15. Verdict

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L’heure écoulée, elles conversaient encore. Il y avait des détails peu probables, et des actions risquées, rien de ça ne tenait la route. Seulement, Charly avait été clair. Elles n’auraient pas une seconde de plus.

« Ding dong, jeunes filles. »

Sa voix grinçante serra le cœur de Scarlet.

« Encore une seconde, tenta celle-ci. Juste une seule !

— Je ne fais pas dans la charité.

— Non ! » s’exclama-t-elle, désespérée.

Il manquait encore trop de choses, rien n’avait été mis au point correctement. Le plan ne marcherait jamais, il lui manquait la fin, et sans celle-ci, elles étaient toutes deux perdues. Déchirant dans un écho la pièce aux murs de bétons, elle hurla, suppliant de la laisser encore une minute de plus. Mais il n’écouta pas. Il attrapa son bras violemment, arrachant ses mains du barreau de la cage et la traîna jusque dans les escaliers. Elle interrogea Halia du regard. Après tout, elle pouvait encore utiliser le briquet. Dans un dernier instant, avant qu’elle ne soit tirée hors de son champ de vision, la captive secoua la tête négativement. Si elle tentait de tuer Charly, elle condamnait Garett. Ainsi, elle se laissa porter en haut des marches, laissant s’échapper une larme si fine qu’elle en était invisible.

Scarlet n’avait jamais vu de femmes pleurer. Cette manifestation de tristesse et de faiblesse était réservée aux hommes, sur l’île, qui avait le loisir de montrer leur douleur physiquement sans être jugé. Elles, en revanche, se devaient de rester impassibles, froides, et déterminées. Il n’y avait pas de place pour la souffrance dans leurs rangs. La première fois qu’elle avait surpris une des leurs sangloter, c’était lorsque Halia était tombée de cheval, il y a six ans de cela. Blessée, son genou saignait et elle s’était réfugiée dans la Petite Forêt pour éviter qu’on ne l’aperçoive. Scarlet, ne sachant quoi dire ou quoi faire, était resté avec elle le temps qu’elle se calme jusqu’à ce que le soleil se couche. Elle avait compris à cet instant qu’elle ferait une bien meilleure Reine que n’importe qui d’autre sur Alda. Laisser ses émotions être vues semblait bien plus courageux que de les cacher.

Charly claqua la porte de son bureau, sortant Scarlet de ses pensées. Un rictus victorieux déformant son visage, il s’était affalé sur sa chaise. Aaron n’avait pas bougé d’un centimètre, son visage trahissant sa colère irrépressible.

« Je crois qu’il est temps que tu rendes ton verdict, déclara Charly.

— Ne fais pas ça ! » s’exclama Aaron en se tournant vers elle.

Scarlet ferma les poings, enfonçant ses ongles dans sa paume si fort que ça lui en faisait mal. Elle luttait contre sa colère, sa rage et sa haine d’une manière qui ne lui ressemblait pas.

« J’attends…

— J’accepte, finit-elle pas dire dans un souffle.

— Quelle excellente nouvelle ! Je n'en attendais pas moins.

— Mais j'ai une dernière condition. »

Elle releva la tête, plongeant ses yeux dans ceux de Charly de manière si intense qu'il les détourna par réflexe.

« Je peux le négocier.

— Je veux retrouver mon frère.

— Cela va sans dire voyons ! Je suis déjà sur une piste, de toute façon. »

Il se tourna vers Aaron.

« Quant à toi, tu peux partir. Sergei te raccompagna jusqu’à la porte.

— Je connais le chemin, maugréa-t-il.

— Un dernier mot à ton amie, peut-être ? »

Ses iris, clairs et brillants, scrutèrent Scarlet avec tristesse. Il savait qu’ils avaient perdus. Charly allait récupérer leur immeuble et il l’avait, elle, dans ses rangs pour l’attaquer s’il refusait. Que ferait les Mambas Noirs contre une femme qui manipulait le feu ?

« Prends soin d’Halia, lâcha-t-elle d’une voix brisée. Elle aura besoin de toi.

— Je le ferai. »

Il déglutit difficilement. Derrière lui, Sergei commençait à s’impatienter. La seconde d’après, ils avaient disparu dans le couloir.

« Un jour, je briserais ta vie en mille morceaux, si bien que tu ramperas jusqu'à moi pour me supplier de te laisser la vie sauve, vociféra-t-elle.

— Est-ce que c'est une menace ?

— C'est une promesse. »

Il esquissa un sourire malicieux, puis haussa les épaules.

« Pour l'instant, deux choses t’en empêchent. La première, énuméra-t-il avec ses doigts, Ethan Malerne, autrement dit mon informaticien dévoué, a implanté une balise dans le corps de ta chère Halia. Elle explosera donc à la minute où je serais mort. La seconde, bien plus intéressante, est que je connais l’emplacement de ton petit-frère. Mieux encore, je sais qui le détient. »

Scarlet retint son souffle. C’était beaucoup d’informations ingérables : Halia n’était pas sauvée comme espéré, et l’homme squelettique qu’elle avait envie de découper en cinquante petits morceaux de chair avait trouvé le moyen de continuer son chantage.

« Puis, reprit-il de sa voix victorieuse, tu travailles pour moi désormais. »

Elle grinça des dents.

« Qu’attends-tu de moi, au juste ? »

Un sourire se forma sur son visage et il commença à marcher lentement, faisant le tour de la pièce.

« J’ai bien conscience que le fonctionnement de mon entreprise t’échappe. Tu n’es qu’une sauvage débarquée d’une île dénuée de toute technologie, après tout. »

Encore une fois, elle serra la mâchoire, retenant tant bien que mal ses pulsions meurtrières.

« Voici donc la principale chose que tu dois savoir : j’ai des sous plein les poches, et ces billets verts me permettent d’acheter des hommes, tels que Sergei. Ceux-ci, loyaux et dévoués, m’aident à agrandir mon influence sur la ville. Car tout le monde le sait, l’argent, c’est le pouvoir.

— Viens en au fait, Charly, s’énerva-t-elle.

— Patience ! » s’exclama-t-il, une lueur de folie traversant ses yeux jaunis.

Elle croisa les bras, calmant ses accès de rage.

« Ces hommes, poursuivit-il en reprenant ses cent-pas, je leur confie des missions, toutes plus importantes que les autres. Nous sommes des chasseurs de primes, après tout ! Quelqu’un paie, et nous on tue, c’est ainsi que ça fonctionne.

— Quelle est ma place, si tu as déjà tout ces humains à ta botte ?

— Le problème avec eux, c’est que pour les faire bosser, il faut leur verser un salaire, déductible directement sur ce que le commanditaire me donne. Or, certaines missions sont strictement personnelles, et bien sûr, aucun d’entre eux ne souhaite faire du bénévolat. »

Elle fronça les sourcils, certaines choses n’avaient pas vraiment de sens à ses yeux. Déjà, cette notion d’argent, bien qu’Aaron et Maïa eut tenté de lui expliquer en large et en travers, n’avait aucune logique pour elle. Qui voudrait risquer sa vie pour du papier, nom d’une déesse ?

« Pourtant, c’est bête ! s’écria-t-il avec une pointe d’hystérie, les sourcils arqués. Je leur ai tout donné ! Un toit, un job, de quoi rentrer auprès de leur boniche de femme avec les poches remplies ! »

Il agita les bras, épris d’une colère insensée. Soudainement, il reprit son calme, râcla sa gorge, et reprit son explication infondée :

« Quoi qu’il en soit, aucun de ces abrutis n’ont accepté de faire ça pour moi. Je les ai menacés, j’en ai torturé quelques-uns, et finalement, ils ont décidé qu’ils partiraient à sa recherche. Mais pas un seul de ces cons n’en est revenu. Tous morts ! Sauf Sergei, bien sûr, ce qui lui a valu une jolie promotion et deux ou trois…

— A la recherche de qui ? s’impatienta Scarlet.

— Scorpio Wyatt. Vingt-trois ans, brune, peau cadavérique et caractère de merde. Elle manie les couteaux comme si ses mains étaient faites de lames. Sortie d’un asile, elle a cru bon de s’allier avec ma rivale de toujours, Ednerys Arion, qu’elle a assassiné froidement quelques années plus tard pour prendre sa place. »

A présent, son visage aux yeux révulsés était si proche de Scarlet que celle-ci pouvait sentir son haleine putride s’infiltrer dans son nez. Elle retint son souffle, par dégoût.

« Je veux que tu la tues, peu importe si tu dois employer tes machins-trucs, ton pouvoir magique ou je-ne-sais quoi pour ça. »

Il s’écarta enfin, un autre de ses sourires effrayants déformant son visage crasseux.

« Et si je refuse ? »

Il éclata d’un rire perçant.

« J’explose Halia, je détruis Aaron et sa bande, et ensuite je te tire une balle dans la tête. »

Elle déglutit.

« Mais si tu as besoin d’une motivation plus optimiste, c’est elle qui détient Garett Jones. Plus vite tu la retrouve, moins il a de chance de mourir entre ses mains. »

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