Illusion

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Elle réalise trop tard. Les mots éruptent en geyser à travers son plexus, sa gorge, sa bouche.

« Je t’aime. »

Elle s’arrête, confuse, endolorie par la violence du jaillissement. Honteuse, aussi, quand bien même il n’y a personne pour l’entendre, quand bien même sa voix n’a pas dépassé ses lèvres depuis si longtemps qu’elle sonne craquelée.

Sait-elle bien. Les gens parlent à raison. Ils ne laissent pas les mots leur échapper comme ça. C’est de la négligence, de ne pas les garder bien enfermés dans sa tête comme des moutons dans leurs enclos. Elle voudrait leur expliquer, alors même qu’ils ne sont plus là, qu’elle ne le fait pas exprès, qu’ils ont une volonté propre, une brûlance ; qu’elle essaie, tant bien que mal, de les contenir, de les ravaler. Mais trop souvent, ils la prennent par surprise, attendent qu’elle soit distraite, occupée par bien plus important pour forcer ses barrières.

Et pour dire quoi ?

C’est idiot, « je t’aime, » quand on a personne à qui l’adresser. C’est absurde. Ça l’attriste plus qu’autre chose. Est-elle si seule, si désemparée qu’elle a besoin de se couper en deux pour s’envoyer des messages ? Parfois, elle joue avec cette idée, dans des oublis fulgurants. Une autre elle, ce serait misérable, mais ce serait également la fin de cette solitude. À deux, elle pourrait se comprendre, se consoler. Du moins, elle l’espère.

Elle part alors en quête de flaques, ou d’éclats de verre délaissés par le temps. Pas trop longtemps, elle ne peut pas délaisser son travail, la vague est aux aguets. Juste assez pour se rappeler ce à quoi elle ressemble, essayer de fixer les traits inconnus dans son esprit, de les raccommoder avec les sensations au bout de ses doigts, lorsqu’elle les passe le long de sa joue.

Il n’est plus temps. Elle retourne à sa tâche en essayant de garder conjurée à son côté cette présence illusoire. Sans nourriture, il est bien plus dur de prétendre. Elle n’atteindra jamais la porte, le sait-elle bien, mais elle essaie néanmoins, obstinée. Elle croit presque qu’une paire de main soutient les siennes tandis qu’elle déplace les pierres les plus lourdes. Elle tend l’oreille pour capter le simulacre de voix l’encourageant, entre les cris des mouettes et le bruissement des vagues.

Voilà, elle a détourné son attention. La présence a passé. Elle est à nouveau seule, avec ses peurs, ses murs et ses mots. Le soir est près de tomber. La marée ne tardera pas et la vague avant elle. La vieille se hâte ; honteuse, maintenant, de cette adonné à cet oubli alors qu’elle avait tant à faire.

Elle retourne à son abri à pas lents, défaite.

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