Impressions moscovites

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Cheremetièvo, on attend sagement en rang dans un sous sol gris. La patience est récompensée par le timide merci, in french, du très jeune douanier qui rougit et n’ose pas regarder ses « clients »…

Valise à la remorque je fais face à une cohorte de chauffeurs de taxis arborant la même pancarte où les noms occidentaux, visiteurs et sociétés, s’accumulent en strates perméables formant des associations et des liens … créatifs ! Je passe ces messieurs en revue, jusqu’à celui exhibant tranquillement mon nom associé à celui d’une institution bancaire, qu’il faudrait clairement démarcher, ce ne peut qu’être un signe !

En route.

Les abords classiques d’une capitale : un cheminement patient sur des routes à 4 voies qui ne sont pas toujours tout à fait des autoroutes.

Les espaces traversés sont à la fois d’une grande banalité et étonnants. Les zones commerciales sont familières, d’autant que les enseignes aux logos tellement reconnaissables font le lien avec d’autres zones sœurs. Le chauffeur de taxi me désigne un magasin Auchan faisant de ses mains jointes par les pouces, le geste de l’oiseau qui s’envole et me disant « France ». Tout près le logo d’IKEA, oh combien reconnaissable malgré le lettrage en cyrillique, aguiche.

Ce qui est moins familier à nos esprits français qui tendent à bien séparer les espaces au regard de leurs fonctionnalités (des fois qu’on se tromperait), est la présence, tout au long de cette longue entrée de ville, d’espaces d’habitat, longues et hautes barres sans fin, champs de tours démesurées, qui étroitement associés aux zones de chalandise à l’occidentale, créent des lieux étonnamment à vivre. Ce qui est paradoxale est que la démesure de ces espaces d’habitat donne aux centres commerciaux une dimension humaine, d’espaces de taille appropriable, ouverts, où la lumière et les gens peuvent circuler, et aussi s’arrêter.

Et puis dés ces endroits, beaucoup de gens qui marchent, marchent du même pas long, souple, rythmé de ceux qui en ont l’habitude. Ce qui donne un effet de foule en mouvement dont émane une énergie réelle, sans aucune commune mesure avec l’hystérie des foules occidentales qui ne savent pas marcher mais seulement courir à petit pas du bus au métro. Cette foule qui marche est partout, des banlieues au cœur de Moscou, du petit matin au soir. Elle arpente une ville qui s’offre à la marche : plate, sans relief naturel, elle n’a su faire que des rues, des avenues, des places larges et longues, où les arbres et les jardins se sont installés comme autant d’appels à la déambulation.

Cet allant du marcheur moscovite s’inscrit dans une posture commune à tous ; une attitude du corps, dos droit, tête haute, regard au loin, qui n’est pas sans rappeler celle des statues dressées à la gloire du peuple révolutionnaire et de ses héros, qu’on croise et recroise dans toute la ville et dans toute sa périphérie. Statuaire curieusement repris et copié à la gloire de certaines enseignes…

Dans le même temps, cette foule est remarquable par la diversité des individualités qui s’y côtoient et s’y expriment. Les femmes surtout semblent s’être emparé de tout ce que l’occident pouvait offrir comme possibilités de se distinguer. Coquettes, très soignées, elles associent, accumulent plus exactement, les signes d’une féminité archétypale et ceux d’une modernité affranchie et affichée. Ainsi pas une qui ne soit chaussée de tallons aiguille d’au moins 15 cms – mais comment font-elles pour garder leur pas de gymnastes ainsi équipées ? – pas une non plus qui ne chausse son nez charmant (oui messieurs, elles sont charmantes, piquantes, pimpantes…) de lunettes de soleil très enveloppantes, couvrant la moitié du visage à la manière des skieurs ou des cyclistes, sans le cacher puisqu’elles sont transparentes. Volontiers garnies de strass, ces lunettes sont l’Accessoire par excellence de ce printemps, celui qui est autant miroir – avec et sans tain – que bannière.

Les hommes, eux, sont beaucoup plus effacés, moins affinés, moins aguerris aussi aux nouveaux jeux de société que leurs compagnes maîtrisent déjà – moins beaux finalement, dira mon compagnon de voyage - Moins à l’aise dans la mouvance de l’entre deux mondes, certainement.

Cette énergie, celle de la foule, traverse Moscou qui semble être en plein travail de mue sans savoir en imaginer le résultat. Actuellement, le seul résultat palpable est la vibration permanente d’une ville où les chantiers fleurissent partout, quels qu’ils soient, où la circulation est permanente et peu régulée, même aux yeux de parisiens !

Ce qui est étonnant et tend à rendre la ville aussi familière que déroutante à mes yeux d’occidentale, est le sentiment de voir cohabiter, sans réellement s’articuler, des aspirations et des actions qui ont été, dans la gestion de nos propres espaces urbains, des temps successifs suffisamment intégrés pour que l’harmonie globale soit peu ou prou préservée.

Ainsi Moscou est le théâtre d’une mise en valeur du patrimoine architectural, artistique de la ville. Des patrimoines. Autant celui de la ville tsariste que celui des années révolutionnaires, puis celui des années communistes. L’attention portée à chaque ensemble est équivalente, leur association répond à une dynamique difficile à saisir. Au final le génie de cette ville est sans doute dans sa capacité à faire vivre ensemble les mémoires antagonistes. Ce dont témoignent mes interlocuteurs de plus de 40 ans, ce dont se fichent royalement les amis de mon charmant guide, qui ne s’appelle pas Nathalie, mais Marina !

Dans le même temps, la ville accueille le développement massif de temples à l’occidentale. Ceux du business – les centres d’affaires s’élèvent en nombre et des projets sont encore en développement – mais aussi ceux de la consommation, de masse en périphérie, plus select en centre-ville. Moscou se met à l’heure de la mondialisation et l’affiche.

Ces deux mouvements semblent se développer indépendamment l’un de l’autre. Le résultat est un puzzle très étonnant, d’autant plus qu’il est très mouvant. Ainsi se côtoient des espaces d’une grande modernité dans leurs lignes, leurs couleurs, les matériaux…des bâtiments anciens, restaurés, parés de leurs couleurs allant du vif au pastel, de leurs ors magnifiques, de leurs moulures délicates, de leurs formes généreuses… des ensembles de bâtis décrépis et vétustes, où les appartements, les ateliers, les petites entreprises, les terrains de jeux pour les enfants - il y en a beaucoup et partout ! créent des lieux vivants foisonnants.

Moscou, c’est l’énergie des survivants -c’était sans doute aussi cette énergie qui prévalait dans l’immédiate après guerre, chez nous- ; celle d’un pays émergeant mais qui s’inscrit culturellement parlant dans le même terreau, le même territoire que ses voisines, les villes occidentales. Paradoxe et complexité d’une ville plus que millénaire dont on devine qu’elle suit son chemin au regard de son génie singulier, se glissant habilement dans les méandres de l’Histoire.

Et puis la nuit, marcher dans les villes la nuit. La Place rouge se recentre sur l’or et les rondeurs des toits de la cathédrale avec en contre point le rouge des murs du Kremlin. Au détour des rues les façades pâles des maisons en cours de rénovation s’offrent avec un parfum d’impudeur. Le vieil Arbat, large rue pavée et piétonnière s’est débarrassé de ses touristes. Des groupes de jeunes l’occupent. Si semblables à leurs frères d’âge des autres capitales, jusqu’à ce qu’ils fassent cercle autour d’un guitariste, s’accotant les uns aux autres et que leur chant monte, hors d’âge, du cœur même des pavés de Moscou. Un goût d’éternité.

Cheremetièvo de nouveau, au petit matin. Je vais voyager avec l’équipe du Spartack !! Ils sont là, une vingtaine de joueurs vêtus du même survêtement rouge badgé du sigle du club qui, d’après mes enfants, est un vrai mythe ! Casquette vissée sur la tête, ils chahutent gentiment. Les cadres les encadrent. Quelques mères les accompagnent. Oui, c’est l’équipe des minimes et les stars de demain jouent de la game boy et du téléphone portable, mais le regard que les adultes russes posent sur ces gamins, c’est vraiment quelque chose !

Mai 2008

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