Lettre à Marguerite

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A toi, chère Marguerite, qui ne me liras jamais,

Il fallait que je t’écrive, alors voilà, je me lance.

Tu te demandes peut-être pourquoi je prends la plume pour m’adresser à toi ; ou peut-être pas, finalement. On ne se connaît pas, on ne se connaîtra jamais.

J’ai perdu mes parents à l’âge de cinq ans. Leur décès ne m’a pas affectée comme il aurait dû le faire.

J’étais déjà hors-normes à l’époque.

On ne comprenait pas que je puisse continuer à sourire après le drame, on me traitait comme un monstre, on m’évitait.

C’est à cette période que j’ai commencé à penser à toi.

UN PEU.

Vers quinze ans, mon corps est devenu mon ennemi. Les désirs qu’il faisait naître ne collaient pas à mon identité. Alors je le lacérais pour étouffer ces appels de ma chair. La tentation cuisante qui mordait mes entrailles était contre-nature.

Et là, je t’ai rêvée, Marguerite.

J’imaginais que tu connaissais les mêmes tourments que moi. A nous deux on aurait été plus fortes, tu ne penses pas ? Je suis sûre que tu m’aurais comprise toi : à demi-mot, tu aurais su. Tu aurais entendu les cris de mes silences, tu aurais décrypté le secret de chaque coup de lame.

J’avais besoin de toi pour partager tout ça.

Mais tu n’es pas venue.

Et je t’en ai voulu, Marguerite.

BEAUCOUP.

Et je t’ai cherchée, dieu que je t’ai cherchée !

A chaque ami que je me faisais, c’est un peu toi que j’espérais.

Dans chaque éloge qu’on m’adressait, ta voix à toi que j’entendais

Et dans chaque sourire indulgent, c’est toi que je pensais trouver.

Même dans les bras de mes amants, c’est ton réconfort que je voulais.

Mais toi, où étais-tu ? Je t’ai tant espérée !

Pendant des années, tu m’as manqué, pendant des années, mes appels silencieux t’imploraient.

PASSIONNEMENT.

Un jour, Marguerite, j’ai décroché un emploi. Premier succès. Il y avait deux coupes pour célébrer mon triomphe. Mais tu m’as laissée seule à la table de la réussite.

Tu sais, Marguerite, quand j’ai compris que j’aimais les femmes, j’ai voulu me confier à toi, mais tu n’étais pas là pour moi.

Marguerite, quand je me suis haïe de ne pas entrer dans les cases, j’avais besoin de toi. Tu ne m’aurais pas jugée, toi, et tu m’aurais transmis la force qu’il me manquait alors.

Mais tu m’as laissée seule à nouveau.

Alors je t’ai haïe.

A LA FOLIE.

Marguerite, ma chère Marguerite…

J’ai tellement de choses à te dire tu sais : des reproches à te faire, et des mercis à t’adresser…

Merci de ne pas t’être pointée dans ma vie. Merci de m’avoir laissée seule.

Grâce à toi je l’ai enfin trouvée, cette autre que je cherchais. Elle seule peut ressentir chacun de mes tourments, elle seule est toujours là pour partager mes joies. Le trou béant que j’avais laissé dans mon cœur, juste pour toi, elle a su le remplir, elle.

C’est grâce à ton absence qu’elle s’y est installée.

Désormais mon bonheur se construit avec elle, et pour elle. Elle souffre de mes blessures même passées sous silence, elle remporte les succès que je remporte aussi. Elle ne me laissera jamais tomber. En sa présence je ne serai jamais seule. Et je n’attendrai jamais d’elle ce qu’elle ne peut m’offrir.

Grâce au vide que tu as laissé, Marguerite, je suis allée à la rencontre de moi-même, mon alliée idéale.

Sa bienveillance sans borne, son amour infini pour moi, m’ont permis de comprendre que je n’ai plus besoin de toi.

Tu m’entends, Marguerite ? Je n’ai pas besoin de toi, aujourd’hui.

PAS DU TOUT.

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