Chapitre 67 : La prise de Lucknow

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J'ai simplifié au mieux les détails de la bataille de Lucknow, de même pour les suites de la prise de la ville. Selon certaines sources, même si les rebelles quittèrent la ville, les combats se poursuivirent durant plusieurs mois et la province ne fut aux mains des Britanniques qu'au cours de l'année 1859, voire 1860 pour certaines parties.

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Lucknow, 18 décembre 1857

Mon cher amour,

Je me réjouis d'avoir reçu votre lettre et de pouvoir aussitôt vous répondre. Vous voici tous en sécurité à Calcutta, et c'est avec une joie profonde que j'ai appris que vous y aviez retrouvé Rodrigo et Isabella, mais aussi ma mère. Ainsi était-elle parvenue jusqu'aux Indes, malgré mes recommandations de ne pas entreprendre ce voyage.

Enfin, la voici auprès de vous et j'imagine son bonheur à avoir fait connaissance avec Myriam.

Nous tenons toujours nos positions au sud et à l'est de la ville. William, Nagib et moi sommes cantonnés à Alam Bagh, sous les ordres de James Outram. Sir Lawrence a en effet abandonné le commandement, mais demeure avec nous et apporte ses précieux conseils à l'état-major. Nous ne menons pas vraiment d'offensive militaire, nous limitant à assurer notre présence et à contrôler les mouvements des rebelles, tout en les empêchant de quitter Oudh. J'ignore totalement, à l'heure où je vous écris, combien de temps cette situation va durer. Tout ce que je peux dire, sans l'affirmer pour autant, est que lorsque nous lancerons une vraie offensive, elle sera d'envergure et son objectif sera bel et bien de reprendre la ville et de mater le dernier foyer de rébellion.

Je n'ai pu me rendre encore à la Casa de los Naranjos, car elle ne se trouve pas dans le périmètre dont nous avons le contrôle. Tout ce dont je peux vous assurer, c'est que ce secteur demeure relativement calme et épargné par les mouvements de foule : les rebelles utilisent le Stone Bridge pour passer la Gomti et se diriger vers l'ouest, puisqu'il n'y a pas de ponts ou de gués en-dehors de la ville pour la traverser avant une très longue distance. Faites savoir cela à votre grand-père et que je m'y rendrai dès que cela sera possible.

Ma chère et tendre, ma douce, mon amour, je pense à vous chaque jour. Ma dernière pensée le soir est pour vous et pour Myriam. Vous me manquez, mais nous serons bientôt réunis, j'en suis certain.

Prenez soin de vous, de notre fille, de tous nos proches.

Je vous aime.

Alex

Avec soin, Alex relut sa lettre, la plia et la glissa dans une enveloppe. Puis il quitta la tente où il était logé, avec William et Nagib, et se rendit au fort. Il put y déposer son courrier avant que les soldats chargés de la liaison avec Calcutta ne quittent le campement.

Ils étaient mi-décembre, les réfugiés de Lucknow venaient d'atteindre Calcutta et Luna s'était empressée de lui donner de leurs nouvelles. Il avait été surpris et heureux d'apprendre que sa mère se trouvait avec eux, mais n'avait pu s'empêcher de ressentir une profonde inquiétude à imaginer qu'elle aurait pu se retrouver en plein cœur du soulèvement. Fort heureusement, elle avait été bloquée à Calcutta, avec Rodrigo et Isabella.

Il ne pouvait que se réjouir de cette situation, sachant que beaucoup avaient perdu des proches, parents, enfants, amis, dans des conditions effroyables. Que des images, terribles, les hanteraient toute leur vie. Qu'ils auraient tout à reconstruire. Sa crainte était, en retour, qu'il n'y ait de terribles représailles et que cela n'alimente un sentiment de haine plus marqué encore. Certes, il fallait mater la révolte, mais laisser la vengeance se déchaîner n'était pas une solution. Il savait, hélas, qu'ils étaient encore trop peu nombreux à penser ainsi. En cela, il se réjouissait que, malgré l'épuisement consécutif au siège, Sir Lawrence soit demeuré avec eux. S'il était un homme capable de limiter les actes de barbarie à l'encontre d'une population innocente ou qui n'avait pas eu d'autres choix que de soutenir les rebelles sous peine d'être massacrée, c'était bien lui. Et Alex espérait qu'il aurait encore assez d'influence et d'aura pour exercer ce rôle, même s'il n'assurait plus aucune fonction de commandement.

William, malgré les horreurs qu'il avait pu voir et entendre, tout le long de sa route le menant depuis l'été à Lucknow, partageait son avis. Il savait que, dans certains endroits, une fois les cipayes mutinés passés, la racaille avait suivi. Vols, pillages, viols, massacres étaient plus souvent le fait d'une faune sans foi, ni loi, et non de simples paysans ou de la population des villes et villages. Et se retourner contre eux serait non seulement inutile, mais surtout injustifié.

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Colin Campbell, après l'échec de sa première tentative de novembre pour remporter la victoire, avait décidé de prendre son temps pour préparer minutieusement une nouvelle attaque. Dans son esprit, ce devrait être le dernier combat pour libérer enfin la ville et reprendre son contrôle, chasser les rebelles, voire arrêter quelques meneurs comme Nânâ Sâhib qui avait fui Kanpur après la déroute de novembre.

Il ne voulait rien laisser au hasard, que ce soit en nombre d'hommes, de canons, en préparatifs divers. Et ce fut seulement au mois de mars 1858 qu'il mit ses troupes en marche depuis Kanpur et le fort d'Alam Bagh où d'importants contingents étaient stationnés et empêchaient toute fuite des rebelles vers le sud.

Pour Alex, William et Nagib, les conditions du siège avaient pris une tout autre tournure qu'au cours de l'été et de l'automne. Non seulement les conditions de vie s'étaient grandement améliorées et le rationnement avait été supprimé, mais le quotidien était maintenant ponctué par le rythme de la vie militaire. Comme dès les premiers jours de la mutinerie, les officiers tenaient une réunion quotidienne pour faire le point sur la situation. Il ne s'agissait plus de contrer des assauts, de compter les batteries dangereuses, mais d'organiser des opérations de contre-attaque. Des sorties avaient lieu régulièrement, opérations qui tenaient plus du harcèlement des rebelles que véritables tentatives de prendre le contrôle de la ville. L'objectif était clair : maintenir la pression sur les cipayes, tout en bloquant des troupes ennemies dans ou proches de la ville, pour éviter qu'elles ne s'éparpillent aux alentours et qu'il ne soit alors plus difficile, une fois la ville reprise, de mettre la main sur eux.

Au cours des premières semaines de l'année 1858, Alex n'eut pas l'occasion de se rendre à la Casa de los Naranjos, située trop loin du camp militaire. Il n'était pas prudent non plus qu'il s'aventure hors du périmètre contrôlé par l'armée britannique. Il allait devoir attendre que la rébellion soit totalement matée à Lucknow pour y faire une première visite.

Lorsque l'attaque se déclencha, au début du mois de mars, Alex eut cependant le cœur serré. Malgré tous leurs efforts, il savait que lui, William, Nagib et quelques autres ne pourraient empêcher les exactions, les massacres inutiles et le pillage de la ville par les troupes britanniques et leurs alliés. L'armée du général Campbell laissa un champ de ruines derrière elle et beaucoup de ressenti dans la population. Ceux qui avaient pu quitter la ville avant l'arrivée des troupes l'avaient fait, mais beaucoup de petites gens avaient dû y demeurer, s'étaient calfeutrés dans leurs maisons. Et beaucoup n'avaient pu résister lorsque les troupes avaient fait le tour de la ville, cherchant encore des rebelles et leurs complices, blessés ou valides, et il suffisait parfois d'un regard hésitant, d'un geste mal interprété pour que des innocents soient fusillés.

L'attaque fut engagée de deux côtés : au sud avec une première troupe menée par Colin Campbell et à l'est par une autre menée par James Outram. William, Alex et Nagib y participèrent en se trouvant sous les ordres du lieutenant-général Campbell. Le but était de prendre en tenaille les rebelles, de les bloquer dans le centre de la ville.

En cette mi-mars 1858 arriva donc jusqu'à Calcutta la nouvelle que la révolte des cipayes était quasiment matée puisque le dernier bastion des rebelles, Oudh, était désormais aux mains des Britanniques. Des poches de résistance demeurèrent et furent réduites au cours des mois suivants.

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