14. Halia

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Il fallait qu’elles trouvent un moyen. Désespérément accrochée aux barreaux de la cage, Scarlet retenait le volcan en ébullition qui prenait place en elle à mesure qu’elle voyait son amie dans cet état. Dans l’instant, à travers son regard, on ne pouvait y voir que la colère, la haine et la douleur. C’était si présent qu’elle pouvait sentir la lave de souffrance se déverser en elle, brûlant ses veines et sa peau en de milliers de picotements, semblable à des brûlures. Dévastateur, destructeur, ravageur. Elle était capable de tout de manière irréfléchie, sanguine bestiale et instinctive.

Halia, quant à elle, représentait la sagesse et le calme. De tous, elle était la seule qui pouvait contenir ce qui s’apparentait à une explosion, une salve de folie féroce, que Scarlet allait déverser sur tout humain croisant sa route. Une part d’elle souhaitait que cela se produise. Les habitants de ce monde lui avait fait endurer tant d’atrocités qu’elle était prête à lâcher son amie dans les flammes de l’enfer, engloutissant tout sur son passage. Pourtant, elle savait que si elle laissait Scarlet être dévorée par la vengeance, celle-ci n’en reviendrait jamais.

« Ecoutes-moi, murmura Halia en tentant vainement de s’approcher d’elle. Il faut qu’on rentre sur Alda. Fait ce qu’il te demande, et dès que je suis libre, je nous ferais revenir sur notre île.

— Je ferais en sorte que tu sortes d’ici, Halia. Peut importe les conséquences. Si tu souhaites rejoindre Alda ensuite, c’est ton choix, mais je n’abandonnerais pas Garett aux mains de ces monstres. »

C’était à prévoir, elles le savaient aussi bien l’une que l’autre. De même, Scarlet savait qu’Halia ne partirait pas d’ici sans elle, mais il le fallait.

« Je ne te laisserais pas seule ici, répondit alors la brune.

— Si je ne t’avais pas emmenée, tu n’en serais pas là.

— Ne dis pas ça ! s’énerva Halia. Jamais tu ne serais arrivée ici sans mon aide, et j’ai insisté pour t’accompagner. Rien de ce qui m’est arrivé n’est de ta faute, et ce n’est pas de la mienne non plus.

— Les Aldiens comptent sur toi. Tu seras leur reine dans quelques mois ! Tu as une place qui t’attends, lorsque tu rentreras. Tu es intelligente, studieuse, impartiale, tu sauras faire de cette île quelque chose de bon, là-bas.

— Tu n’as donc rien compris ? Combien de fois va-t-il falloir que je le répète pour que ça rentre dans ton crâne, Scarlet ? Je n’ai aucune envie d’avoir une couronne. J’aime la vie que je mène avec toi, simple et sans aucune pression. J’aurais voulu rester cette adolescente pour toujours, monter dans les arbres, t’accompagner chasser, me baigner dans la mer jusqu’au coucher du soleil. Je ne pourrais jamais faire toutes ces choses en tant que reine. Ma vie ne sera plus que décisions, obligations et responsabilités.

— Tu ne pourras plus jamais te baigner dans la mer et monter aux arbres si tu meurs ici…

— Mon heure n’a pas encore sonné. »

Scarlet observa son amie. Tout son physique exprimait le contraire de sa phrase. Pâle, squelettique, ses yeux étaient cernés de coupes violacées et son corps était couvert d’hématomes. Si personne ne la nourrissait ou ne lui donnait de quoi boire dans les heures à venir, elle périrait dans cette cellule d’ici peu. C’était inconcevable que sa vie se termine à cause des humains.

« Halia… se risqua l’Aldienne. Que s’est-il réellement passé quand on s’est quitté ? »

La concernée pinça ses lèvres sèches, le cœur serré.

« J’ai erré, répondit-elle dans un souffle. Durant des heures. La nuit était noire, et je commençais à avoir froid, tellement froid… »

Elle ferma les yeux avec douleur, se remémorant les évènements.

« Tu n’es pas obligée, dit Scarlet.

— Si, il faut que tu saches. »

L’Aldienne acquiesça avec compassion.

« Tout était si gris, si sale, reprit difficilement Halia. Sur l’île, j’avais pris l’habitude de me repérer grâce aux pierres et aux buissons, mais ici, il n’y avait aucune verdure à l’horizon. Alors je suis retournée à la plage. Mes pieds me faisaient mal et l’énergie dépensée à faire naviguer la barque m’avait épuisé. Près de l’eau, j’ai remarqué un groupe d’humains en train de discuter. Comme tu n’étais pas encore revenue, je me suis dit qu’ils avaient peut-être un endroit sûr à me conseiller. Je ne suis pas quelqu’un de très à l’aise socialement, mais je me disais que si t’avais été à ma place, tu n’aurais pas hésité à le faire. Ce n’était que des hommes. Sur Alda, qu’on soit princesse ou femme, ils avaient pour habitude de nous respecter, alors j’ai pensé que je ne risquais rien. »

Halia s’arrêta un instant. Ses yeux étaient humides, mais elle n’avait pas assez de réserve d’eau pour pleurer. Pourtant, en proie à ses souvenirs, elle rêvait de pouvoir hurler sa souffrance. Près d’elle – bien que pas assez rapprochée pour pouvoir être en contact – Scarlet tenta de l’apaiser, mais elle était loin de savoir comment faire. Depuis toujours, elle était celle qui se laissait prendre par la colère, et Halia qui trouvait les mots pour la calmer. Après un instant, la Princesse d’Alda avala sa salive, brûlant sa gorge, et continua :

« Ils ont ri. Ils ont ri tellement fort que je me souviens encore du timbre de leur voix, grave et menaçante. Ils ont empoigné mes bras avec force, puis ils m’ont trainé sur le sol. Je me souviens du sang dans mes cheveux, mais j’ai perdu connaissance peu de temps après.

« Quand je me suis réveillée, j’étais dans une pièce, un mal de crâne effroyable m’empêchant de réfléchir correctement. Derrière la porte, j’entendais faiblement ce qu’ils disaient à mon sujet. Ils parlaient de cadeau, d’une prostituée qu’ils offriraient à leur chef lorsqu’il reviendrait. J’ai vite compris que j’étais l’objet de la surprise. Quelqu’un a ouvert ensuite. Un homme, qui m’a violemment traîné jusque dans une autre salle, carrelée et froide. Il m’a jeté dans un bain, a allumé l’eau glaciale et il a dit « lave-toi, il faut que tu sois propre pour qu’il te baise. », puis il a voulu m’arracher mes vêtements. J’avais mal partout, à tel point que la seule chose qui calmait mes angoisses était le son de l’eau. Tu m’as toujours demandé comment s’exprimait mon affinité, et bien, c’est comme un chant de sirène, doux, qui résonne au fond de ma cage thoracique. J’ai compris à cet instant que la seule chose qui pouvait me sauver était mon élément, et par chance, il y en avait tout autour de moi. Alors, j’ai fermé les yeux, très fort, et j’ai levé la main, priant pour que mon Hyara me sauve. Une seconde plus tard, et toute l’eau du bain s’était échappée, formant une sorte de sphère flottant en l’air, qui s’est abattu sur l’humain, brisant sa nuque. J’ai allumé les robinets, un par un, inondant la pièce pour répéter l’action au cas où on s’en prendrait à moi de nouveau.

« Alors, quelqu’un d’autre est entré. Je pensais qu’il était venu pour me sauver, que tu l’avais envoyé pour moi. Il avait prononcé ton nom, alors je lui ai fait confiance. Mais j’aurais mieux fait de le noyer. C’est lui qui m’a jeté dans cette cellule. »

Sa voix se brisa sur la fin, laissant planer une ambiance morose dans la pièce, elle-même vide de toute chaleur. Il n’y avait pas une seule goutte d’eau présente ici, rien n’aiderait Halia à se défendre. Une idée soudaine vint à Scarlet, qui se mua d’un large sourire. Il y a peu, Aaron lui avait fait don d’un briquet, cette chose capable de produire du feu à n’importe quel instant, tout en étant petit et discret. Elle fouilla dans la poche de sa combinaison, et en sortit l’objet du miracle.

« Je peux te faire sortir d’ici ! » s’exclama Scarlet, allumant la flamme.

Les yeux ronds, la princesse d’Alda observa la chose avec attention, puis secoua la tête négativement.

« Et comment comptes-tu t’y prendre ? dit-elle. Rien ici n’est combustible.

— J’attendrais que Charly revienne, puis je lui brûlerais un membre, ça nous laissera assez de temps pour nous enfuir d’ici.

— J’en doute, réfuta Halia. Même si ton plan marche, la suite sera effroyable. On va devoir se cacher, et ça risque d’être peu avantageux si tu souhaites retrouver Garett. D’autant que, en vue de ses connaissances en ce monde, il mettra ton petit frère à mort avant même qu’on ait mit la main sur lui. C’est trop dangereux.

— Tu as une autre idée ? soupira Scarlet, désespérée. Je ne vais pas te laisser croupir ici.

— Accepte le marché.

— As-tu perdu la tête ? s’étonna-t-elle. Je veux dire, si c’est le seul moyen de te faire sortir, bien sur que je vais accepter. Mais quand exactement as-tu changé d’avis ?

— Depuis que j’ai un plan pour qu’on soit toutes deux saines et sauves. »

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