Chapitre 7 - Aime Aigri

7 minutes de lecture

— Je voudrais pas casser l'ambiance… mais t'as maigri ! remarqua Yannis en observant Ludwig.

Ils étaient tous rassemblés en cercle autour d'un Yannis un peu gêné, et chacun d'entre eux avait une expression différente : Laura détournait le regard avec une mine sombre ; Bartavius ajustait sans cesse ses lunettes, les yeux écarquillés ; Béryl, qui était revenue avec Lucans, avait l'air aussi sceptique que lorsque des badauds tentaient de leur vendre des accessoires magiques ; Kara semblait sur le point d'exploser à chaque seconde, trépignant sur sa chaise ; Saulia regardait le mage avec une immense admiration dans le regard.

Ludwig, lui, se sentait d'humeur si massacrante qu'il aurait apprécié pouvoir ramener le Tranchecoeur dans ce monde pour une très bonne raison…

— Tu as cassé l'ambiance, commença-t-il. Ainsi que tout… TOUT notre plan ! Argh ! Comment tu fais pour être aussi insupportable ?

— Cela fait partie de mon charme, mais je ne vois pas le rapport avec…

— Tu es MORT, espèce de revenant au teint beaucoup trop rose. Merde ! pesta Ludwig, surprenant ses amis proches qui étaient habitués à le voir garder son sang-froid, avant de continuer : Il faudrait déjà que quelqu'un m'explique pourquoi la plupart d'entre vous n'êtes pas surpris.

— De quoi ? balbutia Saulia en se tirant de sa rêverie.

— C'est lui qui vous a sauvé des Dardants du Sinueux, expliqua Kara avec précipitation. Il a stoppé l'explosion fatale te visant, Ludwig.

— Je l'avais déjà pressenti, se justifia Laura, s'attirant un regard étrange de la part de son assistante à lunettes.

— J'ai toujours confiance en mes élèves, ajouta Bartavius avec un air mystérieux.

Ludwig se tourna vers Béryl et Lucans, qui reculèrent pour montrer leur lien nul avec cette affaire. Le jeune blond se frotta les tempes, épuisé ; il devait gérer un ordre de fanatiques mages, éviter un incident diplomatique entre deux peuples séparés biologiquement et éviter une Troisième guerre mondiale.

— Très bien, se ressaisit-il en se tournant vers son ami supposé décédé. Tu as quelque chose à dire ?

— Rien qui me vient à l'esprit… Ah si ! Il faudrait que je t'invite un de ces quatre à la plage de Mizvenia, le sable est si brillant et l'eau aussi claire et turquoise que celles de tropiques !

— Quoi !? s'énerva Ludwig en se levant d'un coup. Tu débarques de nulle part tout sourire, comme si tout allait bien, alors que je me coltine toutes les merdes que tu as provoquées, toute la connerie que t'as emmagasinée dans ta poubelle en pensant que c'était le tri sélectif, pour finalement m'inviter à la… à la plage ?

— Calme-toi, Ludwig, lui enclint Béryl d'un ton apaisant.

— Me calmer ? rigola-t-il d'un air fou ? Mais je suis calme ! Regardez plutôt ce trouble-fête qui pense que tout va sur des roulettes alors qu'il a tout laissé en plan ! Est-ce qu'au moins tu sais ce qui s'est passé depuis un an, ou même depuis sept pendant que je n'étais pas là pour faire ta mission !

— Écoute, il ne pouvait pas savoir que tu allais atterrir plus tard que ton époque ! Réussir à téléporter tout une planète sur une autre, avec un délai de seulement sept ans depuis un monde instable magiquement… C'est un exploit !

— Oui ! soutint Yannis en approuvant les dires de Lucans, puis se tourna vers son ami : Tu vois, Ludwig, c'est un exploit ! Tu devrais me remercier !

— TE REMERCIER DE M'AVOIR FAIT PORTÉ CE FARDEAU ?!! hurla ce dernier, avant de souffler un bon coup : Va.Te.Faire.Foutre.

Il partit de la salle avec la folle envie de prendre la porte à mains nues pour la balancer sur ce visage souriant. Une fois dans le couloir, il s'appuya dos au mur, les yeux rougis par la frustration, et se laissa glisser sur le sol. C'était difficile de se retenir de pleurer, mais Ludwig était habitué à ne pas montrer ses larmes ; l'entraînement devant le miroir, chaque matin où le ciel gris lui renvoyait l'image de sa propre existence, orageuse et exempte de toute joie.

Bien sûr qu'il était heureux de retrouver Yannis ! Le savoir vivant le réconfortait, mais en même temps la douleur causée par son retour était bien réelle. Il se souvenait avec clarté le visage mélancolique de son ami qui lui demandait de veiller sur les deux peuples aussi différents l'un de l'autre. La tâche la plus ardue, et la plus « noble ».

Un boulot dont se serait bien passé le jeune blond.

Il entendit la porte s'ouvrir lentement, et vit du coin de l’œil Saulia qui s'approcha et s'assit sans mot dire à ses côtés. Encore une fois, elle démontrait son efficacité tant par son sérieux que son empathie ; Ludwig avait besoin d'espace, mais rester seul ne l'avait jamais vraiment réussi. La présence seule de sa secrétaire l'enveloppait dans une couverture de réconfort, un plaid dans cette pluie torrentielle qu'était son existence.

— Je suis sensé faire quoi ? lui demanda-t-il après une longue minute, la tête penchée sur le côté et le regard dans le vague.

— Faire avec, et elle haussa ses épaules en lui lançant un sourire compatissant. Tu n'es pas seul, tu sais.

— Ne va pas croire que je l'ai oublié… Mais avec toutes ces choses qui débarquent sans prévenir, comment je peux faire pour réussir à concilier tout ça ?

Saulia pesa la question, son nez se retroussant pendant qu'elle réfléchissait. C'était l'une des choses qui l'amusait le plus chez elle, cette façon de donner l'impression que son interlocuteur sentait mauvais… Alors que c'était juste ses questions rhétoriques qui sentaient le pied de randonneur gallois.

— On ne peut pas vraiment réussir à tout rattacher ensemble à la fois. Par contre, continua-t-elle en mettant sa main sur l'épaule du blond larmoyant, tu peux lier chaque chose à la prochaine, créer une chaîne au lieu d'une toile. C'est plus fragile, mais ce sera déjà consolidé pour la prochaine étape.

— Ton idée me plaît… Ouais, t'as vraiment eu une bonne idée ! (Il s'essuya les yeux, et renifla, avant de se tourner vers son amie :) T'es vraiment sage, sur le coup.

— Tu ne m'aurais pas accepté, sinon ! le taquina-t-elle. Allez, je m'occuperais de gérer la tornade qu'est Yannis, et toi tu te concentreras sur les Dardants.

— Je… Oui, la chaîne (Saulia acquiesça avec patience)… Excuse-moi.

— Tu es pardonné. Allez, l'ambassadeur : c'est l'heure de la réunion de combat.

Ils rentrèrent dans la salle, avec un regard brûlant de détermination. De leur côté, Béryl et Lucans étaient en train de bombarder Yannis de questions, qui tentait de répondre à cette avalanche, quand il remarqua son ami. Il se leva, et marcha jusqu'à lui pour lui faire face.

Leurs regards se croisèrent, projetant une atmosphère née d'un mélange de complicité, de rivalité et de jaugeage. Soudain, Ludwig tendit sa main vers Yannis. Ce dernier la regarda avec un air interdit, avant de l'attraper et de lui rendre sa poignée de mains.

— Saulia s'occupera de te raconter tous les détails, déclara Ludwig. On discutera de toutes les... autres choses dès qu'on se sera occupé des Dardants ; ça te va ?

— Comme si j'allais refuser.

Le contrat était formé, et Saulia emmena Yannis hors de la salle, la tension retombant dès qu'il fut partit. Ludwig regarda la porte fermée quelques instants, se demandant comment il pouvait encore se mettre à pied d'égalité avec un type capable de vous faire voyage dans le continuum espace-temps, de créer des dimensions parallèles ou de désintégrer des planètes. Une respiration, et il se retourna.

— Maintenant que cette affaire est réglée, je suis heureux de voir que tout le monde est réuni aujourd'hui.

— Il restera encore des personnes à accueillir, intervint Kara qui avait enfin décidé de délier sa langue. Pythie, Solis, Solis et… Horebea ont accepté de venir nous aider.

— Excellent. Plus on a de mourniens à nos côtés, plus votre image sera redressée aux yeux du public quand on arrêtera ces fanatiques du Sinueux – Ludwig se tourna vers l'ancien directeur – Bartavius ?

— J'ai contacté Éléanora et Archibald, mais seule la première a répondu. Archibald est injoignable depuis l'Apparition.

— C'est inquiétant, mais on ne peut pas se permettre de lancer des recherches maintenant, regretta le blond. Autre chose ?

— J'ai pu localiser toutes les planques de mages renégats, rajouta Laura en lui tendant un calepin qu'il feuilleta rapidement. La plupart d'entre elles sont assez petites, donc je propose qu'on s'occupe des grosses en premier.

— Nous pouvons compter sur les services secrets de Yerkes pour fouiller celles dont on s'occupera pas, expliqua Ludwig. Si je comptes bien… Hmm… Il y a en tout neuf planques proches, donc je propose que nous nous séparions en plusieurs groupes afin de couvrir une plus large zone. On va faire comme ça : mournien/terrien. Béryl, tu seras avec Bartavius – les deux acquiescèrent – Lucans tu iras avec Kara, Saulia avec Horebea si elle est d'accord (il coula un regard entendu à Kara) et moi je resterais avec Laura. Nous commencerons les recherches demain, vous pouvez disposer !

Tandis que les jeunes se levaient de leurs chaises pour partir, Bartavius s'approcha de Ludwig, s’attirant un regard interrogateur.

— Quelque chose ne va pas ?

— Une simple suggestion… Pensez-vous être en parfaite sécurité avec Mlle Blake ?

— Vous voulez parler de sa nature de sorcière ? (Ludwig haussa ses épaules devant l'air étonné de Bartavius) Tant qu'elle sait utiliser sa magie, je n'ai pas vraiment de soucis à me faire.

— Mais les sorcières sont pour la plupart retordes et misanthropes, et puis…

— Écoutez, Bartavius, soupira l'ambassadeur avec un regard dur. Vous êtes quelqu'un de très respectable, qui nous a beaucoup aidé sur Mourn et ici. Un élément presque indispensable… Seulement voilà, vous ne l'êtes pas. Donc vos préjugés mourniens, je vous conseille de vous les fourrer là où je pense, ou je m'en occuperais personnellement quand je vous enverrais à l'Académie en Colissimo. Mais ni vous ni moi ne souhaitons que cela arrive, n'est-ce pas ?

Le magicien resta interdit quelques instants, et Ludwig crût déceler une certaine colère dans son regard, mais bon, il l'avait cherché ; que l'on soit ou non originaire de l'académie, un magicien qui guérissait les humains avait toute sa confiance… relative.

Bartavius s'inclina avec déférence, avant de lâcher :

— Bien entendu. Veuillez excuser mon excès de frayeur.

— Vous êtes pardonné tant que vous regrettez vos actes, lui assura Ludwig pour calmer le feu qui devait gronder derrière ce masque de pierre. Vous avez autre chose sur l'esprit.

Le magicien secoua sa tête, et Ludwig put le congédier. Quand il fut sortit, Ludwig marcha jusqu'à la fenêtre pour regarder le ciel gris et cette pluie battante, lui rappelant le temps où le soleil du midi caressait sa peau.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Reydonn ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0