya et Brenda et s'inquiéta d'où se trouvaient les enfants.

- Je ne suis venue qu'avec Roy, pour qu'Elisabeth puisse faire sa sieste et Sophie voulait aussi se reposer, expliqua Brenda. Mais elle va bien et vous passe le bonjour.

- Tu la remercieras et lui transmettras le nôtre aussi, dit Sonya. Voulez-vous boire quelque chose, Don Felipe ?

- Je vais prendre un thé, oui, volontiers. C'est encore la boisson la plus agréable pour moi à cette heure.

Ils parlèrent ainsi un moment, surtout des enfants, jusqu'au retour de Luna. En apercevant son aïeul, Henry voulut se glisser sur ses genoux. Une fois bien installé, il tapa dans ses mains et offrit des sourires et des rires aux trois femmes qui l'entouraient.

- Qu'il est jovial ! s'amusa Brenda. N'est-il jamais ronchon ?

- Quand il a faim, si ! rit légèrement Luna. Mais je reconnais qu'il n'est pas capricieux. Il sait cependant bien faire comprendre ce qu'il veut et les genoux de mon grand-père font partie de ses endroits préférés avec les bras de son père. Si Alex arrivait maintenant, il voudrait absolument s'y trouver !

- En ce moment, il n'y a que les bras de William qui calment Elisabeth, soupira Brenda. La pauvre fait une dent et c'est bien douloureux semble-t-il. On la voit bien, mais elle ne veut pas percer... Will a dit qu'il y passerait le fil de son couteau si ça continuait, mais Sophie n'est pas du tout d'accord !

- Will a toujours des solutions extrêmes aux différents problèmes qui se présentent... Comme foncer tout droit ! fit encore Don Felipe en regardant Henry avec tendresse et amusement.

Les enfants revinrent à ce moment-là, pour se désaltérer un peu, mais Roy voulut bien vite retourner jouer plus loin - et si possible, loin des adultes. Jivan se fit un plaisir de les accompagner, Myriam et lui, précisant qu'ils iraient jusqu'à la rivière, pour observer peut-être des libellules ou des poissons, puis qu'ils reviendraient.

- Je suis venue vous voir aussi cet après-midi, car j'avais quelque chose d'un peu particulier à demander à Don Felipe, reprit Brenda.

- Oh, bien, fit-il. Je vous écoute. En quoi puis-je vous rendre service, Brenda ?

- Et bien... commença-t-elle, avant de s'interrompre.

Luna remarqua qu'elle serrait fort ses mains entre elles et qu'elle paraissait légèrement émue.

- Voilà. Je voulais vous annoncer qu'Arthur m'a fait sa demande et que je l'ai acceptée.

- Oh ! firent Luna et Sonya en chœur. Quelle belle nouvelle, Brenda ! ajouta Luna en se levant pour la serrer dans ses bras. Je suis très heureuse pour vous deux !

- Moi de même, fit Sonya qui s'était levée à son tour. C'est une nouvelle des plus réjouissantes ! Et j'imagine que Sophie a accepté aussi...

- Oui ! Elle a même ajouté qu'elle commençait à se demander si Arthur allait se décider... et moi aussi, ajouta la jeune fille avec un sourire. Et donc... Je voulais vous demander, Don Felipe, si vous accepteriez de me conduire à l'autel...

Le vieil homme ne s'attendait pas du tout à cette demande et resta un moment figé. Il porta sa main tordue à son visage, lissa sa courte barbe, puis finit par dire, d'une voix un peu enrouée :

- Oui, Brenda, bien entendu... J'accepte volontiers.

- Merci beaucoup, répondit la jeune fille en se levant et en lui prenant la main. Je suis très touchée que vous acceptiez. Vous avez tellement pris soin de moi depuis notre fuite de Meerut... Je ne pouvais pas demander à quelqu'un d'autre. Et comme mon cher papa n'est plus...

- Et avez-vous déjà fixé une date pour la noce ? demanda Don Felipe.

- En janvier, répondit Brenda. Sophie préférait que j'aie dix-sept ans et je les aurai en décembre. Et puis, en janvier, le temps est si agréable... C'est un meilleur choix qu'avril ou mai. Ou pire, d'attendre encore plus tard avec la mousson.

- Bien entendu, fit Sonya. Et cela laisse un peu de temps pour tout organiser. Ce sera une jolie fête, j'en suis certaine.

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