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Je n'en reviens pas que ça recommence. Je n'en reviens pas que tout recommence. Avec quelques changements, certes. Disons que je n'ai plus vingt ans et que j'ai désormais l'expérience nécessaire pour gérer une urgence ou l'égo démesuré d'un médecin. N'empêche que je me retrouve dans cette chambre, chez mon père, sans un rond en poche, hanté par les multiples déboires causés par Elsa Di Marco. Démarrer sa vie est une chose. C'est excitant, palpitant. La redémarrer en est une autre. D'autant plus lorsque vous êtes un divorcé de trente-cinq ans. Faudrait-il encore qu'Andrea daigne montrer signe de vie pour que je puisse considérer mon mariage comme tel. Il faut que je m'aère l'esprit. Je ne peux pas resté bloqué ici, à attendre que mon réveil sonne en ressassant les derniers mois, dernières années, de ma vie.

Alors je bondis du lit et enfile une tenue de sport en faisant en sorte de quitter la pièce sans faire trop de bruit. Le couloir du premier est plongé dans l'obscurité. Malgré toute la délicatesse dont j'essaye de faire preuve, les marches des escaliers grincent sous mon poids. Une lumière bleue inonde l'entrée, provoquant de légers flashs blanc par intermittence. Guidé par ces couleurs, j'atterris dans le salon où tourne en boucle les informations. Avachi dans son vieux fauteuil en cuir aussi abîmé que mon Levis préféré dont je refuse de me séparer, mon père ronfle si fort qu'il camoufle une partie du débat entre des pseudos chroniqueurs en politique. À l'heure qu'il est, il devrait être dans son lit, son masque de VNI (ventilation non invasive) sur le pif. Au lieu de ça il préfère jouer les prolongations tous les soirs sur ce fauteuil, un pack de bières bon marché comme compagnie. Vous devez vous demander pourquoi je ne me trouve pas un endroit plus sympa où crécher plutôt que cette maison banlieusarde du 8ième arrondissement de Lyon des années quatre-vingt ? Je vous l'ai dit, mon compte en banque est vide et mes dettes se sont accumulées du jour au lendemain, soit du moment où Andrea a disparu de la circulation. Voilà que je me remets à penser à lui. Il faut que je me défoule et vite. Si j’éteins la télé, je suis sûr et certain que mon père va se réveiller. Finalement, je le laisse dormir et quitte rapidement l'antre de mes réminiscences.

Afin de brouiller toutes ces pensées qui fusent et oublier mon ex et ma mère, j'enclenche une playlist en aléatoire et c'est « Boulevard of Broken Dreams » de Green Day qui démarre les festivités pour accompagner ma petite foulée nocturne. Connaissant le quartier des États-Unis comme ma poche, je n'ai aucune difficulté à m'orienter pour savoir exactement quel chemin emprunter afin d'effectuer le nombre de kilomètres que je souhaite faire. La voix de Billie Joe Armstrong me berce tout en m’insufflant l'énergie nécessaire pour accélérer de temps à autre. Je m'arrête à un banc et m'en sert pour une série de vingt pompes, après quoi je continus d'arpenter les rues désertes et fraiches éclairées par les faisceaux lumineux oranges des lampadaires. Une bonne demie-heure plus tard, je retrouve mes terres, assez épuisé pour être convaincu d'être capable de tomber dans les bras de Morphée. Ne pouvant pas me glisser dans mes draps délavés par le temps aux motifs des Tortues Ninjas, je file sous la douche. Mes vêtements humides tombent sur le sol, et avant même de mettre un pied dans la baignoire, mon reflet dans le miroir m'interpelle. La lumière blanche ne me met pas particulièrement à mon avantage et aurait même tendance à faire ressortir quelques défauts disgracieux. Mes cheveux ne sont pas rasés depuis plus d'une semaine, idem pour ma barbe. Malgré l'heure tardive, je m'empare de ma tondeuse et entame un rafraichissement nécessaire afin de chasser ces quelques poils gris camouflés dans l'obscurité de ma pilosité. Mon crâne presque rasé et ma barbe plus courte et lisse me font gagner quelques années. Avec un peu plus de vitamine D, on pourrait facilement me donner moins de trente ans. Il faut attendre plus d'une vingtaine de secondes avant que l'eau de la douche ne devienne chaude. Vingt ans plus tard et mon père n'a toujours pas réglé ce foutu problème. Je me les gèle donc pendant presque une minute, à poil, debout sur le tapis rugueux de la salle de bain, car avec le temps, c'est presque une bonne minute qu'il faut patienter avant que le pommeau ne daigne nous offrir un peu de chaleur. Je vous prie de croire qu'une fois que vous avez patienté en tremblotant, vous y réfléchissez à deux fois avant de couper l'eau une bonne fois pour toute. Le corps rincé, je m'écroule sur mon lit. Au ralenti, ma chute pourrait donner quelque chose de propre et soigné. À Hollywood en tout cas. Dans ce contexte précis, ma cascade s’apparente davantage à une charge lourde enfonçant le sommier aux vieux ressorts sur le sol.

Mes paupières lourdes finissent par se fermer. Non pas grâce au sport, parce qu'il est bien connu qu'effectuer de l'exercice physique avant de dormir n'est pas recommandé, votre corps nécessitant de baisser en température pour se reposer. Je m'endors d'épuisement, et un peu trop tardivement. Car aussitôt les yeux clos que je les ouvre à nouveau. Aucune idée du temps réel qu'il s'est écoulé. Pour moi il s'est passé quelques secondes, voire une minute, si ce n'est plus. Ce n'est pas ce qu'indique l'horloge de mon iPhone. J'ai plus d'une heure de retard. Je suis censé démarrer mon poste à sept heures. Je bondis littéralement du lit et m'habille sans prendre la peine de me parfumer ou même de passer un coup de stick de déodorant. Mon sac Eastpak en main, la porte de ma chambre claque derrière moi, si fort que la maison entière en tremble. Pas le temps de prendre la peine d'éteindre la télévision. Je passe par la cuisine pour me rendre directement dans le garage et chevaucher mon vélo. En une bonne dizaine de minutes, si je m'y prends bien, je devrais réussir à me rendre à l'hôpital Mercy dans le 3ième arrondissement sans trop de difficultés. Pour un peu plus de motivation, « My Head Hurts » des Wavves, accompagne mon trajet. Mon casque sur la tête, je démarre en trombe. Une chance, il fait beau. Pas le temps de respecter le code de la route à la lettre. Trottoirs, feux rouges, priorités grillées, tout y passe. Si je ne me fais pas renverser avant la fin de ce parcours, je serai un putain de chanceux. Les voitures m'insultent à coups de klaxons, et je manque à plusieurs reprises de renverser deux trois passants. Malgré la dangerosité de ma conduite, je suis plutôt fier de moi lorsque j'arrive au pied de ce mastodonte que représente Mercy. Vue du ciel, vous y verrez plusieurs gros bâtiments dont trois en forme de U au milieu duquel se trouve la barre principale où siège l'héliport. Ce grand carré bleu sur laquelle est dessinée une croix blanche est mon pur fantasme. Le rêve de n'importe quel infirmier, monter dans cet hélico. Une chance pour moi que je connaisse cet hôpital comme ma poche, ce qui ne me donne aucune difficulté à trouver le service de maladies infectieuses. On est loin des séries télé type Urgenceset Grey's Anatomy qui vous donnent le sentiment que leur hôpital n'est pas aussi petit. Foutaises!Les hôpitaux sont de vrais labyrinthes. Pas le temps d'attendre l'ascenseur, je soulève mon vélo et montre trois étages en accéléré. Arrivé devant les vestiaires, je suis à deux doigts de vomir et de tomber par terre. Il faut un badge pour rentrer. C'est mon premier jour, et je n'en n'ai pas.

- Et merde … soufflé-je.

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