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Clac.

Cric, crac.

Claude vient de prendre sa dernière cartouche. Il plisse les yeux, arme et vise sous les tilleuls à quelques coudées. Il bloque sa respiration, puis une détonation meurtrière retentit.

La balle fuse et file, perçant le silence avant de traverser la cible. Un cerf vient de s’éteindre dans le sous-bois.

— En plein dans le mile !

Derechef, il réarme et tend la carabine à son plus fidèle allié, dont le visage balafré de traits noirs lui sert de camouflage. Le fantassin s’en empare sans trembler. La crosse sur son épaule, il fait preuve d’une dextérité sans pareille.

— Prends ton temps. Laisse-le sortir… chuchote Vador à Martin, voyant enfin quelque chose bouger dans les fourrés.

Tacheté de blanc et plus frêle que le précèdent, un second poitrail se découvre à son tour. Claude lance alors le signal : « Feu ! ».

Martin appuie sur la détente, s’exécutant sur le champ. D’une balle en pleine tête, le petit faon vient de rejoindre le prince de la forêt. Claude félicite son héritier et encourage Lily à en faire de même, sous le regard médusé d’Hélène, qui attend un peu plus loin, silencieuse et encombrée par les préparatifs du pique-nique.

Il y a de nouveau du mouvement dans les touffus massifs sous les arbres. Une biche majestueuse devrait bientôt pointer le bout de son nez, comme le reste de sa famille, pour venir garnir la constellation d’étoiles.

Pourtant, Lily choisit une toute autre cible.

Elle pointe son canon vers les trois ballons pris au piège derrière les grilles du stand de tir. Soudain, un ballon rouge explose, provoquant un sursaut général. La princesse est toute fière, comme son père, qui lui tape illico dans la main.

C’est un sans-faute pour la famille chasseur !

Un sans-faute, sauf d’un point de vue moral pour Hélène, qui ne tolère l’usage d’aucune arme, même factice. Encore moins entre des mains d’enfants. Ils ont la vie devant eux pour découvrir en tout genre les atrocités des Hommes qui regorgent et condamnent un peu plus chaque jour ce monde de brutes. Alors il n’était pas nécessaire que ses trésors apprennent dès maintenant à conduire la vie vers une destinée fatale.

Claude exagère.

Hélène compte bien le lui faire remarquer, quand elle se sentira prête.

— Venez ici les enfants, ordonne-t-elle. Ça suffit pour aujourd’hui les pistolets.

— Mais maman, s’écrit Martin, il reste que deux tirs avant de gagner la maxi peluche !

— On ne discute pas les ordres de maman, intervient Claude.

La déception est palpable sur le visage du fiston qui toutefois se retient de manifester plus d’émotion, contrairement à sa sœur.

Lily repose la carabine et lance un regard accusateur à sa mère. Claude embarque son héritier vers un autre stand, tandis que la fillette reste plantée les bras croisés devant un éléphant rose géant ayant sa trompe dans un pot de cacahuètes.

— Qu’est-ce que c’est que ces manières ? demande maman, tout en suivant les garçons du regard. Ça ne sert à rien de bouder, allez viens ma puce.

Elle avance, portant l’encombrante glacière à bout de bras, mais après quelques mètres, craignant que sa fille continue de faire ses caprices jusqu’à l’aube, Hélène se positionne face à elle.

— Ma chérie regarde-moi. Déjà, cesse de faire cette tête de cochon, dit-elle en lui tâtonnant le bout du nez. Ensuite, il faut qu’entre filles je te dise un secret. Tu sais combien ça me fait très, très mal au cœur de voir toute cette souffrance animale. Alors, même si cette biche n’était qu’en carton, je suis fière de toi. Fière parce que tu as choisi de l’épargner. Et puis finalement, c’était bien plus rigolo de faire éclater ce gros ballon en faisant sursauter tout le monde, tu ne trouves pas ?

Deux fossettes creusent les joues rougies de Lily. De suite, ça va beaucoup mieux. Elle agrippe la hanche de sa mère qui lui passe un bras autour du cou, puis ensemble elles se mettent en route.

Les deux chasseurs sont maintenant au niveau des chaises volantes. Ils les dépassent en portant une attention particulière aux forains qui viennent de vérifier que tout le monde était bien attaché avant de faire signe au machiniste d’actionner les commandes du manège.

C’est bien la première fois que Lily assiste au décollage d’une toupie humaine. Pourtant, elle ne voit rien de tout cela. Trop obnubilée par la complicité débordante entre Claude et son Martin.

Que peuvent-ils encore bien se dire de si passionnant depuis tout à l’heure ?

Rembrunissant davantage la princesse avec son enthousiasme, le matelot pointe maintenant du doigt un groupe de comédiens en roller sortir d’un train fantôme. Ils se dirigent vers une roulotte à popcorn dont l’odeur titille bien des narines tandis qu’un yeti talonne le groupe en jonglant avec une tête des noix de coco.

Claude s’arrête un peu plus loin au pied de l’attraction phare de la foire du trône pour acheter des jetons à toute la famille, mais les filles sont encore à la traine. Ça l’agace. Alors plutôt que patienter, il se précipite l’air de rien pour grimper avec Martin dans une nacelle occupée par un couple d’asiatiques.

Le temps qu’Hélène et Lily s’en aperçoivent, la fameuse grande roue élèvent déjà les garçons jusqu’au ciel.

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