10. Le chasseur d'humains.

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Respirant difficilement, Scarlet pria la Nature, les yeux fermés. « Faites que je n’ai plus jamais à monter dans cet engin. » répétait-elle en boucle tout doucement, mouvant à peine ses lèvres. Amusé, Aaron détacha sa ceinture, et sortit de la voiture. Après qu’elle eut jugé avoir fait assez d’appels à sa divinité, elle en fit autant.

L’air de la ville était irrespirable. Les autres véhicules les dépassaient à une vitesse affolante, créant une fine pellicule grisâtre partout dans les rues. Adossé au capot, l’humain attendait patiemment qu’elle se remette sur pied. Encore déboussolée, elle attrapa son arc sur le siège arrière.

« Pas si vite ! l’interpella-t-il. Qu’est-ce que tu fais ?

— Je me prépare à rencontrer le diable. » répondit-t-elle d’une voix qui se laissait à l’évidence.

Il leva les yeux au ciel, prenant ses flèches des mains pour les ranger rapidement à leur place.

« Si je pouvais m’armer, je serais blindé à l’heure qu’il est. Est-ce que tu vois ne serait-ce qu’une lame sur moi ? »

Il leva les bras, lui laissant le loisir de le détailler.

« Non, mais je ne me fie pas à tout ce que tu fais.

— Tu devrais. L’endroit où on va sera rempli d’hommes dangereux. S’ils sentent la moindre menace, on se fera descendre.

— Comment se défendre si on n’a rien sur nous ? »

Il soupira, lassé. Il se demandait si elle était stupide ou si elle se moquait de lui.

« Suis-moi. » lâcha-t-il pour simple réponse.

Ils arpentèrent les rues. Derrière lui, Scarlet se plaisait à observer les humains, se baladant innocemment dans la ville. Ils n’étaient en rien semblable à ceux qu’elle avait croisé l’autre soir. Cette fois, des femmes et des enfants marchaient côte à côte, sans être apeuré ou menaçant. Plus elle les regardait, moins elle voyait de différence avec les Aldiens. En contraste de leur vivacité et leur gaité, le décor était dénué de toute couleur et de toute verdure. Les chemins étaient assombris par de hauts immeubles similaires à celui dans lequel elle avait passé la nuit, si ce n’est qu’ils semblaient être en meilleur état.

Aaron bifurqua dans une ruelle, plus étroite. Entouré de deux hauts gratte-ciels bétonnés, il s’arrêta à celui de gauche. Devant eux se dressait une porte en bois massif, à laquelle il asséna trois coups. Un humain ne tarda pas à l’ouvrir. Imposant, celui-ci n’avait rien d’amical. Scarlet le détailla rapidement. Ses cheveux étaient courts, d’un noir de jais, et ses yeux étaient sombres. Sa musculature était proéminente, d’autant qu’il portait un débardeur échancré, laissant apparaitre ses nombreux tatouages estompés avec le temps. Sa peau présentait quelques rides, laissant penser qu’il avoisinait très largement la trentaine. Pourtant, il n’avait rien d’un sage ou d’un père de famille.

« Vous n’avez rien à faire ici. » lâcha-t-il avec un accent abrupt.

Il avança, d’une démarche lourde, se positionnant face à Aaron. Celui-ci parut bien minuscule à ses côtés.

« Ravi de te voir aussi, Sergei.

— Charly n’a pas le temps pour toi. » déclara l’humain-monstre, détachant les syllabes comme s’il n’était pas encore habitué à leur langue.

Aaron recula.

« J’ai quelque chose à lui proposer.

— Dans ce cas, la fille reste ici. »

Il désigna Sacrlet de son doigt énorme, qui s’indigna.

« Hors de question ! s’exclama-t-elle, défiante.

— Ce n’est pas négociable. Il n’aimera pas te voir.

— On est ici pour moi. »

Elle fixa la brute dans les yeux, ce qui l’énerva. Aaron tenta de calmer le jeu, mais c’était peine perdue. Non seulement il avait l’air insignifiant face au gaillard, mais en plus l’Aldienne ne faisait pas dans la dentelle. Poings fermés, prête à se lancer dans ce combat asymétrique, il était évident que ce n’était pas le bon moyen de commencer une conversation sans accroc.

Derrière le lourdaud, un gringalet apparut à l’encadrement de la porte et lui tapota la hanche. Scarlet s’arrêta, surprise. Petit et maigre, il n’avait aucune chance de rivaliser face à la bête. Pourtant, celui-ci se redressa, et stoppa tout mouvement. L’inconnu se plaça devant lui, saluant les deux acolytes d’un sourire, dévoilant une rangée de dents jaunâtres. Aaron se crispa. Ses cheveux d’un châtain clair étaient lisses et suintants, et ses joues était creusées, faisant remonter ses pommettes osseuses. Le nez aquilin plissé par le rictus qu’il affichait, il s’exprima d’une voix qui n’avait rien d’intimidante.

« Sergei, est-ce une manière d’accueillir des invités ? »

La brute s’écarta, tête baissée. L’humain émacié se tourna vers Aaron.

« Mais qui voilà… lança-t-il, le regard malicieux.

— Charly, lâcha Aaron avec froideur. »

Ce nom frappa Scarlet de plein fouet. Il était l’homme à qui il devait un service. Le chasseur de tête, l’humain qui avait traqué la piste de sa sœur des années auparavant. Durant tout ce temps, il s’était caché de lui, et le voilà qu’il venait toquer à sa porte.

« Pour être une surprise, c’en est une. »

L’homme squelettique émit un rire bref, glacial, et se tourna vers l’Aldienne.

« Est-ce un cadeau que tu m’apportes, là ? »

Il s’approcha d’elle, déshabillant son corps du regard. Il lui tourna autour, lentement, comme un prédateur avant d’avaler une proie.

« Elle est jolie, mais trop musclée pour moi. »

Scarlet se retint de lui adresser un coup de poing meurtrier. Le visage près du sien, elle put en sentir son haleine putride.

« Je connais tout le monde dans cette ville, murmura-t-il en continuant son observation malsaine. Mais toi, je ne t’ai jamais vu.

— Je ne viens pas d’ici.

— Evidemment. »

D’un mouvement vif, il s’écarta d’elle, son faciès tordu en un sourire. Il tendit le bras pour leur faire signe d’entrer.

 L'intérieur n'était pas très agréable, mais il avait le luxe d'être bien plus meublé que chez Aaron. Ils traversèrent un long couloir avant d’arriver dans grand un salon. Les canapés semblaient venir d'une autre époque, de couleurs et de motifs malplaisants, et la table basse était salie par les bouteilles d'alcool. L'odeur était affreuse. De la fumée brouillait la vue, s'échappant des tubes à moitié écrasés dans un bocal au centre de la pièce. Un véritable nuage malodorant planait autour d’eux. Charly leur tourna le dos, déversa le contenu liquide d’une bouteille aux reliefs triangulaires dans trois verres assortis, puis tendis l’un d’eux à Scarlet. Elle observa la boisson brune vaguant dans le récipient avec une moue peu convaincue. L’odeur d’alcool était forte.

« Rien ne vaut un bon Whisky pour se remémorer le passé. » lâcha-t-il laissant le dernier verre à Aaron.

Charly s’affaissa dans le canapé, puis sortit de sa poche un tube roulé à la main, qu’il alluma. Il expira la fumée acariâtre.

« En souvenir du bon vieux temps, mon ami ? proposa-t-il.

— Ça fait longtemps que je ne fume plus de ça, refusa Aaron. »

Charly haussa les épaules, puis souffla grassement la fumée à travers ses lèvres gercées. « J’ai cru entendre que tu avais quelque chose à proposer, s’enquit-il.

— J’accepte. »

Un nouveau sourire macabre déforma sa mâchoire.

« Magnifique ! Voilà qui est raisonnable. Cependant, je me doute que tu n’es pas venu que pour ça.

— Effectivement, répondit Aaron. J’ai besoin de tes services.

— Tu es si prévisible ! »

Charly se munit d’une feuille et un stylo.

« Je t’écoutes, reprit-il.

— Halia…

— Haffdotir, compléta Scarlet. Et Garett Jones.

— Je connais chacun des habitants de cette ville, jeune fille. Tes amis ne viennent pas d’ici, et j’ai autre chose à foutre que de ratisser le pays.

— Je sais qu’ils sont là ! s’emporta-t-elle. Je ne sais pas qui les détient, mais ils sont en danger.

— Je vais voir ce que je peux faire, soupira-t-il. Mais je ne te promets rien. »

Il nota quelque chose.

« Mort ou vif ? demanda-t-il.

— C’est une blague ? »

Elle se tourna vers Aaron.

« Vivant, répondit-il à sa place.

— Là encore, je ne peux rien te promettre. »

Un ricanement lui échappa, ce qui fit monter l’Aldienne de colère.

« Je te jure que…

— Que ? la coupa Charly avec calme. Je te conseille de baisser d’un ton, gamine.

— Tu te crois capable de m’abattre ?

— Non, pas une seconde. Mais les sept hommes que j’ai placé derrière ces portes, très certainement. J’ai peut-être l’air d’un con, mais j’ai le pouvoir de vie et de mort sur n’importe quel être vivant qui franchit la frontière de la ville. Alors je le répète, baisse d’un ton. Rapidement. »

Elle ne répondit pas. Un homme, faiblard qui plus est, venait de la menacer sans retenue. Il se sentait intouchable, peut-être bien qu’il ne fût pas en tort sur ce point. Elle était forte, assez pour mettre dix hommes à terre au corps à corps. Mais sans armes et sans savoir lesquels ils possédaient de ce côté de l’océan, elle n’avait aucune chance.

« Je vais faire comme s’il ne s’était rien passé, reprit Charly en se levant. Je vous tiendrai au courant lorsque je saurais où ils sont. »

Il leur ouvrit la porte, les invitant à partir.

« Aaron, l’interpella-t-il avant que celui-ci ne s’insère dans le couloir. Tu sais qu’en venant ici et en acceptant de vive voix notre accord, il n’y a pas de retour possible. Lorsque j’aurais retrouvé la fille et le gamin, je ne te les livrerais qu’en échange des clefs. »

Sous son regard appuyé, Aaron acquiesça. Il ne pipa mot jusqu’à ce qu’ils soient revenus à la voiture. Une fois près d’elle, Scarlet s’emporta.

« Qu’est-ce que c’était que ça ?

— Tu voulais retrouver Halia et ton frère ? C’est le seul moyen de le faire rapidement.

— Je n’aurais jamais dû te suivre ! Ce gars est… Arh ! A quoi tu pensais ?

— Quel autre choix avons-nous, hein ? s’énerva-t-il. Oui, on aurait pu se lancer seuls, prendre les autre Mambas et retourner chaque rue, mais on aurait retrouvé que leurs cadavres ! Je ne crois pas que tu ais véritablement saisi l’enjeux, Scarlet. Charly est le pire des humains que la terre n’ait jamais porté, mais il a assez d’influence pour éviter que tes proches se fassent décapiter. »

Elle soupira. Aaron avait certainement raison. Ils avaient besoin de lui.

« Rentrons maintenant. » reprit-il, plus calme.

Elle entra dans la voiture, encore tremblante de nerfs. S’il osait leur toucher un seul cheveu, elle brûlerait ce monde sans états d’âme, c’était une promesse.

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