Martine en vacances

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   Coucou cher lecteur ! Comment vas-tu ? C’est Martine. J’ai bien grandi depuis la dernière fois que tu as pu suivre mes aventures. Je suis maintenant une jeune femme diplômée et photographe pour un journal belge. Et pour ne pas mentir, Dame Nature m'a bien dotée. J'ai appris à en jouer, tu peux me croire.


   Pour fêter mon 22e anniversaire, je m’étais offert un séjour aux Seychelles. C’était une destination qui me faisait envie depuis un moment. J’avais enfin franchi le pas. Et j’avais réellement besoin de vacances… Après avoir quitté la grisaille et la bruine de l’hiver belge, je m’étais envolée au-dessus des nuages jusqu’à cet archipel tombé du Paradis.

   Les paysages avaient l’air tirés d’une carte postale. Les palmiers ployant vers l’eau projetaient leur ombre sur le sable fin de la plage. À leur pied, les dizaines de buissons fleuris de mille et une couleurs s’épanouissaient. En toile de fond, le bleu azur du ciel rejoignait celui de l’océan indien. Le soleil baignait cet univers idyllique de sa chaude lumière. Je ne pouvais qu’apprécier. On m’emmena sur mon lieu de résidence en bateau. On m'avait dit qu'il s'agissait de l'île la moins fréquentée de l'archipel. En mer, il me suffisait de me pencher par-dessus bord pour observer la faune aquatique évoluer paisiblement. La clarté de l’eau était telle qu’on pouvait en apercevoir le fond en de nombreux endroits. Je reste encore émerveillée par ce que j’ai découvert là-bas. Tu n’en croirais pas tes yeux, je te l’assure.

   Une fois à quai, je courus jusqu’à mon hôtel pour y jeter mes affaires. Le New Emerald Cove. Un véritable palace avec vue sur l’océan, bien évidemment. N’ayant pas la motivation de ranger mes vêtements, je revêtis mon maillot de bain. Il fallait que j’aille nager, me rafraîchir. Car, nom d’une mine de crayon, ça me changeait de l’hiver belge ! Une serviette sous le bras, un livre sous l’autre, je marchais tranquillement vers la plage. Je n’avais qu’une hâte : profiter de mes vacances.

   Une douzaine d’individus y étaient déjà installés sous un immense parasol et vaquaient à leurs occupations. À distance respectable, j’étendis ma serviette avant de m’élancer vers l’eau turquoise. Elle était chaude, j’en fus surprise. Après mon bain, je remontai sur mon carré de tissus me badigeonner de crème solaire. Lunettes noires sur le nez, je plongeai dans mon roman, laissant l’astre céleste dorer ma peau laiteuse. Le vent, chargé par l’odeur d’iode, agitait doucement mes cheveux avant de se réfugier dans les feuilles des palmiers. Le sable chaud entre les orteils, « L’île des morts » me happa entièrement dans son récit.





   Un ballon de volley roula devant moi, m’extirpant de mon histoire. Un homme s’approcha. Il s’excusa maladroitement, marmonna un semblant d’anglais et s’éloigna aussi vite qu’il était arrivé. Ami bibliophage, ai-je l’air d’être anglaise ? C'est bien ce que je me disais. Son fort accent français ne laissait place à aucun doute concernant sa nationalité. Ayant perdu le fil de mon récit, j’eus envie de les aborder. Cela faisait un moment que je n’avais pas disputé un match de volleyball. Rassemblant mes maigres affaires, je marchai à la rencontre des joueurs.

  • Bonjour ! m’annonçai-je d’une voix chantante au premier. Je peux me joindre à vous ?
  • Bien sûr. C’est quoi ton nom ? me répondit-il, un grand sourire aux lèvres.
  • Martine. Et vous ?
  • Moi c’est Ours. Le barbu qui a récupéré la balle tout à l’heure, c’est Loup. Et lui, c’est Hérisson.

Les deux hommes me saluèrent d’un signe de la main. Leurs prénoms étaient… Particuliers. Un autre détail m’interpela : leur tatouage. Il correspondait à leur patronyme. Ainsi, Ours avait la tête d’un ursidé dessiné sur son torse velu.

Je t’avoue, à ce moment-là, je me suis demandé sur qui j’étais tombé. Mais on ne choisit pas son prénom en soi. Pas vrai ?

  • Vous êtes tous ensemble ? questionnai-je en désignant d’un mouvement de tête les neuf autres individus allongés sous l’immense parasol.
  • Oui ! Et ce n’est pas toujours facile de les supporter… me répondit Loup en haussant les épaules.
  • Attention, ils vont t’entendre, plaisanta Ours. Grâce à toi Martine, on va pouvoir faire un match. Hérisson, tu vas avec elle. Que les meilleurs gagnent !

   La partie débuta par un magnifique service de ma part… Dans le filet. Quel échec. Mais mes anciens réflexes revinrent rapidement. Mon partenaire et moi-même arrachâmes une victoire serrée : 25 à 23.

  • Viens, je vais te présenter aux autres, me lança Hérisson.

   Je le suivis docilement, admirant le mammifère à piquants incrusté sur son épaule. Les deux garçons continuaient de contester le score. Quelle bande de mauvais perdants.

  • Du coup… La dormeuse avec le livre sur le visage, c’est Chouette. Juste à côté, tu as Renarde. Ces deux-là sont les personnes les plus flemmardes qu’il m’ait été donné de rencontrer ! Le grand barbu au bandana jaune et le moustachu en pleine discussion sont Caracal et Blaireau. Métamorphe, c’est la chose globalement humaine qui sirote sa bouteille de rhum. N’y fais pas trop attention, mais l’athlète en débardeur noir qui te regarde comme s’il voulait te manger, c’est Aigle. Il est sympa au demeurant. Les deux jeunes qui s’agitent, c’est Faucon et Dragonne. La dernière est un sacré numéro. Et t’as Komodo…
  • Pourquoi me regarde-t-elle en faisant tourner un couteau ?
  • Oh ça ? T’inquiètes pas. Elle a certains penchants pour la viande crue. On s’y habitue.
  • Rassurant, lançai-je à Hérisson en grimaçant de dégout.

   Caracal sonna l’appel du goûter. On m’y convia. Une colossale assiette de crêpes trônait sur une table en bois, encerclée par divers confitures, pâtes à tartiner, miel, sucre et autres sirops. Plusieurs immenses bouteilles de cidre furent ouvertes pour rincer les gosiers assoiffés. Je t’avoue que mon verre, ne désemplissant pas, m’a rendue guillerette. Toute pompette, je me rappelle avoir osé imaginer une aventure nocturne avec un, peut-être plusieurs, membres du groupe. L’alcool ne me réussit vraiment pas.

  • Et d'où venez-vous ?
  • De Scribopolis, répondit en cœur l’assemblée.
  • De… D’où ?
  • Scribopolis, la Sacro-Sainte Cité ! Tu n’en as donc jamais entendu parler ?
  • Non, je dois l’avouer. C’est dans quel coin ?

   Caracal se racla la gorge, avala une rasade de cidre. Son regard passa sur la foule avant qu’il ne se fige sur ma personne.

  • À mi-chemin entre le réel et l’imaginaire, la Cité silencieuse ; secrète ; sinue tel le serpent des songes. De ses entrailles, les mots grondent, gravissent, et grimpent vers la surface. Ce geyser d’invectives jaillit ; se muant en un fleuve lyrique. De ce flux de syntagme, seuls les inconscients scribopolites, humbles dignitaires de la citadelle, ont l’honneur d’y plonger ; de s’y abreuver. Ils deviennent ainsi Sa Voix. Ceci est, à nous tous, notre apophtegme.

   Il se tut. La troupe resta muette, solennelle. Puis les discussions reprirent à bon train. Mais je demeurais stupéfaite. Où se situait la ville ? Était-ce une énigme ? La cité existait-elle réellement ? Et si ce n’était pas le cas… Tant d’interrogations se sont bousculées dans ma tête à cet instant, tu sais. Pourtant, une grande question subsiste : étais-je en mesure de réfléchir ?


   Alors que le soleil se teintait d’orange en glissant vers l’horizon, un match de football se décida. Le FC Flemmard, comptant Chouette, Renarde, Komodo, Hérisson et Ours ; allait affronter l’Athlético Lubrique, constitué par Aigle, Métamorphe, Loup, Caracal et Dragonne. Cette dernière râlait d’être considérée comme membre des charnels, mais à l’évidence, c’était monnaie courante. Blaireau souhaitait arbitrer et Faucon se chargeait des commentaires.

  • Mesdames et messieurs, bonsoir et bienvenue au stade de l’Olympique de Scribay ! Aujourd’hui, deux équipes légendaires vont s’affronter pour la Plume d’Or. Une seule sortira vainqueur de cette rencontre. Le FC Flemmard traîne la patte pour entrer sur la pelouse tandis que l’Athlético Lubrique tarde à quitter les vestiaires. L’ambiance parmi nos supporters est folle ; l’attente, insoutenable.

   Il se tourna vers moi, un grand sourire aux lèvres. Interprétant mon rôle à la perfection, j’encourageais les équipes prenant maintenant place sur le terrain. Blaireau lança le match.

  • Le coup d’envoi est donné ! Les joueurs luttent déjà coude à coude pour empêcher la progression des Lubriques. Métamorphe pour Dragonne ; qui passe à Aigle. Il drible, Hérisson est confus. Il tire ! Magnifique arrêt de Chouette sur ce coup de pied extraordinaire. On sent l’Athlético en forme ce soir ! Remis en jeu. Les Flemmards possèdent la balle. Ours, alors perturbé, transmets immédiatement à Renarde qui remonte le terrain, talonnée par Caracal. Superbe réception de Komodo, maintenant ballon au pied. Métamorphe tente de s’imposer, sans succès. La défense Lubrique a autant de trous qu’un club échangiste ! C’est scandaleux. Elle est seule face au Loup, elle tire ! Et c’est le buuuuut ! Quelle déculottée mesdames et messieurs !

   Spectatrice du pire match de ma vie, il fut aussi le plus drôle ! Cher lecteur, tu aurais dû être là.

  • Le score est de 1-0 pour le FC Flemmard. L’Athlético qui avait commencé fort en ce début de compétition semble ramollir. Un comble pour les amateurs d’érotisme. La balle est remise en jeu et c’est Aigle qui s’élance ! Rapidement bloqué par la résistance flemmardesque, il passe au Caracal, qui dégage le ballon d’un colossal coup de pied ! Les défenses du FC sont dépassées, et c’est Métamorphe qui s’élance suivi de près par Komodo. C’est beau, du jamais vu sur la pelouse de Scribay. Chouette, à demi endormie, ne réagis pas ! Passe décisive pour la Dragonne qui tire ! Et buuuuut ! Égalisation pour le FC Lubrique. Malheureusement pour eux, l’arbitraire Blaireau a faim et déclare ainsi la fin de ce match. La rencontre se termine donc sur un score de 1-1. Félicitations à nos joueurs. En espérant revoir nos supporters très vite sur la pelouse de l’Olympique de Scribay !

   Après une bonne douche bien méritée, les festivités de la soirée se poursuivirent dans la convivialité. Le ciel maintenant drapé de milliers d’étoiles, l’hôtel s’était transformé en night-club. La piscine avait également été réquisitionnée. Mais d’abord, le repas !

   On nous dressa un immense buffet. Sushis se mêlaient aux currys de poulet et de poisson, aux lentilles aux épices, au riz à la noix de coco. Leurs odeurs enivrantes aiguisaient mon appétit à outrance. Servis dans d’authentiques carapaces de tortue, il ne nous restait plus qu’à leur faire honneur. Ce fut quasiment impossible de tout goûter. Tout avait l’air si bon… En dessert, une fondue au chocolat nous attendait. Au moins une centaine de fruits exotiques trônaient devant les immenses marmites débordant de cacao. Je ne me rappelle pas avoir autant mangé en un repas. Et pourtant, mamie aime bien remplir les assiettes…

   Après cette orgie nourricière, l’ambiance se pimenta. Rhum et eau-de-vie nous furent amenés. Dragonne, trop jeune pour avaler la moindre goutte de cette boisson désinhibitrice, s’installa aux platines.

  • Est-ce que vous m’entendez ? lança-t-elle, les bras levés devant elle.
  • OUIII !
  • Alors, que la fête commence !

   La musique résonna, faisant vibrer chaque fibre de mon être. Je me laissais embarquer par le tumulte des notes se déversant sur l’assemblée. Entre deux danses, on me fit goûter la liqueur de banane. Ce liquide vert ressemblait à du sirop de menthe, mais sentait le bonbon Haribo. Curieuse, je bus le shot qu’on m’offrit. Le sucre du fruit cachait à merveille l’éthanol, j’en repris. Un. Deux. Trois. Beaucoup. Trop… Au début, les effets de l’alcool ne se manifestèrent pas. Puis je fus plus tactile, plus joueuse, plus séductrice. Je n’avais plus aucune inhibition. Plus aucune limite. Toi qui me lis, sache que je ne suis habituellement pas comme ça. Il s’agit d’un rare cas de figure où je perds la totale maitrise de mon corps ; où chacune de mes idées me paraît bonne.

   Prenant une pause, j’observais les scribopolites dans leur environnement naturel. Chouette était toujours au buffet et se goinfrait de chocolat. Près d’elle, Komodo croisa mon regard alors qu’elle mangeait un morceau de viande crue. Un filet de sang glissa sur ses lèvres, qu’elle essuya doucement avec sa langue. Une bouffée de chaleur m’envahit, je détournai les yeux. Aigle fumait des « herbes de Provence » tout en discutant avec Métamorphe. Celle-ci sirotait un cocktail dans un immense Tumbler. Leur conversation paraissait animée. Au milieu de la piscine, Ours comatait sur un matelas gonflable. Loup souriait espièglement à Dragonne en lui versant du rhum dans son verre de Coca-Cola. Cette dernière semblait vivre sa meilleure vie de DJ. Renarde et Hérisson se déhanchaient ; collés-serrés. Pour ces deux-là, la nuit promettait d’être torride. Caracal et Blaireau battaient les cartes.

  • Alors cher ami, on peine à vaincre l’Héraldique Blaireau ?
  • Va chier ! Kerzh da garc'hat ! Foi de Caracal, je te garantis une déculottée dont tu te rappelleras un moment.

   Les deux compères rirent à pleine gorge. J’eus envie de me lever, continuer cette nuit de décadence ! Mais les vertiges me gagnèrent. Je me laissais donc mourir dans un transat, admirant l’astre pâle grimpant toujours plus haut dans le ciel étoilé. Faucon s’installa à mes côtés.

  • Chouette nuit, pas vrai ? lança-t-il à demi-voix.
  • Oui… Mais je suis trop bourrée pour apprécier.

   Un rire m’échappa. Je perdais pied. Avant qu’il n’ait le temps de dire quoi que ce soit, je repris la parole.

  • Je te trouve mignon.
  • Ah bon ? Bah c’est gentil, merci… me répondit-il en rougissant.
  • Ton côté mystérieux, distant, ça me plait. T’es trop beau.
  • Oulah ! dit-il en fronçant les sourcils. Je vais te ramener dans ta chambre. La soirée est finie pour toi.
  • Naaaan ! Je veux m’amuser moi…

   Il me prit par la main et m’aida à me lever. Le monde tourbillonnait, je le laissais donc enrouler son bras autour de mes épaules. Tel un pilier, il me permit de tenir sur mes deux jambes ; elles qui n’en faisaient qu’à leur tête. Arrivé devant ma chambre, il me lâcha et m’ouvrit la porte.

  • Je t'abandonne ici, bonne nuit Martine.
  • Attends !

   Alors qu’il se retournait, je plongeai dans ses bras et vint déposer sur ses lèvres un tendre baiser. D’abord surpris, il se laissa emporter par cet amour soudain. Il enserra ma taille pour me blottir contre lui. Adorable. L’attrapant par la main, je le tirai dans mes appartements.

  • Viens, lui susurrai-je au creux de l’oreille.

   Docile, il entra et ferma la porte. Je me glissai contre son corps et m’abandonnai à lui dans une longue étreinte. Et la suite, ami lecteur, n’est pas tout public. Mais je ne doute pas que tu l’imagines. Ainsi commença mon séjour aux Seychelles. Et crois-moi, ce n'était que le début !

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