Défi lancé par Laurent T

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Diffraction

 — Avec une fourchette aussi brillante, on peut facilement attirer l'attention.

Smith remua davantage le cure-dent dans sa bouche. De ses yeux se dégagea un éclat qui vexa son interlocuteur. Dans ce coin du Texas où la vie avait peine à exister, un village famélique d'une trentaine d'âmes tentait de survivre. La chaleur, le vent, la poussière. Tyler Conrad, un riche commerçant minier, sillonait les États pour les affaires. Il avait rendez-vous. En face de lui, dans ce bar irlandais aux allures de tombeau, Sanchez Smith, un cow-boy aux front ridé et au corps tassé.

 — T'es vraiment une raclure Smith. Tu viens me provoquer dans ce trou perdu. J'ai trois hommes ici chacun avec un six coups dans chaque main. T'imagines le nombre de trous que tu auras dans le buffet si tu fais le malin ?

Smith leva les yeux vers la masse sombre qui se tenait à la droite de Tyler. Il put apercevoir son sourire jauni par la chique, une main sur le colt. À l'entrée se tenaient deux autres molosses. L'un scrutait les environs tourné vers la rue, le regard plissé par le soleil, l'autre surveillait le bar où trois vieillards vautrés sur le zinc remuaient à peine, anésthésiés par le tord-boyaux local. Un rayon de soleil perçait du plafond et plantait sa lame lumineuse au milieu de la table ronde sur laquelle l'homme d'affaire dégustait un ragoût. D'où venait-il ? Qui l'avait fait ? Smith ne chercha pas à comprendre. Ce marchand avait des goûts de luxe. Couverts en argent, assiette en porcelaine et un verre en cristal sur une nappe en broderie fine. Pourtant, pas de musique, pas de danseuses, ni de joueurs de pokers ivres cherchant la bagarre. Personne à épater. Juste cinq méchants garçons voulant régler leurs comptes autour d'une table dont l'inharmonie semblait ne choquer personne.

 — Te provoquer ? demanda avec calme Smith. Tu as tué tout un village dans le Wyoming... Lost Cabin, ça te dit ?
 — Je n'ai tué personne ! Vous les péquenauds, vous ne savez pas faire des affaires, c'est tout. Vous ne pensez qu'à picoller, copuler. Vous puez d'ignorance !

Il avait posé nerveusement les couverts pour faire une pause et boire. Son garde du corps ne broncha pas. Un des vieillards, avachis, demanda le silence dans un grognement sourd. Le soleil continuait sa course lente allongeant les ombres. Sur la table, un rai de lumière languissait après les couverts, attiré par ce brillant qu'il fallait faire éclater encore plus et projetter dans cette tombe davantage de vie. Smith fixa longuement la fourchette, son alliée d'une seconde.

 — Une simple fourchette vous émerveille ! lança Tyler fier de lui. Vous êtes des rats puants, plein de puces, dégoulinant de peur face au chat. Je suis le chat ! Je chasse les vermines, j'élimine les nuisibles, vous comprenez ? hurla-t-il le torse bombé. Il renifla avec bruit, racla sa gorge d'impatience, finit son verre.

 — Et si le chat puait aussi fort que le rat ? S'il avait les mêmes puces que le rat qu'il chasse ?
 — Quoi ? Que veux-tu dire par là ?

Le soleil frappa la fourchette qui brilla de mille feux. Scintillement salutaire. La lumière s'éparpilla dans toute la pièce comme de fines flèches argentées. Dans l'hôtel d'en face, O'field son vieux pote, fusil à l'épaule reconnu le signal. Deux coups pour lui, deux coups pour Smith. Quatre hommes à terre.

Silence.

 — Alors autant penser qu'un rat vaut un chat.

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