Le décréateur

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J’ai créé bien des hommes sur bien des Terres.

Les premiers d’entre eux ne connaissaient pas le péché, ils étaient incapables de faire le moindre mal à autrui, tant et si bien qu’ils se laissèrent dépérir de peur de causer du tort.

Les suivants connurent le péché mais croyaient en la rédemption, ma rédemption. Ils étaient si croyants que nul ne savait mieux qu’eux-mêmes qui croire et comment croire. Ils finirent par s’entretuer en mon nom.

Quant aux troisièmes, ils connurent le péché et le doute, mais pas la mort. Ils burent, mangèrent, forniquèrent et vécurent fort bien, mais ne réalisèrent rien de grand. Je ne me souviens pas comment ils disparurent.

Les quatrièmes, eux, connurent le péché et le doute, et la mort, mais pouvaient compter sur une intelligence quasi sans limite. Ils réalisèrent de fort belles et grandes choses, si grandes qu’ils entraînèrent tout un soleil dans leur chute.

Les cinquièmes, enfin, connurent le péché et la rédemption, le doute et la foi, la mort et le bonheur de la vie, les limites de leur intelligence et la grandeur de leur fragilité. Ils vécurent plus longtemps que je ne l’aurais espéré, accomplirent de grandes choses et furent longuement conscients du caractère miséreux mais béni de leur condition.

Mais alors que j’espérais à nouveau, elle est advenue : sophistiquée, externalisée, automatisée, technologisée, la guerre des hommes aura en quelques décennies à peine asséché les océans, épuisé des ressources pourtant prodiguées en quantité, ravagé les forêts, décimé les espèces, uniformisé et stérilisé de brillantes civilisations, détruit toute notion de transcendance et précipité toute l’humanité dans l’abîme de nouvelles idoles bassement matérielles, n’ayant que jouissances stériles et joies ternes à offrir.

J’ai moi-même fini par perdre la foi. Moi qui leur ai envoyé mon fils pour les sauver, qui l’ai vu souffrir et mourir sur la croix, signe du pardon que je leur accordais. Qu’en ont-ils fait ? Ils ont craché à ma figure et brûlé les temples qui autrefois me glorifiaient. Je pensais avoir trouvé la juste mesure de l’homme, l’équilibre instable nécessaire à sa survie, je m’étais trompé.

Ils auraient pourtant dû être les bons. Mais comment le croire encore, à présent qu’ils achèvent consciemment leur autodestruction ? Je ne le supporterai pas. Pas une nouvelle fois. Je préfère encore arrêter moi-même cette folie. Je vais me révéler à eux. Leur envoyer cette apocalypse dont je les avais menacés dans mon Livre. Oui. Je n’ai qu’à lever la main pour déchirer le ciel. Le moment est venu de décréer les hommes et de leur reprendre le cadeau fait jadis, incapables qu’ils sont de le transmettre à leurs propres enfants.

Moi,

L’Alpha et l’Oméga,

Le créateur de toute chose, visible et invisible,

Celui qui est, était et sera,

Le Tout-puissant,

Par ma seule volonté décide de...

Ne rien faire. Je suis incapable de lever la main sur mes fils, incapable de leur retirer cette vie créée à mon image. Il leur faudra relever seuls ce défi divin. Je les regarderai le cœur serré, conscient qu’ils ont toutes les armes en leur possession. Des armes à même de les sauver, ou de les détruire. Je ne suis pas un décréateur, je suis un créateur, le créateur ; préoccupé, attentif, inquiet. En un mot, aimant.

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