La vague

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Elle s’éveille à la proximité de la vague. Celle-ci a profité de la marée pour s’ingénier dans les terrer. Elle a passé les obstacles, elle s’est jouée des protections, la voilà désormais occupée à lécher les murs du refuge. La vieille gonfle trop fort. Elle exhale trop aiguë. Elle s’est vendue ainsi. Maintenant, son cœur se joint à la cacophonie. Il tambourine ses côtes à grands coups maladroits. Cette fois-ci, cette fois-ci est la bonne. La vague va l’emporter.

Une peur animale remonte des tripes, libère pisse et merde en même temps qu’elle la pousse en avant. La vielle rampe jusqu’à la petite fenêtre, à l’arrière du refuge. Elle se traîne au-travers, patauge dans la boue et les restes de brouillards. Un fossé la surprend. Elle dégringole, se relève, se traîne encore dans une direction inconnue puis une autre par à-coups brusques et nerveux. Enfin, elle s’immobilise, perdue.

Si elle-même ne sait pas où elle est, la vague ne la trouvera pas. La vieille se ménage une illusion de confort, pelotonnée entre une pierre esseulée et la dépouille d’une poutre reconquise par les plantes. Il ne reste plus qu’à attendre. Ici, le temps passe plus lentement qu’autre part. Elle l’a remarqué. Il se joue d’elle pour mieux prétendre ensuite ne pas pouvoir répondre à sa requête. Elle l’a supplié de mille manières, elle lui a offert toutes ses possessions, tout son être, en vain. Son corps porte les marques de ses échecs. Le visage mou, le cou plissé, les seins plats, le ventre flasque, affaissé en son centre, la fente sèche, et les cuisses tavelées. Le temps ne s’est pas contenté d’ignorer ses suppliques, il l’a dépourvue d’une partie d’elle-même, l’a forcée à violenter son corps, à le repousser derrière crèmes et vêtements, à tenir, du bout des bras, sa seule demeure.

Et cela pour rien. Comme toujours. Alors ce que le monde lui refuse, elle a décidé de le prendre. Elle a donc choisi l’immobilité. Peu importe qu’on la regarde de travers, ou qu’on la juge pour ses efforts. Elle réclame son éternité. Lorsque la ville s’est vidée, elle n’a bouclé ni sac, ni valise. Lorsque la mer a envahi les rues où elle avait ses habitudes, elle a abandonné son refuge pour un autre, puis un autre. Elle prétend tenir bon, occuper toujours le même, rendre les coups qui lui sont portés. Elle ignore son reflet dans les flaques et le vide en train de grignoter ses vêtements. Elle se répète n’être dérangée ni par le silence, ni par l’absence, profonde, absolue, autour d’elle. Voilà longtemps que dans la ville, il n’y a plus ni foule joyeuse, ni chat errant, ni un chant d’oiseau. Les mouettes exceptées, mais même elles sont de moins en moins nombreuses. La ville n’est plus qu’un tas de pierre, sans âme et sans histoire.

Au début, la vieille avait pris cela pour une victoire. Elle pensait que le temps ralentirait, qu’il s’engluerait pour cesser tout à fait de bouger autour de son petit royaume. Au lieu de cela, il prenait un malin plaisir à se jouer d’elle, à l’exposer quand elle était vulnérable et à réduire ses répits à de trop courtes trêves.

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