Chapitre 49 : Protéger Myriam

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C'était un des rares soirs où la furie des hommes semblait s'être éloignée du quartier de la Résidence de Lucknow, un de ces soirs où, malgré la mousson, un calme étrange s'étendait sur les lieux meurtris, apaisant aussi le cœur des hommes. La pluie avait cessé, mais l'air était empli d'une chaude humidité et une brume se levait au-dessus de la ville, de la rivière, des jardins. De la terrasse encore intacte qui bordait les deux pièces où vivaient les réfugiés de la Casa de los Naranjos, on voyait le palais de la Begum à travers une ouate floue et vaporeuse.

Alex et Luna se tenaient là, lui s'était appuyé contre le mur et l'avait prise dans ses bras, dos à lui. Ils regardaient les jardins, quasiment vides : tout le monde se mettait à l'abri pour se protéger des averses fréquentes. Luna avait encore bien à l'esprit les propos échangés avec Lady Honoria, mais se demandait comment en faire part à Alex. Une femme n'était pas autorisée à demander un homme en mariage, c'était totalement inconvenant. Seule la Reine d'Angleterre, Victoria, pouvait se le permettre. Mais Luna savait aussi mettre les convenances de côté et être pragmatique. Et, pour l'heure, ce qui la préoccupait était sa fille. A défaut de pouvoir la faire baptiser, elle voulait au moins qu'elle puisse porter le nom de son père.

De son vrai père.

Alex tourna légèrement la tête et embrassa la tempe de Luna, puis il soupira doucement.

- Vous entendez ? demanda-t-il. Aucun coup de fusil, aucun tir de canon depuis le milieu de l'après-midi... C'est un silence étrange après toutes ces journées...

- Oui, fit Luna d'un air soudain concentré, comme si elle n'avait pas remarqué jusqu'à présent ce silence dont Alex lui faisait part. Est-ce que vos hommes récupèrent ?

- Oui. Même si l'humidité et la chaleur vont vite devenir désagréables ; pour l'heure, tout le monde trouve cela profitable. Nous ne sommes plus obligés de placer autant de gardes sur la muraille, de solliciter autant les hommes. Ce répit fait du bien à tous. Et vous ?

- Nous ne sommes pas oisives, dit Luna. Seule Sophie a cessé de nous aider, ce que je préfère. Elle ressent par moment des douleurs qui ne me rappellent pas du tout ce que j'ai pu moi-même éprouver. Ameera m'a rassurée cependant et m'a dit que c'était son bébé qui bougeait vraiment beaucoup. Que tous les bébés ne bougent pas forcément autant. Elle m'a dit que Myriam était un bébé calme à côté de celui de Sophie.

- Peut-être que cela n'est pas étonnant, sourit Alex. L'enfant de William s'annonce aussi énergique que son père !

Luna rit doucement de ces propos et Alex sentit que ses mots pourraient contribuer aussi à la rassurer pour son amie. Il se demandait cependant si Sophie n'accoucherait pas durant le siège. Ce qu'il avait, un temps, craint pour Luna se produirait peut-être pour la jeune épouse de William. Il s'abîma dans ses pensées, songeant à son ami. A l'inquiétude dévorante qui devait le tarauder, car il se doutait que William ignorait tout de l'endroit où se trouvait Sophie, ni même qu'elle était encore en vie et autant à l'abri que possible. S'il avait été à la place de William, sans doute que cette situation l'aurait rendu fou.

Luna le tira de ses pensées :

- Alex...

- Oui ?

- Je sais que nous sommes dans une situation très difficile, que nous ne pouvons qu'espérer qu'une armée vienne nous sortir de là, un jour plus ou moins proche. Peut-être qu'elle ne viendra jamais, ou trop tard. Mais je voudrais... Je voudrais mettre Myriam à l'abri.

- Elle l'est autant que possible, ici. Quitter la Résidence serait une folie, même en se faisant passer pour des Indiens.

- Ce n'est pas à cela que je pensais. Je n'ai pas l'intention de partir. Même si notre situation est délicate, c'est la moins mauvaise que nous puissions trouver, à moins de parvenir à Calcutta, j'en suis bien consciente. Mais un voyage serait beaucoup trop dangereux.

Il hocha la tête, l'écouta avec attention. Elle poursuivit :

- Non, quand je dis que je voudrais mettre Myriam à l'abri, je pensais... à Lord Colleens. Je ne veux pas qu'il puisse la considérer comme sa petite-fille. Nous ne pouvons pas la faire baptiser comme nous l'aurions voulu, mais...

- Mais il est une autre façon de la protéger, termina Alex. Et nous allons le faire.

Luna se tourna alors vers lui et le fixa droit dans les yeux.

- Oui, dit Alex avec sérieux. Je vous aime. Je vais vous épouser. Et Myriam portera alors mon nom.

Luna ne dit rien, le regarda encore un moment avant de tendre sa main vers sa joue et d'attirer son visage vers le sien. Elle l'embrassa alors tendrement, puis avec ferveur. Quand ils rompirent leur baiser, Luna murmura contre les lèvres du jeune homme :

- Moi aussi, je vous aime.

**

Le lendemain de son échange avec Luna, Alex s'arrangea pour demeurer seul avec Arthur et Sir Lawrence dans le bureau de ce dernier, une fois l'entrevue matinale avec les autres officiers terminée. Sir Lawrence avait deviné que le jeune homme avait quelque chose de particulier à voir avec eux deux, mais était loin de se douter de sa demande. Une fois la porte refermée après le départ du colonel Bradley qui avait été le dernier à quitter le bureau, il s'assit simplement dans son fauteuil et dit :

- Alors, Alex, quelle est cette question que vous vouliez aborder uniquement avec Arthur et moi ?

Alex sourit. Même s'il n'avait pas utilisé ces termes devant les autres officiers, il n'était pas étonné que Sir Lawrence ait compris sa demande.

- Une question toute personnelle, Monsieur, répondit-il.

Arthur, le bras encore en écharpe, leva un sourcil étonné, mais ne dit rien. Alex poursuivit :

- J'ai besoin de deux témoins. Et j'ai pensé à vous.

Sir Henry eut un petit sourire, il avait déjà compris, mais Arthur semblait encore indécis :

- Un témoin ? Pour quoi donc, Alex ?

- Pour mon mariage.

Un grand sourire s'afficha cette fois sur le visage du lieutenant.

- Ah, je comprends mieux ! Je pensais que tu avais provoqué quelqu'un en duel ! Ce n'était pas du tout le moment...

- Il n'est vraiment pas question de cela, sourit Alex. Monsieur... ?

- J'accepte, Alex, bien entendu. Et pour ce qui est des témoins de votre future épouse ? demanda encore Sir Lawrence.

- Je crois que votre propre femme a accepté, répondit Alex. Et Sophie MacLeod également. Je vais rencontrer le pasteur dès que possible, mais je pense que cela pourra se faire d'ici deux ou trois jours.

- Alors, c'est parfait. Nous n'avons pas l'occasion de beaucoup nous réjouir en ces jours difficiles, alors je dirais simplement qu'il faut en profiter.

- C'est juste, fit Arthur. Bien, maintenant que cela est convenu, je crois qu'on nous attend sur les murailles...

Les deux jeunes gens prirent congé et se dirigèrent ensemble vers leurs postes. Arthur, malgré sa blessure, retournait de temps à autre auprès de ses hommes, pour suivre l'évolution de la situation. Il n'y restait jamais bien longtemps et Alex et le Major Evans assuraient toujours le commandement de ses soldats. En chemin, Arthur se montra cependant un peu curieux :

- Ainsi, tu as pris ta décision, Alex.

- Oui. Compte tenu des circonstances, c'est le mieux que nous puissions faire. Et je tiens à protéger ma fille, aussi.

Arthur hocha la tête, garda le silence durant quelques pas, puis dit :

- Tu sais que j'ai longtemps pensé que tu avais choisi une Indienne... et que c'était pour cela que tu étais si discret. Je n'aurais pas pensé à Luna de Malanga jusqu'à ce que tu l'amènes ici... Mais... Bien entendu, les circonstances sont ce qu'elles sont, néanmoins, elle est à peine veuve...

- Je le sais et elle aussi. Mais au diable les convenances, fit Alex. Nous vivons dans l'adultère depuis plus d'un an, Arthur, et Myriam est ma fille. Qui sait ce que demain nous réserve ? Si je suis blessé ou tué ici, je veux que Luna et Myriam soient à l'abri. Autant qu'il sera possible.

- Je pense... Oui, je pense que tu as raison. Et que certaines obligations peuvent être mises de côté quand les circonstances s'imposent.

- Etre pragmatique et sensé permet souvent de rester en vie, alors qu'obéir aveuglément à des principes idiots... Excuse-moi, Arthur, les principes ne sont pas toujours idiots.

Arthur éclata de rire et dit :

- En tout cas, je suis heureux de t'assister. Et d'être présent pour Dona Luna également. Mais il manquera Will...

- Je ne sais pas où est Will, fit Alex d'un ton inquiet, j'espère qu'il est encore en vie. Il a aussi une femme et un futur enfant qui l'attendent...

Le visage d'Arthur, de rieur, se fit grave. Il hocha simplement la tête et n'ajouta plus rien : ils arrivaient au pied des murailles et leur devoir les appelait.

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