Chapitre 9 : Les secrets de son fils

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Ma chère maman,

Je vous écris en ce jour d'octobre 1854 depuis Lucknow. J'ai accompagné William jusqu'à Meerut et ne me suis pas attardé à Delhi, tant l'envie de revoir notre chère ville me tenait à cœur. Le voyage s'est déroulé sans souci et j'ai revu bon nombre de paysages et de lieux qui étaient restés gravés dans mes souvenirs. Les murs de Delhi sont toujours aussi splendides et vous les reconnaîtriez sûrement. Quant à Lucknow, elle est restée telle que je l'avais gardée en mémoire.

Je suis arrivé hier soir et ma première visite fut pour la petite garnison où nous avons vécu. J'y ai revu James Sandow, qui est maintenant capitaine. Il a été très surpris, mais très heureux de me voir, un peu ému aussi. Il s'est aussitôt enquis de vos nouvelles, que je lui ai transmises. Il m'a aussi raconté plus en détails les circonstances de la mort de père. La maladie l'a emporté très vite, mais il a été très courageux face à la souffrance et il est décédé en rappelant à ceux qui l'entouraient alors combien il nous aimait. Sa dernière pensée fut pour vous, James me l'a encore assuré.

Ce matin, je me suis offert une longue promenade le long des rives de la Gomti. La rivière coulait calme, de ce lent flot que nous lui connaissions en cette saison. Elle était grosse cependant, bien chargée encore des pluies de la mousson. Son niveau devrait baisser dans les semaines à venir. Je me suis aussi rendu, comme je l'avais promis à Miss Luna, à la Casa de los Naranjos. Je joindrai à votre lettre une que je lui destine, si vous pouviez la lui transmettre lors d'un de vos prochains courriers. J'y raconte ma visite, mais sachez déjà que son grand-père vous adresse ses amitiés les plus sincères. Lui aussi était surpris, et très heureux de me voir. J'aurais aimé lui parler plus longuement de Luna, mais vous le savez bien, il ne m'a pas été donné de la revoir suffisamment pour répondre à toutes ses questions. Bien que sérieusement gêné par des douleurs articulaires, il est encore vaillant. Certains gestes lui sont cependant difficiles, comme se servir d'un couteau ou boutonner ses vêtements, aussi se vêt-il désormais le plus possible à l'indienne, avec d'amples tissus et des pantalons serrés à la taille. Je vous livre là quelques détails que je ne suis pas certain de raconter à Miss Luna, pour ne pas l'inquiéter.

Je compte rester quelques jours encore à Lucknow, n'étant attendu que pour la fin du mois à Bareli. Je vous réécrirai de là-bas et vous pouvez d'ores et déjà m'y adresser vos courriers. J'espère m'y installer correctement très vite et que, si c'est toujours votre souhait, vous pourrez m'y rejoindre. Sachez que je devrais aussi y retrouver Nagib. Il a été démobilisé, et était resté au service de Sir Lawrence, plus comme aide de camp que comme soldat. Mais il n'avait jamais caché son souhait de me rejoindre à mon retour d'Angleterre, d'autant qu'il est originaire de la province de Bareli, non de la ville-même, mais d'un village au nord.

Ma chère maman, je vous espère en bonne santé. Prenez soin de vous. A très vite.

Votre fils dévoué et aimant,

Alex

Il avait donc joint une autre lettre, que Sonya s'empressa de faire suivre à Luna, sans l'ouvrir pour autant. Elle tenait à respecter les secrets de son fils et espérait bien qu'il en serait de même pour l'entourage de la jeune fille.

Lucknow, 12 octobre 1854

Chère amie,

Me voici arrivé à Lucknow après un long voyage qui s'est déroulé sans difficulté. J'ai finalement accompagné mon ami William MacLeod, que vous aviez eu l'occasion de rencontrer, jusqu'à Meerut, puis j'ai gagné Lucknow via Delhi que je souhaitais aussi revoir, sans pour autant m'y attarder, puisque je voulais pouvoir passer quelques temps à Lucknow, pour m'y recueillir sur la tombe de mon père, mais aussi et surtout pour m'acquitter de la promesse que je vous avais faite de me rendre auprès de votre grand-père.

La Casa de los Naranjos est restée telle que j'en avais gardé le souvenir. Je pense que vos impressions seraient sans doute un peu différentes, mais je peux vous assurer que la maison est toujours aussi belle, que les différents patios sont toujours aussi frais et accueillants. J'ai revu avec plaisir la petite fontaine qui coulait près de la fenêtre de votre chambre et je me suis délecté des parfums des orangers.

Votre grand-père va bien, malgré ces quelques soucis liés à ces douleurs articulaires qui l'empêchent de vous écrire autant qu'il le voudrait. Mais il est toujours bien solide. Il était très heureux de me voir et s'est empressé de me poser beaucoup de questions sur vous dès que je lui ai appris que j'avais eu l'occasion de vous revoir. Je n'ai malheureusement pas pu répondre à toutes, mais je lui ai parlé de vous autant qu'il m'était possible. Cela lui a fait très plaisir. Je lui ai bien entendu remis les courriers que vous et Lord Clifford m'aviez confiés.

Vous pourrez aussi faire savoir à Ameera que sa famille va bien, et notamment ses deux sœurs qui sont toujours au service de votre grand-père. Par cette lettre, je vous demande de lui transmettre leurs plus chaleureuses pensées. Elles étaient heureuses de la savoir auprès de vous.

Je peux vous assurer que, dès qu'il me le sera possible, je rendrai d'autres visites à votre grand-père. Bareli n'est qu'à deux journées de cheval et peut-être me faudra-t-il me rendre de temps à autre à Lucknow.

Je vous adresse mes plus chaleureuses pensées, en espérant que ces nouvelles que je vous transmets vous réjouiront autant que je me réjouis de pouvoir vous les faire parvenir.

Votre dévoué et fidèle ami,

Alex

Il avait hésité à écrire d'autres mots, à lui faire savoir qu'il pensait beaucoup à elle, mais il craignait que Julia n'intercepte le courrier de la jeune fille et préférait se montrer moins proche et purement amical. Il n'avait jamais reçu la moindre réponse de Luna à la lettre qu'il avait laissée lors de sa visite et s'était raisonnablement dit qu'elle ne lui était sans doute jamais parvenue. Il ne pouvait imaginer qu'elle ne lui aurait pas répondu.

Il poursuivit son chemin jusqu'à Bareli où il arriva avant la fin du mois d'octobre. La saison était l'une des plus agréables, avec des températures très supportables. Il allait y devenir l'adjoint du résident, Stephen Mackenzie, un homme intègre et besogneux, qui, même s'il ne partageait pas toutes les vues de Sir Lawrence, avait cependant des idées assez ouvertes. Il connaissait bien sa province, étant en poste depuis plus de quatre ans déjà, et Alex fut vite au fait des choses importantes de l'Etat de Bareli.

**

Quelques mois après son arrivée, dans le courant de l'été 1855, Alex reçut la visite de William. Ce dernier était désormais major et se trouvait à la tête d'une troupe assez hétéroclite, mais qui, finalement, lui correspondait bien. Il avait recruté dans ses rangs des soldats de tous horizons, Hindous, Musulmans et Ecossais. L'un d'entre eux était même venu jusqu'aux Indes avec sa cornemuse et quand il se mettait à jouer, il faisait littéralement fureur. Cela réjouissait ses compagnons et les soldats indiens s'amusaient beaucoup à ses dépens.

La visite de William fit grand plaisir à Alex, d'autant que ce dernier avait décidé de rester deux bonnes semaines à Bareli. Il fit la connaissance du Résident Mackenzie avec lequel il parla longuement de l'Ecosse. Ils se rappelèrent tous deux qu'il y avait eu, autrefois, des liens forts entre leurs deux familles, mais Alex se perdit vite dans les méandres généalogiques, alors que Stephen et William y étaient très à l'aise.

Les deux jeunes gens, le plus souvent accompagnés de Nagib qui s'était mis au service d'Alex et assurait son intendance, parcoururent ensemble la grande plaine de Bareli et William suivit son ami avec plaisir dans la visite de plusieurs villages. Il voyait là une autre réalité des Indes, au-delà de celle purement militaire qui l'occupait la plupart du temps.

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