Chapitre 36 : C'était mieux que rien

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Le soir-même de cet entretien avec Sir Lawrence, Alex se rendit à la Casa de los Naranjos. Depuis qu'il avait repris son poste et malgré l'envie qu'il avait de retrouver Luna chaque jour, il n'y passait que deux fois par semaine en moyenne. Les préparatifs de Sir Lawrence à la Résidence se déroulaient en grande partie la nuit, pour demeurer autant que possible secrets. C'était Arthur qui en avait la responsabilité et, tout naturellement, Alex allait lui porter assistance.

Néanmoins, ce soir-là, il estima que c'était son devoir de prévenir Don Felipe. Nagib était parvenu, durant sa convalescence, à infiltrer un groupe de rebelles et avait obtenu une information des plus précieuses, mais que Sir Lawrence n'avait communiquée qu'à des très proches : un soulèvement était bel et bien en préparation, mais pour qu'il réussisse, il devait se produire simultanément dans toutes les casernes des Indes. Et il était prévu que ne rien ne se passe avant la fin du mois de mai. "Cela nous laisse encore quelque semaines", songea Alex en chevauchant tranquillement sur la route qui menait à la Casa de los Naranjos. "Il faut que je parvienne à les décider à partir, même si Luna est proche d'accoucher. Il ne faut pas qu'ils restent ici."

Cependant, il n'était certain de rien : la station de Bhimtal serait-elle sûre ? Ou valait-il mieux les faire partir pour Calcutta ? Au pire, de là-bas, une évacuation vers l'Angleterre serait toujours possible. Mais Luna pourrait-elle voyager jusque là ? A chacune de ses visites, désormais, il voyait son visage marqué par la fatigue, ses traits tirés, les cernes sous ses yeux, quand bien même elle lui souriait et était heureuse de le revoir. Malgré toute l'attention d'Ameera, Luna dormait maintenant très mal. L'enfant était lourd et elle avait du mal à se déplacer.

Quand Alex arriva, il trouva Don Felipe et Luna attablés dans le patio. Don Felipe fit aussitôt dresser un couvert pour Alex et il prit place avec eux. Luna tendit la main vers lui, il s'en saisit et y déposa un léger baiser.

- Comment allez-vous ? demanda-t-il d'un ton où il s'efforça d'atténuer l'inquiétude.

- J'ai pu dormir à peu près correctement la nuit dernière. Mais il me tarde d'en finir... lui dit-elle en souriant.

Elle soupçonnait son inquiétude et ne voulait pas en ajouter. Alex hésita : devait-il parler devant elle ou attendre de pouvoir se retrouver seul avec Don Felipe et Rodrigo ? Il choisit la deuxième solution et ils passèrent un moment agréable, même si Luna ne prolongea pas sa présence avec eux. Pour la première fois, peut-être, Alex fut heureux de la voir les quitter.

**

Le jeune homme se leva, fit quelques pas dans le patio et se roula une cigarette. Il commença à fumer. Don Felipe l'observa tout en sirotant un petit verre de porto.

- De mauvaises nouvelles, Alex ? finit-il par demander.

- Oui, Monsieur. La situation devient de plus en plus inquiétante. Nous soupçonnions qu'une révolte pourrait éclater, mais nous avons recueilli d'autres preuves et nous craignions désormais bien pire : une mutinerie de grande ampleur.

- Que préconisez-vous ?

Alex appréciait la concision de Don Felipe : pas de discours inutiles, nul besoin de longues plaidoiries. Un peu comme Sir Lawrence, mais avec une autre façon de voir les choses, il lui faisait confiance et acceptait ses propos sans les remettre en cause.

- Que vous partiez, dit-il en se retournant vers le vieil homme et en le fixant droit dans les yeux. Le mieux serait de rejoindre Calcutta. De là, au pire, une évacuation sera possible. J'espère bien entendu que nous n'en arriverons pas là, seulement...

- Luna n'est pas en état de faire un tel voyage, fit remarquer Don Felipe tout en sachant très bien qu'Alex en avait conscience. Elle pourrait accoucher en route et qui sait dans quelles conditions...

- Je le sais et cela me pèse autant qu'à vous.

- Plus, je crois, fit Don Felipe avec un maigre sourire. Mais alors...

- Elle pourrait rester ici. Avec Ameera et quelques serviteurs. Mais vous, ainsi que Rodrigo et sa famille, devriez partir. Et renvoyer dans leurs familles et leurs villages les serviteurs qui ne vous sembleraient pas utiles ici. Ne garder à la Casa de los Naranjos que le moins de monde possible. Je ne pense pas que vos serviteurs, bien qu'ayant travaillé pour des Européens, aient quoi que ce soit à craindre. A la moindre alerte, je la ferai venir à la Résidence.

Don Felipe ne répondit pas et Alex lui accorda le temps de réflexion dont il avait besoin.

- Je veux bien accéder à une partie de votre demande, Capitaine, mais je resterai ici. Au moins jusqu'à la naissance. Après, si Luna peut voyager et que vous estimez que nous pouvons encore le faire, nous partirons. Là où ce sera possible.

- A Bhimtal, vous serez peut-être en sécurité, mais je n'en ai pas la certitude. Si tout s'embrase, il n'y aura de sécurité nulle part, dit Alex. Mais je comprends que vous vouliez rester.

- Je le fais pour Luna, mais aussi pour ce que j'ai ici.

- Les biens ne seront que peu de chose au regard d'une vie, fit remarquer Alex.

Don Felipe hocha la tête : il croyait Alex. Il savait que le jeune homme ne dramatisait pas la situation pour le plaisir. Il fit un simple signe à un serviteur et lui demanda de faire venir Rodrigo. En quelques mots, Alex le mit au courant de la situation, ne révélant cependant pas l'affaire des cartouches, ni la date de la fin mai dont Nagib avait eu connaissance pour un soulèvement. Il se contenta de leur dire que, pour l'heure, les conditions étaient encore réunies pour un départ. Et sans précipitation.

- J'obéirai à vos ordres, Don Felipe. Et aux conseils du capitaine Randall, ajouta Rodrigo en jetant un regard à Alex.

- Alors, vous allez vous préparer à partir, Isabella, Pedro et vous. Vous serez escortés par Yussev et les siens. Ce sont de bons combattants, aguerris et fiables. Je vous saurai en sécurité avec eux.

Pedro était le fils de Rodrigo et d'Isabella et il était âgé de quatorze ans. C'était déjà un grand adolescent. Il était vif d'esprit, serviable et intelligent. Rodrigo avait commencé à le former depuis une bonne année à l'intendance pour qu'il puisse prendre la relève, le jour venu.

- Et vous ? demanda simplement Rodrigo.

- Je resterai avec Luna, répondit Don Felipe. Jusqu'à la naissance. Ensuite, selon la situation et si elle est en capacité de voyager, nous partirons. Là où le capitaine Randall l'estimera possible et sûr.

Alex hocha simplement la tête : c'était déjà mieux que rien, même s'il aurait préféré que Don Felipe quittât aussi Lucknow : un voyage, pour lui, devait se faire plus lentement que pour Rodrigo et sa famille. Et, au moins, avec Rodrigo, Alex aurait vu partir Don Felipe en étant assez confiant. Mais il comprenait aussi le souhait du vieil homme de rester auprès de Luna.

**

La chambre était plongée dans la pénombre, mais Luna ne dormait pas. Couchée sur le côté, son ventre marquait le lit d'une forme généreuse. Elle avait somnolé un moment, après avoir quitté Alex et son grand-père, mais elle était maintenant bien éveillée. Elle attendait Alex, elle espérait qu'il viendrait.

Quand, enfin, elle entendit quelques bruits dans le couloir, elle reconnut la voix d'Ameera et celle, plus grave, d'Alex. Ils n'échangèrent que quelques mots qu'elle ne comprit pas et il entra dans la chambre l'instant d'après. Elle se sentait soulagée et rassurée qu'il soit là, qu'il passe la nuit avec elle. Elle ignorait d'où lui venait cette inquiétude, peut-être était-ce seulement à cause de l'enfant.

Alex se glissa bien vite sous la moustiquaire, la remit soigneusement en place et s'allongea près de Luna. Elle vint aussitôt se coller à lui, l'enlacer et le ventre rond épousa son torse. Le bébé bougea et Alex le sentit comme onduler contre lui. Il en sourit, oublia un instant ses inquiétudes et les décisions à prendre pour assurer la sécurité de tous. Son échange avec Ameera lui avait confirmé une donnée pour lui essentielle : l'enfant naîtrait avant la fin du mois de mai. Et le plus tôt, selon Alex, serait le mieux, afin qu'ils puissent envisager de leur faire quitter Lucknow dès que Luna serait remise de son accouchement.

- Vous ne dormiez pas ? demanda Alex en caressant doucement les épaules et le dos de Luna.

- J'ai somnolé un peu. Je ne suis pas réveillée depuis longtemps, répondit-elle. Je dors mieux avec vous.

Il eut un petit sourire et l'embrassa tendrement. Elle se colla encore un peu plus à lui et il comprit qu'elle avait envie de faire l'amour. Il était toujours hésitant, depuis quelques temps, car il craignait de blesser l'enfant ou de provoquer en Luna des douleurs désagréables. Il la fit basculer sur lui, Luna poussa un petit cri de contentement, confirmant ainsi les impressions d'Alex. Elle vint chercher un baiser profond et il laissa ses mains parcourir son corps, ses formes devenues si généreuses. Elle n'était plus la fine jeune fille enveloppée dans un sari qui découvrait l'amour et le plaisir, mais une jeune femme bientôt mère, sûre de ses sentiments, de ses envies.

Luna se mit à onduler sur Alex, d'abord lentement, puis plus rapidement. Elle le fixa droit dans les yeux quand il vint en elle et elle frémit de cette sensation de plénitude. L'enfant bougeait doucement entre eux, et Luna éprouva alors un sentiment d'intense communion entre eux trois. Elle n'avait pas besoin de preuves, de documents, de certification, de nom de baptême. L'enfant était celui d'Alex. Elle portait l'enfant d'Alex et c'était pour elle un bonheur intense et précieux.

Le plaisir l'emporta la première, la faisant se cambrer et gémir. Alex ne la quittait pas des yeux, à la fois admiratif, heureux et follement amoureux. Il l'accompagna dans ses ultimes déchaînements, avant de se laisser emporter à son tour quand elle s'écroula sur lui, vaincue et triomphante à la fois.

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