2

16 minutes de lecture

Cher Papa Noël,

Madame Madison nous a disputé moi et Faräent parce qu’on s’est fait un câlin. On n’a plus le droit de se voir et de se parler. Farä était très triste, tu sais, il n’aime pas du tout du tout l’hiver. Madame Madison a dit que c’était très mal et très vilain, que ça ne l’étonne pas de moi, que je suis sale et dégoûtant.

Pour Noël, tu peux m’apporter un gros savon, un qui sent bon la lavande ? Peut-être que quand je serai bien propre, Madame Madison sera d’accord pour que je joue avec Farä dans le jardin.

Gros bisous

Willem

J’ai compris pour papa et maman, t’en fais pas.

On arrive à se parler en se faisant des signes, moi et Faräent, mais chut, c’est un secret !

Willem se laissa tomber sur son lit, seulement vêtu de sa serviette. Depuis plusieurs années, il travaillait au centre de tri. D’abord, pour des missions d’intérim, acceptant tout, sans rechigner, les nuits, les jours, les week-ends, tout, tant qu’il pouvait se faire un peu d’argent. Il venait enfin de signer un contrat avec un salaire régulier à la clé qui le mettait à l’abri.

Son abri consistait en une chambre minuscule sous les toits où la lumière du jour peinait à se frayer un chemin. Le froid, lui, y pénétrait sans souci, surtout en cette saison. Il avait entassé plusieurs tapis, les entrecroisant sur le vieux parquet pour conserver un minimum la chaleur. Il avait tendu des tentures contre les murs et sur le plafond en pente. Mais le pire restait son unique fenêtre, en forme de lucarne. Même fermée, il y avait toujours un courant d’air froid qui s’infiltrait. Mais c’était chez lui et dans un coin un peu masochiste de son cerveau, il aimait ce taudis.

Il se tortilla pour ôter sa serviette humide et la jeta sur le sol avant de se glisser sous la couette. Il attrapa la télécommande pour allumer la télé. Un lent grincement sortit de sous son lit. Willem tira la couette jusqu’à ce qu’elle atteigne son menton. Il attendit quelques secondes, totalement immobile, puis appuya sur la télécommande. Le lit se souleva une fois.

Et merde, pensa Will. Mais c’était trop tard, il le savait. Le lit bougea encore puis un glissement spongieux et répugnant se fit entendre, suivi d’un halètement d’impatience. La main de Willem se referma sur la télécommande avec résolution. Hors de question qu’il abandonne encore une fois ! Il avait l’impression d’avoir passé sa vie à abandonner ! Et oui, c’était peut-être grandiloquent de dire ça à vingt-deux ans, mais mince, il avait deux rotations de boulot dans les pattes, alors il avait le droit d’être grandiloquent s’il le désirait. Et il avait le droit de choisir l’émission de sa propre télé ! Il se cramponna à la télécommande et monta le son du documentaire animalier.

« La nuit est tombée au cœur de la campagne. Nous voici sur les traces de la loutre, cet animal discret aux mille pouvoirs. Suivons cette jeune loutre mâle dans la découverte de son environnement et de ses congénères. »

Mais le colocataire indésirable de Will le prit comme un défi. Une voix caverneuse et frétillante à la fois sortit de sous le lit :

« Change de chaîne ! Y’a une rediffusion de Friends à cette heure !

– Oh par pitié ! s’exclama Will. Y’a toujours une rediffusion de Friends !

– Mais j’aime bien !

– Gool, tu aimes tout ! Tu n’as pas la moindre particule d’esprit critique ! »

Ni d’esprit tout court, ajouta Willem en son for intérieur. Un grognement indigné lui répondit. Puis, son lit bougea de plus belle.

« Gool ! Arrête, je vais vomir ! »

Willem dégringola de son lit. Empêtré dans la couette, il heurta le tapis la tête la première et couina de douleur. Étalé sur le sol, il observa les ténèbres sous son lit avec un regard torve.

« Tu veux pas te trouver un cimetière à hanter, sérieux ?

– Non, il y a pas la télé ! Et les gens mettent plein de fleurs partout, tout le temps. Et je suis allergique, j’ai tous les symptômes, argumenta Gool. »

Évidemment, Willem était tombé sur la seule goule hypocondriaque au monde !

« Tu avais dit que c’était provisoire, juste le temps de dégoter une petite tombe peinarde. Et ça fait des mois que tu squattes !

– J’ai compris, je sais. Personne n’aime les goules, on aime bien tous les autres, même ces saloperies de vampires, mais les goules, non, c’est moche, ça pue, et c’est idiot ! marmonna Gool, semblant s’être réfugié dans le coin le plus éloigné.

– J’ai pas dit ça ! se récria Will. »

Mais il le pensait fortement. Il n’était plus inquiet à l’idée d’avoir blessé son colocataire, la scène avait été jouée de nombreuses fois avec la même intensité dramatique. Il remonta sur son lit et zappa jusqu’à faire apparaître Monica et Chandler. Un glissement lui indiqua que Gool était sorti de son coin pour s’approcher. Son colocataire disparaissait à la nuit tombée, le temps de regagner un cimetière pour grignoter quelques orteils, puis revenait au matin squatter son dessous de lit et lui tenir compagnie. Enfin, si l’on pouvait appeler ça une compagnie.

« Sinon, j’ai passé une nuit pourrie et une matinée encore pire, dit Will.

– Chouette !

– Je me suis fait attaquer par des paillettes et elles en voulaient à ma vertu !

– Magnifique !

– Et j’ai décidé d’acheter un futon, tu sais, un de ces lits sans espace dessous pour les parasites dans ton genre.

– Bonne idée ! »

Willem mima une agonie lente et douloureuse avec pour seul spectateur son plafond pentu, puis posa la télécommande sur le sol en espérant que Gool ne laisserait pas le son à fond sur un téléfilm avec moult gémissements indécents comme c’était arrivé une fois. Il avait lamentablement tenté d’expliquer à son voisin de l’étage en dessous qu’il s’était endormi devant la télé et qu’il ne regardait absolument pas ce genre de choses jusqu’à ce que celui-ci lui adresse un hochement de tête compréhensif.

Son voisin s’était lancé dans une tirade gênante, disant qu’il n’y avait aucun mal à s’adonner à des plaisirs en solitaire et qu’il ne jugeait pas son besoin de supports audiovisuels. Oui, c’était le terme utilisé par son voisin : « supports audiovisuels ». Willem était devenu pendant quelques instants un adolescent surpris à se branler sur une scène peu catholique.

La main squelettique et parcheminée de Gool s’empara de la télécommande. Willem commença à somnoler, bercé par les dialogues et les rires. Bon sang, il avait envie de se laisser aller au sommeil. Mais s’il s’endormait maintenant, il se réveillerait remonté comme un coucou ce soir. Et sans travail pour occuper sa nuit, ses peurs reprendraient très vite le dessus. Repoussant la couette, il sauta à pieds joints sur le sol et s’habilla. Il allait bouger jusqu’à l’épuisement pour passer la nuit dans un sommeil abrutissant.

Des cartons encombraient sa chambre en plusieurs piles, menaçant de s’écrouler. Tout cela lui provoquait une vive sensation d’oppression, sans parler de la culpabilité qu’il ressentait toujours à leur vue. Il achetait tout et n’importe quoi de façon compulsive, surtout des ustensiles de cuisine, sans même savoir pourquoi. Quand il ne travaillait pas la nuit, il se retrouvait à regarder les émissions de télé-achat et finissait inexorablement par commander un assortiment de couteaux à steak avec la pierre à aiguiser offerte.

Peu importait l’objet, qu’il lui soit utile ou non, il le lui fallait ! Son ventre le poussait, le tirailler, son esprit tournait en boucle jusqu’à ce qu’il cède dans une jouissance coupable. Si son voisin savait qu’il prenait plus son pied devant une publicité pour le dernier robot thermocuiseur que devant des « supports audiovisuels » pour adultes ! Quand le manque d’argent se faisait sentir, Willem arrivait à renvoyer des colis, lisant les conditions de rétractations la mort dans l’âme, mais la plupart du temps, il préférait manger des pâtes plutôt que de se séparer de ses achats.

Willem ouvrit un carton épais, se rappelant l’extase ressentie lorsqu’il avait passé commande des cinq tomes illustrés de La cuisine d’Evan. Il ne savait pas cuisiner et ignorait qui était Evan, mais le présentateur de l’émission avait vanté des recettes à la portée du premier golem venu. Eh bien, cet achat allait servir pour une fois ! Suivant les conseils d’un Evan souriant d’un air gêné sur les photos, Willem battit les œufs jusqu’à ce qu’ils deviennent mousseux. Avant, il passa quand même dix bonnes minutes à attraper les morceaux de coquilles au fond du saladier du bout de son index. Il mesura la farine, estimant que deux-cent-cinquante grammes équivalaient, à vue de nez, à deux gros verres à moutarde. Il devait avoir une balance de précision quelque part dans les cartons, mais avait la flemme de la chercher, surtout que les œufs perdaient de leur moussant dès qu’il arrêtait de les battre. Il devait avoir raté quelque chose parce qu’Evan maintenait que le mélange doublait de volume. Quand il finit par coller son plat au four, le résultat était très loin de l’image d’illustration.

Suite à ses exploits culinaires, Willem extirpa des colis une longue corde en chanvre. Non, là non plus, il ne savait pas ce qu’il lui avait pris de commander trois mètres de ce truc ! Il la plia en deux et s’en fit une corde à sauter. Il se plaça dans l’espace le plus dégagé de sa chambre et commença à faire tourner la corde autour de lui. Après une dizaine de sauts, prenant confiance, Willem tenta une accélération et un croisé. Une extrémité de la corde lui échappa et s’emmêla dans le pied du meuble télé. Sous le choc, le meuble bascula un instant sur le côté et le vieil écran cathodique vacilla. Will plongea pour rattraper la télé in extrémis. Il aurait dû laisser cette antiquité s’écraser au sol, ça aurait réglé à la fois ses problèmes de colocation et d’addiction au télé-achat. Gool émit un hurlement horrifié qui glaça le sang de tous les humains à dix kilomètres à la ronde et le prolongea pendant encore deux longues minutes.

« Chut ! Gool ! Tais-toi ! C’est bon !

– Tu as tué la télé ! cria son colocataire.

– Je vais bien, merci, je me suis absolument pas déboité une épaule en la rattrapant.

– Elle va bien ? Elle parle plus ! Elle est morte ! Tu l’as tuée ! »

Willem ferma les yeux devant les priorités de Gool. En même temps, à part la faim, Gool n’avait plus qu’une idée très limitée des souffrances humaines et piochait ses symptômes et ses maladies dans des émissions sur la santé. Il avait été tour à tour arthritique, hémophile et dernièrement, il se découvrait asthmatique et intolérant à tout plein de choses. Selon lui, les humains mangeaient bien trop de cochonneries et n’avaient aucune compassion pour les pauvres goules, obligées de les consommer à leur tour.

Will reposa la télé sur le meuble et bidouilla au niveau de la prise. La voix de Rachel rassura Gool dans l’instant, et Will entendit le claquement ravi de ses phalanges sur le sol. Il enroula la corde et la rangea dans son carton, à côté de menottes recouvertes de fourrure, d’un fouet aux lanières de satin et d’un… mon Dieu que ce machin était énorme ! Willem referma le carton. Il avait cessé de s’interroger sur ses achats depuis longtemps. C’était une pulsion maladive, une addiction, et il ne désirait aucun de ces objets.

« Si tu veux sauter, je peux te mordiller les pieds. Même si la chair vivante, c’est pas trop mon truc, proposa son colocataire.

– Merci, ça ira, je préfère ma corde. »

Il y eut un silence, la pub interrompit la rediffusion et Gool s’intéressa deux secondes à lui.

« Pourquoi tu fais des choses idiotes comme ça ?

– J’ai l’excuse d’être humain, je crois.

– Et ça excuse en quoi ? »

Willem posa sa main sur le cœur et se dressa de toute sa taille.

« J’ai le droit et le devoir d’être con une fois par jour, pour honorer les nobles membres de mon espèce qui ont poussé cette qualité à son degré le plus élevé.

– Oh d’accord, je savais pas. »

Le sarcasme et Gool…

« Mais certains jours, tu es con beaucoup plus de fois quand même.

– Ouais, je respecte pas les règles, je suis un rebelle. »

Le ventre de Willem se serra quand il observa les cartons envahissant la pièce minuscule. Il achetait sans réfléchir, juste pour un petit frisson d’extase, un court moment d’intense satisfaction, et rien n’était à lui finalement. Il imagina un cadeau, un vrai, offert par quelqu’un qui l’aime. Mais il n’y eut que des images du passé qui se formèrent dans son esprit.

Son cœur se serra en même temps que son ventre. Sa main revint gratter sa clavicule et en délogea un petit éclat brillant, semblable à un fragment d’or. Il s’était frotté, récuré partout, mais il n’avait pas vérifié si toutes les paillettes étaient parties. À l’approche de Noël, il savait qu’il allait sentir leur présence sur son corps, sur sa peau, puis dessous, le marquant comme un bœuf allant en l’abattoir. Il secoua la main et s’empara d’un carton. Il se fichait bien d’avoir un cadeau, il en avait des centaines juste devant lui. Et il se fichait bien d’avoir quelqu’un qui l’aime ! Il se fichait d’être étreint, aimé, câliné, embrassé !

L’odeur de son plat au four l’interrompit dans son rangement. Evan n’avait jamais mentionné dans sa recette un parfum mêlant allègrement des notes de forêt carbonisée et d’anémone de mer desséchée.

« Tu cuisines un cadavre ? s’enquit Gool dans un claquement frétillant.

– Oui !

– Chouette ! On a de la sauce piquante ? »

* * *

Gool avait repoussé la télécommande sur le tapis devant le lit avant de partir et Willem se pencha pour la récupérer. Son colocataire avait boudé un moment après avoir compris qu’il n’y avait rien à manger et qu’il allait devoir sortir pour se nourrir à la nuit tombée, comme à son habitude. Willem avait entendu ce chuintement rapide, de peau et d’os qui glissent et rampent sur le sol. Le bruit était désagréable, puis la pièce s’était emplie d’une odeur d’humus et de… de mort. La goule se montrait rarement. Les réactions, souvent vomitives, que son apparence provoquait, le conduisaient à se dissimuler. Même Willem, pourtant habitué, ne pouvait retenir une légère régurgitation à sa vue.

Willem éteignit la télé. Le silence soudain lui fit peur et il la ralluma dans l’instant. Oh non ! Pas déjà ces foutus téléfilms de Noël dégoulinants de mièvrerie avec un scénario écrit sur une serviette de bar ! Ok, il était sexy ce bûcheron ! Et musclé ! Et il n’aurait pas eu ce bonnet de Noël ridicule, Will aurait été tout prêt à le suivre dans sa cabane perdue au fin fond des bois. Mais la musique teintée de grelots le refroidit immédiatement et il appuya sur le bouton d’arrêt. Il n’était pas assez fatigué pour dormir et s’en voulait d’avoir cédé à l’inaction sur la fin de sa journée, somnolant alors que Gool commentait tout ce qu’il voyait à l’écran. Il aurait dû réessayer la corde à sauter.

Ses rideaux s’agitèrent, sa fenêtre vibra un peu, cessa puis recommença. Un sourire envahit les lèvres de Will, entre soulagement et anticipation. La poignée pivota, les battants s’ouvrirent et un courant d’air chaud le frappa, s’empara de lui comme s’il était un fétu de paille et alla le déposer sur son lit.

« Bonsoir, souffla une voix près de son oreille.

– Cal, murmura Will en entourant de ses bras la masse mouvante au-dessus de lui. Merci pour ton aide, ce matin.

– De rien, tu étais sur mon chemin. Et voir tes petites fesses se lever dans les montées, ça m’a tout émoustillé ! Je me suis dit que je caresserais bien ce corps quand il serait un peu plus dénudé. »

Willem devina les doigts qui soulevèrent son tee-shirt. La chaleur douce se fit plus présente. Puis, petit à petit, une pesanteur palpable s’installa au-dessus de lui. Il regarda la main de Calima apparaître sous la forme de milliers de minuscules cristaux avant de se matérialiser dans une peau à la fois dorée et sombre, entre quartz et roche volcanique.

« Tu as envie de moi ? demanda Cal en le fixant de ses yeux noirs et brillants. »

Willem faillit répondre par un « évidemment », mais il s’arrêta. Il passa les mains sur les épaules de son amant occasionnel. Deux mois qu’il n’était pas venu et il se pointait comme une fleur, sans aucune explication.

« Cal ?

– Hum ?

– Qu’est-ce que tu ressens pour moi ? »

Calima l’embrassa doucement, la chaleur de ses lèvres rassura Willem quelques secondes. Ce soir, il avait besoin de se raccrocher à quelque chose, même si ce n’était qu’un petit moment de tendresse partagé avec un amant volage. Cal prit la parole et tout s’écroula.

« Will, arrête de poser des questions dont tu ne veux pas avoir la réponse. Rappelle-toi, je ne suis pas humain.

– Je sais, tu es éternel, sans limite, sans âge, sans huile de palme, et je suis qu’un pauvre grain de sable égaré dans ton univers.

– Un très joli grain de sable, répondit Calima dans un rire. Mais c’est vrai, je ne ressens pas les choses comme toi. »

Will ferma les yeux sous le souffle chaud puis les réouvrit.

« Tu n’aimes pas.

– Si, j’aime, j’aime tous mes grains de sable, ceux que je transporte, que je dépose, tous ceux que j’accompagne, dit Calima en ondulant contre Willem. J’aime, mais pas de votre façon douloureuse et possessive. »

Willem fit semblant de vomir devant l’emphase du vent et ce dernier éclata d’un rire aérien.

« Will, tu n’as qu’une idée biaisée de ma vraie nature. Tu me désires homme, alors je t’apparais homme. Mais je ne suis ni l’un ni l’autre. »

Calima opéra un mouvement de hanches, laissant sentir sa création contre la cuisse de Will. Oui, Willem le désirait homme, il voulait ce qu’il sentait contre lui. Et il le voulait en lui. Il expira un peu, fermant les yeux sous la sensation du pénis dressé, plaqué contre sa peau. Les mains de Calima le caressèrent à nouveau et soulevèrent son tee-shirt d’un petit déplacement d’air.

« Je m’adapte à ce que vous souhaitez. Loan est bizarrement plus à l’aise quand il me ressent comme une présence féminine.

– Loan ? répéta Willem, l’image de son collègue timbré au regard fuyant repassant dans son esprit.

– Je l’aide parfois, lui aussi.

– Je vois. Un autre de tes grains de sable.

– Oui. Un grain tout aussi irrégulier que toi, un qui apporte sa couleur si particulière au sable, un qu’il faut poncer avec délicatesse pour révéler son éclat, murmura Calima en le frôlant de ses doigts, de son souffle. »

Willem n’avait jamais pensé que Cal lui appartenait, mais ce soir, il aurait voulu qu’il lui mente, qu’il lui raconte une de ces jolies histoires d’amour où tout finissait bien. Et Cal n’avait rien à envier au bûcheron sexy. Will referma ses mains sur les épaules de son amant avec circonspection, n’osant plus le toucher.

« Je te déçois ? demanda le vent.

– Non, ça, j’y arrive très bien tout seul. »

C’est vrai, il oubliait trop souvent la nature des êtres supérieurs, ils pouvaient parfois imiter les émotions, les sentiments, mais ils les ressentiraient toujours avec une distance raisonnable. Quand on a tout vu et tout vécu, l’amour devient un divertissement comme un autre, et les humains un terrain de jeux.

« Willem, veux-tu que je parte ? »

En un instant, les épaules se firent meubles sous les doigts de Will, Calima perdait en consistance, prêt à s’éclipser. Willem pensa à sa nuit en solitaire et à la période qui s’annonçait. Il jeta un œil à la fenêtre entrouverte. Il savait ce que les mois à venir lui réservaient. Le froid pénétrerait son abri de plus en plus et ses entrelacs de tapis et de rideaux ne l’éloigneraient pas bien longtemps. D’aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait eu qu’un seul moment dans sa vie où il n’avait plus pensé au froid, un seul, si éphémère.

Même dans la chaleur torride de l’été, il lui arrivait de redouter le retour de l’hiver. Et quelque part pourtant, il l’attendait. Il serra les mains sur le corps volatile de son amant et s’écria :

« Non ! Non ! Reste ! »

Calima sourit, puis l’embrassa délicatement, glissant sa langue chaude dans sa bouche. Il l’embrassa pendant un long moment. Par instants, Willem sentait le corps de Cal se faire plus léger sous ses doigts, il sentit ses mains si nombreuses, sa bouche plus grande et vorace pour lui rappeler sa différence, sa supériorité. Il ne devait pas s’attacher à un être millénaire, qui ne connaissait pas la morsure du froid.

« Retourne-toi, murmura Cal à son oreille. »

Willem obéit. Il sentit son vieux jogging glisser sur ses hanches, révélant ses fesses nues. Le vent le couvrit d’attentions, si ce n’est d’amour. Et Will se laissa aller, hoquetant bientôt sous les poussées de cet être fantastique qui se jouait de lui, humain insignifiant. Et qui ricanait à chacun de ses gémissements. Il savait que le plaisir de Calima se situait dans le fait d’entourer, de posséder, de faire corps avec des êtres définis, limités, et pas dans la jouissance, car il n’orgasmait pas réellement. Ce qui promettait à Willem une nuit à la merci du vent et de ses assauts. Mais il préférait ce vent-là à celui qui apportait le froid derrière ses fenêtres.

Il s’abandonna, sentit les lèvres de son amant caresser son cou et une langue sèche parcourir sa nuque. Il cria et finit par s’étrangler sous le plaisir infini. Cal allait lui faire l’amour jusqu’à ce qu’il sombre dans un sommeil lourd et sans rêve.

Malgré ce manque de sentiments entre eux, il n’arrivait pas à détester Cal. La haine restait réservée à un autre. Calima, au moins, ne lui avait jamais rien promis, aussi inconstant qu’une brise et plus violent qu’un orage, le laissant hagard, moite et transi, tout prêt de l’inconscience.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Kaneda DKaaen ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0