Présentations

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J’avais besoin d’abouter les briques de mon cœur. Celle de base s’était effacée, la primordiale restait inaccessible, mais mes deux amis et Pascale pouvait, devaient se connaitre. Vincent était sur une parallèle à la mienne, indispensable, mais inrejoignable. Cette courte liste rassemblait les seules personnes à connaitre ma nature.

Avec chacun, j’avais tenté la transparence, au risque d’une perte irrémédiable, trouvant une acceptation totale. Le reste du monde m’indifférait. Brandir cette étiquette, que je ne revendiquais pas, m’aurait apporté plus de haines que d’opportunités. Cette fois encore, en rapprochant mes amis, je cherchais un adoubement de mes choix, avec la même certitude intime d’une libération.

J’organisais donc cette rencontre qui débuta devant une brasserie du boulevard Saint-Germain, avec mes deux lascars qui m’attendaient. J’arrivais, volontairement sans les avoir prévenus, enlaçant Pascale par les épaules, plus tendrement que j’aurais voulu le leur montrer, mais pas autant que mon affection l’imposait. Plus nous approchions, plus leur visage se décomposait, incapables d’imaginer cette réalité. Une quatrième personne dans notre trio ! Si vite ! Une femme en plus ! Grandes accolades et grosses bourrades, tout à la joie de nous revoir. Je leur présentai Pascale, sans en dire plus. Pendant le diner, je regardais avec amusement mes deux amis de plus en plus séduits, retenant la vraie question. Henri craqua le premier :

— Bon, il faut que je le dise, c’est quoi, ce qui se passe là ? Tu nous as affirmé que tu étais pédé comme un phoque, que ton amour était Tomas, que nous n’avons jamais vu, et là, tu débarques avec la plus admirable des filles ! Je peux, Pascale ? Tu nous dois quelques explications, camarade !

Je regardai Pascale qui acquiesça des yeux.

— Pourquoi croyez-vous que je vous aie invité ? Oui, Pascale est la plus fascinante des femmes ! Je peux le dire sans sa permission, je le lui répète à la saouler ! Mais elle n’est pas que ça…

Nouvelle interrogation muette. Elle savait ce que j’allais dire et me sourit. Nous sommes restés un bref moment immobile. Elle acceptait de se dévoiler au travers de mes mots. Cette marque de confiance me transcendait.

— Tu finis tes phrases ?

— Oui, oui ! Voilà : elle fait partie de ces personnes dont le sexe est homme et femme.

Leur visage reflétait la progression de l’information.

— Et alors ? Vous êtes bien ensemble ?

— À ton avis ?

Un doux baiser déposé et partagé illustra mon propos.

— Excuse-moi de rentrer dans les détails, mais, finalement, tu n’as pas changé !

— Non ! Enfin, si, parce que je découvre, enfin, l’autre moitié de l’humanité au travers d’elle ! Pour l’amusement, débrouillez-vous avec votre imagination !

La soirée se termina avec un quatuor amical très fort, tel que je l’avais espéré. Pascale était complètement intégrée et de gentils jeux croisés de séduction avaient commencé. Mes amis eurent la délicatesse de ne plus mentionner Tomas. Qu’aurais-je répondu ?

La vraie victoire était celle de Pascale : révéler à des inconnus, mes amis, son étrangeté. Le soir, elle me fit partager son émotion de la réussite de son exploit.

Nous avions décidé d’afficher notre union. Penser qu’en présentant une femme (ma femme ?) à mes parents, cela allait bouger quelque chose dans nos rapports familiaux fut une erreur, malheureusement prévisible. Je ne savais pas pourquoi je m’entêtais à vouloir croire qu’une relation avec mes parents existait.

En sortant, je vis ses yeux humides.

— Pourquoi pleures-tu ? Tu as souffert de ce déjeuner ?

— Non, c’est pour toi que je pleure. Tu m’avais préparée, mais je n’imaginais pas ça. Comment peut-on vivre avec des gens pareils ? Quelle froideur, quelle distance !

— Il y a longtemps que je ne vis plus avec eux, que je ne suis plus avec eux.

— Mais comment peux-tu être toi en appartenant à une famille comme la tienne ?

Je reprenais pour elle l’ébauche de la conversation que j’avais eue avec mon grand-père, les interrogations qu’il avait partagées avec moi. Pascale, sans doute désireuse de me soulager, me harcelait de questions. À mon habitude, je n’ai pas voulu creuser, préférant évacuer l’indicible.

À l’opposé, ma présentation à la famille de Pascale se transforma en un enchantement. D’emblée, je trouvais une gentillesse et une générosité qui vous faisait accepter comme le quatrième enfant. De sa sœur, effectivement, émanaient la même aura et le même magnétisme. Son frère maniait un humour avec un entrain extraordinaire, mettant une ambiance folle sur laquelle on ne pouvait que renchérir. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un d’aussi gai et bouillonnant sans discontinuité. Cette fois, c’étaient des larmes de rire que nous avions en les quittant.

Que d’une telle famille ait émergé une fille telle que Pascale me semblait évident, avec son humour, son art de la répartie et ses yeux moqueurs. Ce dernier qualificatif me paraissait inadapté dorénavant, car incompatible avec sa nature bienveillante.

Ce fut plus qu’une présentation, car, dans cet été morcelé par les stages, nous avions pu trouver presque une semaine à passer ensemble dans leur maison de famille près de Royan.

L’année suivante se déroula sur un petit nuage. Nous sommes restés sur le campus par facilité. Puis je terminais ma scolarité. Avec mon nouveau diplôme, je trouvai immédiatement du travail sur Paris. Chaque weekend, nos étreintes nous ressoudaient. Son stage de fin d’année se déroula, bien entendu, à Paris.

Je profitais de mes solitudes hachées et du pécule que m’avait laissé Grand-père pour dénicher un appartement, bien situé, calme, avec trois grandes pièces lumineuses. Les remboursements allaient peser lourd, longtemps, mais je pus préparer un petit abri douillet pour nous deux. Je l’organisais fonctionnel, elle le rendra chaleureux.

Cette béatitude fut troublée quand, un jour de solitude, je retrouvais une lettre de Tomas datant de plus d’un an. Depuis l’annonce de ma rencontre avec Pascale, je l’avais délaissé et il n’avait pas réagi. Ce n’était pas l’intensité ni l’importance de cette relation qui avait rompu mon dernier lien avec Tomas ; cela avait été ma seule négligence, mon oubli. J’ai eu soudainement besoin de lui.

Je lui écrivis.

Tomas, mon aimé, mon adoré,

À l’idée de passer un long moment avec toi en esprit, à t’écrire, mon cœur se remplit de joie. Chaque fois que je pense à toi, je te sens près de moi, chaleureux, accueillant, réconfortant. Que c’est bon de t’avoir ! Pourquoi ne le fais-je pas plus souvent, tellement cela me câline l’âme. Tu es complètement avec moi, sans que rien n’ait changé depuis notre dernière fois.

En même temps, je voudrais tellement te voir, te regarder, t’admirer, me refléter dans tes yeux d’amour. Cela fait si longtemps que je ne t’ai pas vu, pas touché, pas caressé. Ta présence physique me manque, j’ai envie de te retrouver, de fusionner, de sentir ta chaleur.

Tout reste entier et tu es l’homme de ma vie, celui qui me complète, celui qui me soutient, ma raison de vivre.

Pourquoi ne nous voyons-nous plus ? Rien n’entamera jamais mon amour pour toi.

Je sais que tu es maintenant à Paris, comme moi, et j’attends avec impatience ta réponse pour pouvoir à nouveau te contempler, te serrer dans mes bras.

Tu le sais, je te l’ai dit dans mes dernières lettres, j’ai rencontré quelqu’un d’extraordinaire que j’aime profondément. Cela n’enlève rien à notre lien, si fort, c’est en plus, à côté, ces deux amours se complètent et s’enrichissent.

Pascale est une créature magnifique, douce et aimante. Elle m’apporte tant, dans tant de domaines. Je veux que tu la connaisses, je suis sûr de vous deux, que vous vous découvrirez des points communs, autres que moi, que vous vous apprécierez autant que je vous aime.

Maintenant, j’ai besoin de vous deux, je voudrais tellement vivre avec vous deux. Cela n’est pas possible et je ne veux pas que l’un de vous se trouve malheureux. Nous verrons ! Je sais que nous trouverons une solution de bonheur pour tous les trois. Ne t’occupe pas de moi. Si, je te le souhaite, tu rencontres un aussi grand amour, fonce ! Nous deux, de toute façon, serons toujours ensemble, éternellement.

Je t’ai parlé de Pascale, de son état qui me comble tant. C’est une femme, entièrement, et elle veut l’être complètement. Depuis son adolescence, elle veut se faire opérer. J’espère tellement que je lui apporte assez pour que ce besoin s’estompe, qu’elle l’oublie dans mes bras. J’ai horriblement peur qu’elle ne puisse le dominer. Ce sera la fin de notre vie, car envisager de vivre et de faire l’amour avec une femme m’est inaccessible. Que deviendra ma passion pour elle alors ? Que deviendrai-je ? Ce sera une mort pour moi.

Je suis pris au piège de mon amour infini pour elle et la peur probable de sa fin. Je n’ai pas de solution.

Mais je sais que si un tel malheur arrive, je t’ai, que tu me consoleras, que je t’aurai près de moi.

Quiconque lirait cela me traiterait, avec raison, d’égoïste fini. Je te dis que je t’aime et que je suis heureux sans toi, que j’aime quelqu’un d’autre. Je me passe de toi, mais, au premier malheur, je te demanderai de l’aide, du soutien.

Je sais que tu lis autre chose. Je te parle totalement à cœur ouvert, nu devant toi, car j’ai une telle confiance en toi que je ne veux rien te cacher, je ne peux rien te cacher. Tomas, je te raconte tout ça parce que tu es moi, en moi, adorable, infini, mon âme, ma vie. Je sais que si je suis dans le malheur, alors, quand tu pourras, comme tu pourras, tu seras là. Je trouverai le récif auquel me raccrocher et t’attendre. Cette pensée me permet de vivre.

Nous ne sommes plus, pour le moment, proches physiquement. Mais dans la pensée, dans le cœur, nous resterons indissociables pour l’éternité.

Donne-moi vite de tes nouvelles, j’ai tant envie de te voir.

Ton petit Jim qui rêve de son grand Tomas.

PS : Je t’aime.

Cette lettre m’est revenue avec l’horrible sigle NPAI, N’habite Pas à l’Adresse Indiquée. Je l’avais envoyée chez ses parents. J’avais perdu son adresse. Moi-même, j’avais changé d’adresse. J’avais perdu Tomas, à jamais. Comment avais-je pu laisser se détruire irrémédiablement ainsi ce lien vital ? Nous ne pouvions plus, nous retrouver. Je sentais les vagues de douleur monter en moi, sans savoir comment freiner cette souffrance qui me transperçait le cœur. Je coulais, mon cœur se noyait dans les larmes.

Quand, quelques jours plus tard, je me blottis dans les bras de Pascale, je lui dis ma perte définitive de Tomas. Mes larmes revinrent malgré sa consolante tendresse.

— Pascale, je n’ai plus que toi. Dis-moi que jamais…

Non ! Les mots ne pouvaient sortir. Je n’avais pas le droit de lui demander de renoncer à sa vie pour moi, de ne jamais me quitter, de rester telle qu’elle était, tels que nous étions. Elle laissa passer un silence.

— Jérôme, je suis là pour toi. Tu es l’homme de ma vie, celui qui me complète, celui qui me soutient, ma raison de vivre. Nous sommes liés pour l’éternité, même si les conditions se modifient. Je t’aime tellement.

Elle me caressait paisiblement. J’entendais presque les mêmes mots que ceux que j’avais écrits. Ces mots qu’on nous dit, qu’on espère, rimer avec toujours. Ces mots fragiles qui nous reviennent un jour avec NPAI.

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