III - Jeudi 04 janvier, 10h00.

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Déclaré inapte au travail de nuit, Robert a été affecté à l’équipe de jour. Son travail ? Encore le Pavillon B - grâces soient rendues au manque de vocation pour la filière psy chez les jeunes - celui des schizophrènes. Tous potentiellement dangereux, souvent pour eux-même, presque tous imprévisibles. Tous en chemin vers... une guérison... peut-être.

Avec soulagement, il revint en mi-temps thérapeutique. La direction lui avait bien proposé un reclassement à l'accueil de l'hôpital, mais il préfèrait encore cotoyer ses patients certifés qu'indiquer six cent fois par jour où étaient les toilettes ou qu'il ne fallait pas écrire "ça dépend" dans la case prévue pour "oui" ou "non" sur les formulaires de la Sécu... Les gens sont...

Elle est là.

Il n'avait pas - trop - pensé à elle pendant sa convalescence. Il avait retrouvé son appartement un peu trop vaste depuis le départ des grands et encore plus après sa dernière séparation, sa multitude de plantes vertes et ses livres anciens. Il aimait chiner ces vieilleries.
Il ne lisait jamais plus que l'horoscope dans le journal de la veille pendant son café rituel en fin de nuit, juste pour savoir de quoi la précédente journée aurait dû être faite, mais il aimait les avoir chez lui. Leurs cuirs usés, leurs cartons défrâichis, leurs dorures passées, leurs mots anciens le rassuraient. De temps en temps, il en prennait un juste pour le toucher, le sentir et rarement le feuilleter. Chacun ses manies.

Ses collègues le briefèrent sur leurs protocoles de jour, différents par les activités surtout, et les changements chez les patients depuis son départ. Les progrès de certains, leurs humeurs des autres, les rares départs, les nouveaux. Vladimir avait le teint terne et l'oeil éteint lorsque le jour se lèvait. Il dormait la majeure partie du jour et insistait pour regarder le monde à l'envers. Napoléon s'appliquait à prendre la pose d'Arcole avant qu'il ne trône en grand habit de sacre sur une pauvre chaise... Personne ne lui avait jamais fait remarquer qu'il lui manquait les accessoires. Et l'accent corse aussi.

Ils n’ont pas l’air de se souvenir qu’elle marche au soir. Il l’a pourtant transcrit dans chacun de ses rapports d'activité, dans toutes les mains courantes, dit à chacun des passages de consignes. Ils ont du oublier. Ou alors elle a changé ? Il se sentait encore nocturne, plus indépendant, plus libre sans le regard des chefs.

Il n’a pas l’habitude de voir les malades vivre dans leur monde à eux, chacun le sien. Il faut aux infirmiers comprendre chaque code, interpréter les signes qui présagent de l'imminence d'un débordement de violence, comme l'écho précédant un torrent rendu impétueux après un orage. Il leur faut deviner la couleur des nuages sur leurs horizons dansants. Ils doivent ouvrir tant les yeux que...

Elle est éveillée.

Pas encore totalement abrutie.

A travers le hublot, elle le regarde par en dessous, comme s'il était une bête curieuse, ou un étranger.

Un étranger à son monde, comme toutes les autres blouses blanches.

Elle le regarde.

Elle sourit.

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