Camille

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Je m'appelle Camille. Tu ne connais pas mon prénom. Et je ne connais pas le tien. Pourtant je me rappelerais toujours de toi. Tu m'as détruite.

Je te déteste. je te déteste. JE TE DÉTESTE !

Chaque nuit depuis un mois, je dis bien CHAQUE nuit, je revois cette scène avant de m'endormir et je pleure. Je pleure sans pouvoir m'arrêter, jusqu'à ce que mon corps n'en puisse plus et finisse par sombrer dans le sommeil. Mais ma tête ne dort pas. Non.

Elle rejoue encore et encore la scène, me provoquant des cauchemars effroyables. Ce sont toujours les mêmes. Tu es dans tous ces cauchemars.

J'ai l'espoir, qu'en couchant par écrit ce qu'il s'est passé, je me débarasserais pour toujours de ton visage. L'espoir est débile, tu crois pas ?

Je pleure déjà alors que je n'ai même pas commencé. Et je sais que je pleurerais encore longtemps, très longtemps. Pourrais-je guérir ? Je ne pense pas. Il faudra que j'apprenne à vivre avec. Ou alors, il existe une autre solution. Au moins, j'arrêterais de souffrir.

Je n'ose plus sortir de ma chambre, de voir du monde, de marcher dans la rue. Et j'ai même peur de mon ombre, maintenant. Même si j'ai le soutien de mes parents, de ma famille, de mon psy et de tous mes amis, je n'y arrive plus. Avant ce jour, je vivais paisiblement, entourée de mes parents et de mon petit frère. Je sortais en ville, je me promenais toute seule. Je buvais, mangeais, vivais. Je n'avais peur de rien, je suis - j'étais ? - assez casse-cou et très sociable. J'adorais aller en soirée avec mes amis, rigoler et danser. Aujourd'hui, je vis récluse dans ma chambre, sursautant au moindre craquement de la maison, au moindre bruit inhabituel. Et je ne peux plus rester seule. Je ne peux pas rester à la maison, tandis que mes parents vont travailler. Alors, mes grands-parents viennent me tenir compagnie. Tous les jours. Toute la semaine.

Je n'ai plus de vie sociale, et je sais que ma famille souffre. Car, maintenant, ils vivent pour moi. Je suis un boulet accroché à leurs pieds, une prison pour eux. Car je ne les accompagne nulle part et ils ne peuvent aller nulle part sans moi.

Je ne joue plus avec mon petit frère. Ça le rend très triste. Mais je n'ai plus la force de jouer, de vivre.

"Dépression"; "stress post-traumatique"; "angoisse"; "peur nocturne". Et pleins d'autres termes trop médicaux pour que je m'en souvienne. C'est ce que les médecins et mon psy me disent. Voilà maintenant les adjectifs qui me qualifient. ils ont remplacé "joyeuse"; "souriante"; "sociale"....

Je te déteste. Et à cause de cela, je me déteste aussi. Mon corps me dégoûte.

Je n'arrive plus à vivre. J'ai l'impression qu'à chaque instant, tu vas ressurgir, caché dans une ombre. Tu guettes l'occasion pour finir ton travail. M'anéantir pour toujours. Ma vie t'appartient. J'ai peur. J'ai peur tout le temps, partout.

Mes larmes tombent sur le papier. Je n'arrive plus à m'arrêter, mais il faut que je termine. C'est comme si j'en ressentais le besoin au plus profond de moi. C'est le seul moyen pour que tu me parraisses plus réel, et que j'arrive un peu à avoir une emprise sur toi. Pour aller mieux, peut-être. Je ne sais pas.

Ma vie s'est arrêtée le 24 avril 2021. À 23h37 exactement.

Ce jour-là, ma meilleure amie m'a invitée à une soirée chez elle. Je m'étais préparée, avec une belle robe, des talons, je me suis maquillée et je suis partie chez elle. J'étais heureuse.

Elle habite à dix minutes de chez moi, on est toujours ensemble, je fais ce trajet toutes les semaines pour me rendre chez elle. On habite en ville. Il faut dépasser la petite épicerie, puis passer sous un pont, où j'ai l'habitude, j'avais l'habitude, de rejoindre ma meilleure amie, pour discuter de tout et de rien, comme on avait envie de sortir un peu prendre l'air. Enfin, il faut remonter une rue avant d'arriver chez elle.

Une fois la soirée terminée, je décide de rentrer chez moi. Comme j'ai dit, je n'habite pas loin et franchement, je préfère dormir chez moi, dans mon lit plutôt qu'avec tous ces gens, serrés dans une pièce. Je serre ma meilleure amie dans mes bras pour lui dire au revoir, sans savoir que c'était la dernière fois que je serrais quelqu'un dans mes bras. Je ne supporte plus le contact, qu'on me touche. Tout ça, à cause de toi. Je sais que ma meilleure amie se sent coupable. Mais elle n'y peut rien. Et je ne lui en veux pas du tout. Elle aussi, devra vivre avec ce sentiment qui ne la quitteras peut-être jamais. Et je réalise que tu n'as pas brisé une vie, mais plusieurs. Beaucoup trop.

Ce soir-là, j'emprunte ce même chemin que je connais par cœur. J'ai mis mes écouteurs et la musique perce mes tympans. J'écoute Hey Mama de David Guetta et Nicky Minaj. Je ne peux plus écouter cette musique sans faire une crise d'angoisse, où je convulse tellement fort que je crois mourir à chaque fois. Mourir. Ça doit être si libérateur.

Je sens une présence derrière moi, et je me retourne. ta silhouette se dessine sous la lumière d'un lampadaire. Tu portes une capuche, je ne vois pas ton visage. Il est seul. Je suis seule. J'accélère le pas. Tu accélères le pas. Je baisse le volume de ma musique, pour écouter les bruits qui m'entourent.

Instinctivement, je prends le chemin habituel et je passe sous le pont. En deux secondes, on le traverse, il est vraiment tout petit. Ça a été la pire décision de ma vie. Cette décision me la vola. Tu me la volas.

Je ne pensais pas que tu étais si proche de moi. je ne t'ai pas entendu venir. C'est ma faute, j'avais mes écouteurs. Je portais une robe. J'ai eu le malheur de croiser ta vie.

Je sursaute quand je sens ta main sur mon épaule. Je me retourne.

— Bonsoir.

— Tu est toute seule ? Tu n'as pas peur, toute seule dans la nuit ?

Tu me regardes, et je comprends à tes yeux brillants d'excitation et ta bouche tordue. Je comprends ce qu'il va m'arriver. Et j'ai peur.

Je n'arrive plus à bouger. Je me débats quand tu passes tes mains sales sous ma robe. Je me débats encore et encore. Puis tu me frappes au visage. Une fois. Deux fois. Trois fois. Tu arrêtes quand je ne bouge plus. Je vois flou. Je suis au bord de l'évanouissement. mais je ne tombe pas dans les pommes. Non. Je ressens tout ce que tu me fais. J'aurais préféré tomber dans les pommes. Pour ne rien ressentir. J'aurais préféré que tu me tues, là, sous le pont de mon enfance, plutôt que de devoir vivre avec. Je sens que tu déchires ma robe. ma belle rouge. Aussi rouge que mon sang qui goutte de mes tempes.

Tu me laisses pour morte. Je vois ton sourire, ton air rassasié et content de toi.

Puis tu disparais dans le noir total.

Pour revenir me hanter à chaque fois qu'il fait noir.

Ton visage restera à jamais gravé dans ma mémoire. Pour toujours.

Ce jour-là, c'est comme si tu m'avais tuée. Mais tu ne l'as pas fait. non, tu as préféré me laisser vivre. Ce qui est bien plus cruel que de me tuer. Tu m'as volé une partie de moi que je ne pourrais jamais reprendre. Une partie de mon humanité, une partie de mon être.

Chaque jour, tu me suivras. Dans toutes mes actions, tout mon quotidien. Tu seras là, pour me rappeler ton existence. Tu continues ta vie, comme si de rien n'était. Tu as peut-être une femme, une petite fille ou nièce. Et elles, ne savent pas qui tu es réellement et ce que tu m'as fait. Tu vis ta vie, libre comme l'air. Car la police n'a jamais pu te retrouver. C'est comme si tu n'existais pas. Comme si j'avais tout inventé. Mais mon corps ne ment pas. ma petite robe rouge déchirée ne ment pas. Non, je ne suis pas folle, comme tu voudrais peut-être qu'on me voie. Tu existes, et je te déteste.

Voilà j'ai terminé. Et franchement, je ne me sens pas mieux. Je pleure encore. Et encore. Écrire cette lettre ne m'a servi à rien, finalement. Mais au moins, ça m'a occupée. Fait passer le temps. Mais comme pour démontrer tout ce que je viens de dire plus haut, je parle encore et toujours de toi. Tu es là. Tu es partout. Et j'ai peur.

Je m'appelle Camille et c'est mon histoire.

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