Lettre n°6 - Janvier 18XX

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Madame de Montelan,

Cette missive, de part son délai de réponse et de son émetteur, doit bien vous étonner et je ne peux que vous comprendre. Avant que vous ne preniez ombrage que ça soit moi, Monsieur Delatour, qui vous réponde, en lieu et en place à ma chère épouse, je vous prie de bien vouloir lire les lignes qui suivent.

Ma chère épouse m'a informé de votre amitié dès vos retrouvailles en mai de l'année dernière et au vu de la chaleur qu'animait ses paroles, j'ai compris qu'elle était importante pour elle. Je l'ai donc, immédiatement, invité à vous écrire. Elle s'en faisait une telle joie qu'elle ne tenait plus sur place. Cela faisait plusieurs semaines que je ne l'avais pas vu ainsi. Il fallait dire qu'elle venait de perdre sa tante quelques mois plus tôt et le chagrin s'était installé dans sa belle âme. Votre reprise de contact était pour moi, je vous l'avoue, un espoir. Sans plus attendre, elle est ressortie car elle souhaitait s'acheter de nouvelles plumes et du beau papier pour vous faire les plus belles lettres qu'il en soit.

Je lui donnai donc son pécule et mis même plus que nécessaire pour qu'elle puisse se faire entièrement plaisir. Je m'en souviens encore de ce sentiment de soulagement et de joie que me parcourut à cet instant précis.

Je m'en souviens peut-être si précisément car quelques heures plus tard, c'est l'effroi qui remplaçait ceux-ci. En sortant pour faire ses emplettes, elle ne voulut par prendre la voiture. Elle était tellement remplie d'énergie qu'elle souhaitait, je pense, pouvoir sentir le vent et profiter de sa marche pour sortir son corps de sa triste léthargie.

Malheureusement, et ce mot n'est pas assez fort pour marquer le malheur qui nous a envahit, ma très chère Héloïse eut un accident sur le chemin du retour. Une voiture dont le cheval s'est soudainement emballé, la percuta de plein fouet. Elle fut frappé par le sabot en plein ventre et sa tête rencontra une pierre.

C'est toute ensanglantée que je la vis la première fois à l'hôpital. Cette vision de ma chère et tendre me hante encore, la nuit.

A partir de cet instant précis, ma vie ne fut que visite à l'hôpital et prière pour ma pauvre épouse. Nous passâmes bien six mois dans cet endroit d'espoir et de malheur avant que je ne puisse la ramener chez nous. Six mois, où elle perdait connaissance plusieurs journées avant de revenir parmi nous, l'esprit embrumé, la privant d'une partie de ses facultés et de ses souvenirs. Elle se rappelait de votre enfance, de notre mariage mais avait oublié qu'elle avait donné la vie. Les médecins m'ont confirmé que c'était parfois le cas mais qu'ils ne pouvaient pas y remédier.

Durant ces longues heures de conscience, j'eus l'honneur et le plaisir de lui lire toutes vos lettres. Vos mots lui animaient les yeux, elles semblaient tellement plus heureuses quand elle savait que vous lui écriviez. Elle m'avait demandé de vous répondre mais je n'avais pas le coeur de vous annoncer ce que le sort lui avait fait alors que de votre coté, vous viviez une tragédie auprès de votre époux. Je me permets de vous souhaiter toutes mes condoléances pour la perte de votre moitié. Aux mots que vous écriviez, j'ai compris que vous étiez très attaché. Sachez que dans mes prières, je me suis permis de prier pour votre cher époux même si, comme j'ai pu le constater, cela n'a pas changé les projets de notre seigneur.

Je vous remercie également pour votre avertissement concernant Madame Pisonat. J'ai pu faire le nécessaire sur cette vilaine rumeur et y apporter toute ma lumière. Elle prenait mon épouse pour la fauteuse alors que c'était elle, la compromise. Je vous remercie également pour avoir défendu son honneur. Vous étes une amie dévouée et une grande dame.

Je m'égare dans mes mots. Je dois vous avouer que je retarde au plus le temps de vous mettre sur papier la conclusion de notre tragédie. Même si je pense que vous avez compris depuis le début ce qu'il en est.

Ma très chère Héloïse nous a quitté en décembre dernier. Le froid avait givré les fenêtres, le feu crépitait dans la cheminée de sa chambre. Elle semblait tellement bien ce matin-là que je pensais que Dieu avait enfin entendu mes suppliques ! Elle avait demandé à voir notre fils et avait même passé quelques heures avec lui à lui raconter des histoires. Elle m'avait dit qu'elle sentait la vie revenir en elle, qu'elle allait tout faire pour se remettre en forme et qu'elle comptait bien vous inviter dès que ça serait possible. Ces paroles m'avait tellement apporté de l'espoir que je dus me retirer dans mon bureau pour ne pas laisser court à mon émotion interne. C'était enfin fini ! J'envisageai déjà notre départ à la campagne, les balades, les soirées à la lecture. J'imaginai tellement de précieux instants ! Mais la fin ne fut pas celle que j'escomptais. Héloïse sombra dans fièvre délirante dans l'après-midi. Elle se mit à hurler et à murmurer des paroles incohérentes. J'ai fait venir notre médecin et celui-ci m'annonça la même chose qu'à vous. Il ne fallait plus espérer. C'était la fin.

Héloïse s'endormit pour toujours à vingt-trois heures quarante cinq. Cette heure me hante le soir. Je ne peux m'empêcher de regarder ma montre chaque soir et de retenir mon souffle pendant cette minute fatidique. Depuis, nous n'envisageons plus l'avenir.

C'est le coeur bien lourd que je vous annonce tout le cela. J'aurais tellement aimé vous écrire en son nom et vous convier à nous rendre visite. Maintenant, je ne peux que vous conviez, si tel est votre souhait, de lui rendre visite en notre caveau familiale. Si c'est le cas, prévenez-moi, je vous enverrai une voiture pour vous y rendre.

J'ai également une unique faveur à vous demander. Je sais bien que le moment n'est pas opportun maintenant pour vous la demander mais je ne vous la demande pas pour maintenant mais pour un jour, dans un futur dont, je suppose, nous n'envisageons pas pour le moment l'un comme l'autre.

Pourriez-vous écrire à notre enfant pour lui raconter comment sa mère était ? Quelles étaient vos histoires d'enfants ? Vos jeux d'enfants ? Pourriez-vous me faire cette faveur ?

Il va grandir sans souvenir de sa mère et cela me fend le coeur.

J'espère que cette faveur ne vous semble pas déplacer de ma part. Je profite de cette unique missive pour vous la demander. Si c'est le cas, je vous prie de m'excuser.

Je pense qu'il est temps de vous laisser. Je n'ose imaginer la tristesse qui envahit votre bon coeur à ce moment précis de votre lecture et, croyez-moi, j'en suis navré. Je souhaite que l'avenir vous réserve le meilleur à vous et votre enfant.

Votre dévoué,

Armand Delatour

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