17. Anémoi

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Ce matin-là, le brouillard s’était levé avant le soleil, rendant l’atmosphère hivernale humide et mystique. Les rues, presque vides, ne comptaient que quelques passants bien décidés à aller travailler. L’horloge de l’entrée affichait précisément sept heures quatre lorsque Scarlet franchit le seuil de la porte, partant pour sa traque. Finalement, elle avait suivi à contre-cœur les conseils de Sergei et s’était entraînée toute la soirée de la veille. Si elle n’avait que très peu dormi, elle ne ressentait pas la fatigue. La détermination et la hâte d’arracher son frère aux mains de cette femme était bien plus grande.

Durant un instant, Scarlet cessa sa marche, s’arrêtant devant la vitrine d’une boutique de vieilleries. Elle ne s’intéressait pas réellement au contenu, mais plutôt à son reflet, qui lui semblait bien étranger. Elle n’avait plus l’air d’une Aldienne dorénavant. Ses cheveux étaient tirés en arrière en queue-de-cheval et elle avait troqué ses habits en peau d’animal en une combinaison d’un noir profond. Ayant l’habitude d’être armée de son canif à la cheville et de son arc dans le dos, elle cachait désormais des dagues sous son manteau, dissimulées au regard des autres personnes. Elle était une humaine de la ville dans laquelle elle avait échouée. Corrompue, sombre et secrète. Un soupir traversa ses lèvres alors qu’elle se faisait violence pour arrêter de se juger et continuer sa recherche.

Deux heures s’écoulèrent avant qu’elle ne trouve enfin la soixante-quatrième avenue. Ses yeux scrutèrent les numéros des bâtiments, jusqu’à apercevoir le neuvième. Son ventre se noua d’appréhension, pour la première fois depuis bien longtemps. Devant elle se dressait un immense immeuble, loin d’être aussi délabré que celui dans lequel était Aaron. Dans ce quartier ci, les habitations étaient rectangulaires et leur façade était incroyablement lisse. Les derniers étages, faits de verre, laissait penser que tous ne pouvaient se permettre de loger dans un endroit pareil. Si elle en croyait les dires des autres, Scorpio avait de l’argent, beaucoup d’argent. Pas assez pour être de ceux de la colline, mais bien plus que ceux qu’elle avait rencontré jusque-là. Inspirant profondément, Scarlet s’enquit à monter les nombreuses marches, qui la mèneraient jusqu’au sommet. Jusque Garett.

La porte d’entrée était en métal. Durant quelques secondes, elle se demanda s’il était d’usage de toquer, comme l’avait fait Aaron au Q.G. de Charly. Cependant, elle n’avait aucun service à demander à cette femme, elle n’avait peut-être donc pas besoin d’être polie. Incertaine, elle ouvrit, délicatement, espérant secrètement que son ennemie était trop occupée à autre chose pour l’entendre pénétrer dans sa demeure.

La pièce était deux fois plus grande que le salon de Charly. Les meubles, répartis un peu partout, relevait d’un art de menuiserie qui lui était inconnu et les murs étaient faits de vitres épaisses, amenant une vue incroyable sur la ville. Depuis son arrivée dans le monde des humains, Scarlet n’avait jamais observé une telle chose. A pas feutrés, elle s’avança dans la pièce, la main sur la dague droite accrochée à sa hanche. Il n’y avait aucune trace de vie, ici, si bien que durant un instant elle se demanda si elle était bien au bon endroit. Le silence de plomb était étrange et relativement stressant. Puis, elle remarqua que dos à elle, un peu plus loin, quelqu’un semblait calmement assit sur une chaise. Le souffle coupé, Scarlet hésita à se montrer. Soudainement, une brise vint soulever ses cheveux, lui arrachant un frisson. Elle parcouru le regard à la recherche de la provenance mais aucune fenêtre ne semblait ouverte. La personne n’avait toujours pas bougé. La couleur noire de jais de ses cheveux laissait clairement penser que c’était Scorpio. Que faisait-elle aussi exposée alors que quelqu’un s’était introduit chez elle ? Peut-être qu’elle dormait, peut-être ignorait-elle tout simplement que Scarlet était là. Cela facilitait les choses. Ainsi, elle pourrait tout simplement glisser sa lame sur sa gorge sans qu’elle ne s’en aperçoive et c’en serait terminé. Elle récupèrerait Garett, Halia et ils repartiraient sur Alda comme si rien de s’était passé.

« Je ne ferais pas ça si j’étais toi. »

Un sursaut saisit le corps de Scarlet. Elle cessa tout mouvements.

« Le vent porte le son. » lâcha Scorpio sans se retourner.

Guettant toute agressivité, l’Aldienne garda les yeux rivés sur son ennemie.

« Tu es venue pour me tuer ?

— Je suis venue chercher Garett, répondit-elle enfin, mal assurée. Dis-moi simplement où il est.

— S’il y a un homme à cet endroit, il est déjà mort. »

Sa voix rauque était dénuée de toute empathie, de toute émotion, comme si assassiner était similaire à respirer. Imaginer qu’elle ait pu ôter la vie à son frère mettait Scarlet hors d’elle.

« Alors je suis venue te tuer. » lâcha-t-elle tout aussi froidement.

Un rire dépourvu de joie transperça la pièce. Scorpio se leva enfin et se tourna face à elle. Soudain, elle semblait fragile et à deux doigts de se briser. Son regard gris clair était vide et son visage creusé lui donnait l’impression qu’elle était déjà morte. Elle était la représentation d’une âme torturée, d’une poupée de cire créée dans le but d’effrayer. La représentation même de la mort.

« Beaucoup de personnes sont venues avant toi, tu sais, lâcha Scorpio. Ils ne sont jamais ressortis de cet appartement. »

Scarlet déglutit difficilement. Elle devait faire allusion aux hommes que Charly avait envoyés, où peut-être même à son ancienne mentore, Ednerys.

« Si tu as tué mon frère, je lui rendrais justice. »

Un sourire déforma le visage de la femme pâle.

« Eh bien, qu’attends-tu ? »

C’était une bonne question. Les mots de Sergei lui revinrent en tête : Que savait-elle de l’assassinat, réellement ? Peut-être que, durant un instant, elle avait espéré qu’ôter la vie d’un humain était similaire à chasser. Mais ça ne l’était pas. Haletante et tremblante, elle dégaina ses dagues, en position défensive. Avait-elle le choix ? Sa mère la traiterait de lâche si elle se dégonflait face à son ennemie, c’était certain. La vie de son frère était en jeu, elle n’avait pas le droit de se retirer de ce combat. Une nouvelle fois, une brise vint fouetter son visage. L’appartement semblait être en proie à une bourrasque de vent venant de nulle part. Devant-elle, Scorpio s’était armée de couteaux, comme l’avait prévu Sergei. Un entre chaque doigt, les lames pointées vers Scarlet, elle attendait patiemment que celle-ci se décide à l’attaquer. Une ou deux minutes s’écoulèrent, durant lesquelles aucune d’elles ne daigna bouger. A l’affut du moindre mouvement, l’Aldienne n’osa faire le premier pas. Était-ce nécessaire ? Avait-elle une autre solution pour retrouver Garett ? Probablement pas. Alors, elle puisa le courage au fond de son être, et entra dans la bataille.

Elle esquiva le premier couteau de justesse. Son but était précis : elle devait rester en vie le plus longtemps possible afin de s’approcher de sa cible rapidement et la désarmer. Ainsi, elle s’avançait prudemment. La seconde fois, la lame frôla sa tempe, laissant une fine blessure. Le cœur battant, elle tenta de se rapprocher. Plus que trois mètres. Le vent soufflait de plus en plus fort, brouillant sa vue. Aucune fenêtre n’était ouverte, et pourtant elle avait l’impression qu’une tornade se préparait dans l’appartement. Certains objets s’écrasèrent sur le sol tandis que les plus légers voltigèrent dans l’espace. Le troisième couteau écorcha sa jambe. En proie à la douleur, Scarlet se retint de grimacer. Elle se souvenait de ses cours au centre, dans lesquels ils expliquaient que l’ennemi ne devait jamais avoir accès à leur point faible. Il ne fallait jamais montrer sa douleur, car si c’était le cas, l’adversaire avait déjà gagné.

Le sang coulait sur sa cuisse, dorénavant. Plus le souffle du vent était intense, moins elle arrivait à voir devant elle. Malgré cela, il n’avait pas une seule fois dévié les lames de Scorpio. Comment faisait-elle pour que ses couteaux aient une trajectoire aussi droite alors que le mistral déplaçait même les meubles ? L’avant-bras devant son visage, Scarlet se mit à réfléchir. Il y avait forcément quelque chose qui lui échappait.

Alors, elle comprit. C’était évident, presque logique. L’air, qui tourbillonnait incessamment autour d’elle, était divisé en deux. Au milieu, il laissait une faille dans lequel il n’avait pas accès. Ainsi, Scorpio lançait chacune de ses lames parfaitement entre les deux tornades, afin qu’elle atteigne toujours sa cible. Alors, Scarlet se déplaça volontairement vers la droite, en plein dans la tempête. Si elle avançait aussi lentement qu’un escargot, elle était en sécurité.

Cependant, Scorpio n’avait pas dit son dernier mot. Un sourire en coin déformant son visage blafard, elle avait réuni chacun de ses couteaux en une main et les avait délibérément lancés dans la tempête. Les lames tranchantes voltigeaient à présent tout autour de Scarlet et l’une d’elle se planta dans son épaule. L’Aldienne se tordit de douleur et tomba sur le sol, se laissant transporter par le typhon.

Alors, le vent cessa.

Soudainement, le calme était revenu. Scarlet, qui s’était faite éjectée contre la vitre, était en sang. Difficilement, elle retira la lame plantée dans sa chair, laissant le liquide rouge couler abondement. Sergei n’avait pas menti, cette femme était diablement forte, imbattable. Alors, elle expira doucement, acceptant sa défaite et sa mort prochaine.

Scorpio s’avança vers elle, méfiante. Elle s’assura que son ennemie était incapable de lui causer plus de tort, et éloigna d’un coup de pieds les dagues à sa portée. Il ne lui restait qu’un seul couteau, d’un gris anthracite, qu’elle gardait pour abréger la souffrance de ses victimes. Elle le pointa vers Scarlet, soudain hésitante.

« Je n’ai pas pour habitude de tuer des femmes. » lâcha-t-elle.

Etonnée, l’Aldienne leva les yeux vers elle.

« Qu’est-ce que ça change ?

— Absolument tout. »

Scorpio lâcha un soupir.

« J’imagine que Charly t’a engagé pour ça, seulement, ça m’étonne que tu aies accepté.

— Je n’ai pas eu le choix, répondit-elle. C’était le seul moyen que j’avais pour sauver Halia et Garett.

— Garett ? Garett Jones ? »

Une lueur d’espoir traversa les iris de Scarlet.

« Promets-moi de ne pas le tuer. Considère que c’est ma dernière volonté avant que tu me plantes ce couteau dans le cœur.

— Pourquoi diable tuerais-je un enfant ? »

Scarlet fronça les sourcils.

« Pourquoi l’as-tu enlevé alors, si ce n’est pas pour récupérer la prime ?

— Je n’ai jamais touché à ce gamin ! Cet imprudent à rejoint le clan d’Hécate Regit, une de mes connaissances. Il est en sécurité là-bas.

— Charly m’a dit que tu lui ferais du mal…

— Je ne descends que les violeurs et les pédophiles, pas les gosses ! Charly t’as simplement dit ce que tu voulais entendre pour que tu viennes jusqu’ici.

— Si tu sais où il est, veille sur lui… l’implora Scarlet, la vue brouillée.

— Ce que tu peux être bête, grogna-t-elle. »

Scorpio souleva le corps de l’Aldienne, la portant jusque dans la salle de bain.

« Est-ce que tu es en train de me sauver la vie ? murmura-t-elle difficilement.

— Ferma là, que je puisse désinfecter tes plaies. »

Scarlet serra la mâchoire alors que son ancienne ennemie versa un produit sur l’entaille à son épaule. La douleur était atroce, mais pourtant, elle sut que c’était dans son intérêt. Charly avait menti. Ce n’était pas étonnant, après tout. Cet homme était un monstre, prêt à tout pour arriver à ses fins.

L’eau versée sur son corps dilua le sang dans la baignoire. Elle n’avait aucune idée de la raison qui poussait Scorpio à la sauver plutôt qu’à la tuer, mais elle lui en était soudainement reconnaissante. Décidément, elle s’était fourvoyée, sur toute la ligne. Relevant les yeux vers la petite fenêtre à sa droite, elle interpréta la lumière comme un espoir naissant. La suite des évènements semblait s’éclaircir, comme si cette rencontre allait changer bien des choses.

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