7. Menaces

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Les doigts de Scarlet frôlaient son canif, qu’elle avait attaché à la lanière de son short en peau de chevreuil tissée. Elle était préparée à se battre de nouveau contre Aaron, qui affichait toujours son air abasourdi. Il n’avait pas l’air de la considérer comme une menace, mais son instinct lui soufflait qu’elle était bien ce qu’elle prétendait : l’habitante d’une île inconnue sur la carte.

Les pensées se bousculèrent dans sa tête. Comment avait-elle pu être assez stupide pour se révéler à ce point ? Les Aldiens avaient été clairs, pourtant. Les humains étaient un danger pour leur île, et si quiconque venait à s’apercevoir de ce dont ils étaient capables, ils finiraient par leur déclarer la guerre. Si Halia avait été là, elle ne lui aurait jamais pardonné.

Le feu, cet élément impulsif, irréfléchi, dévastateur. Durant un instant, elle n’était plus maîtresse d’elle-même. Il l’avait appelé, tel une voix lointaine au fond de sa cage thoracique, comme une entité mystique qui faisait partie intégrante de son âme. Pourtant, la flamme qui lui avait soufflé de s’abandonner n’était autre qu’un simple produit de la nature, sans conscience. L’affinité était un phénomène complexe à comprendre. Pour preuve, les étudiants du centre mettaient d’innombrables saisons avant de le maîtriser. Si seulement elle avait écouté davantage, elle serait sûrement plus apte à savoir comment le contenir. Au lieu de ça, elle était ici, dans ce monde infernal qu’était celui des humains, à avoir laissé son élément ravageur la percer à jour.

Elle avança un pied, prête à combattre. Aaron allait forcément s’en prendre à elle, la torturer pour savoir d’où elle venait. C’est ce qu’ils ne cessaient de leur répéter, sur Alda. Elle entendait encore la voix grave de leur professeure d’Etudes Humaines : « Si vous venez à rencontrer l’un d’eux, et qu’il sait qui vous êtes, gardez en tête que seul l’un de vous pourra rester en vie. »

Pourtant, l’humain n’avait pas encore bougé d’un centimètre. Ah, si seulement Kyrié avait été là, elle qui pouvait effacer les souvenirs. Seulement Scarlet était seule. Seule face à lui, l’homme dépourvu de Hyara, incapable de comprendre comment il était possible que cette étrangère venue d’autre part n’avait pas été consumée par le feu.

Le silence était de mise, dans cette pièce où l’ambiance tendue était palpable à des kilomètres. Enfin, il finit par briser ce mutisme insupportable :

« Comment as-tu fait ça ? »

Scarlet ne sut quoi répondre. Ce serait si long à lui expliquer, cette histoire d’Affinité, de Hyara, d’Aldiens. Entre mythe et réalité, la distance était mince dans son monde.

« Si tu veux me tuer, fait-le maintenant, déclara-t-elle sur un ton défensif. Je n’ai pas le temps pour des bavardages inutiles. »

Alors qu’elle s’imaginait qu’il allait lui sauter dessus, une de ses armes à la main, il afficha un air surpris.

« Te tuer ? répéta-t-il comme s’il avait mal saisi l’information. Merde, comment est-ce que tu veux que quelqu’un sur cette planète en soit capable ? Tu es surentraînée et tu as des pouvoirs ! »

Il n’était pas aussi stupide qu’il en avait l’air. Après tout, il était seul, et Scarlet l’avait déjà battu une fois.

 « Je veux seulement comprendre, reprit-il, mal assuré. Tu viens de faire quelque chose que personne en ce monde n'est capable de faire.

— Je n'ai rien à expliquer. »

Elle se mordit la lèvre. Elle pouvait le tuer, là, maintenant, et ne plus avoir à se soucier de s'il allait dévoiler ce secret à son peuple ou non.

« C'est toi, qui vas me buter, pas vrai ? »

Il avait lu dans son regard. Ne serait-ce pas mieux pour la survie de son espèce si elle mettait fin à ses jours, là, dans cet endroit infâme ?

« Je n'ai pas d'autre choix. » murmura-t-elle à contre-cœur.

Il entrouvrit la bouche, puis recula, les mains en l’air en position défensive.

« A-attends, s’il te plait. On n’est pas obligé d’en arriver là.

— Donne-moi une seule bonne raison.

— J’en ai plein, des raisons ! s’exclama-t-il, effaré. Je ne dirais rien, jamais, à personne ! Qui croirait une histoire pareille ?

— Ce n’est pas suffisant. »

Scarlet s’approcha, canif en main.

« Tu as besoin de moi. »

Elle s’arrêta et fronça brièvement les sourcils.

« Je n’ai besoin de personne. »

Il recula de nouveau, cherchant une issue, mais son dos heurta le mur.

« Je sais ! Je veux dire, enfin… Tu ne connais rien de ce monde, je suis le seul en qui tu peux avoir confiance. »

Un rire peu convaincu traversa ses lèvres, alors qu’elle s’approchait dangereusement.

« Je n’ai pas confiance en toi.

— Laisse-moi le temps de te le prouver. »

Cette fois, la lame de son couteau était collée contre sa gorge. Elle était si proche de lui en cet instant, qu’il pouvait sentir son souffle caresser son visage apeuré. Les yeux écarquillés, la tête bloquée entre Scarlet et le mur, il profita de son moment d’hésitation pour tenter une dernière phrase :

« Je retrouverais ton frère. »

Tremblante, elle relâcha la pression. Elle le fixa, dans les yeux, essayant d’y déceler une quelconque menterie. Il était sérieux.

« Et Halia. » compléta-t-elle en laissant tomber sa main armée le long de sa jambe.

Il soupira de soulagement, et acquiesça.

« Evidemment. »

Au mieux, il serait un allié, au pire, elle le tuerait en chemin. Rangeant son couteau dans son holster en cuir, elle prit appui sur une des tables et se mit à réfléchir. Faire la route avec un humain n’allait pas être simple, mais au moins, elle pourrait garder un œil sur lui.

« Il va falloir imposer quelques règles, pour ça. » déclara-t-elle.

Se gardant d’exposer son désaccord, il prêta oreille.

« Pas un mot sur ce que tu viens de voir.

— Ça va sans dire.

— Je prends les décisions, qu’elles te plaisent ou non.

— Même si elles sont dangereuses ? s’inquiéta-t-il.

— Surtout si elles le sont.

— Bien, soupira-t-il tragiquement.

— Notre relation ne sera en aucun cas plus ce qu’elle n’est déjà.

— Moi qui rêvait d’être ami avec toi ! » plaisanta-t-il avec une pointe d’ironie.

Elle leva les yeux au ciel, exaspérée.

« J’ai le droit d’en poser une aussi ?

— Certainement pas ! s’exclama-t-elle avec catégorie.

— Ah, parce que si tu veux que je t’aide à survivre dehors, il va falloir modifier légèrement ton apparence… »

Elle se redressa et lâcha un soupir, commençant à partir.

« Eh attends ! l’interpella-t-il. Tu n’as encore rien mangé. »

Le petit-déjeuner fut de loin le plus délicieux qu’elle n’eut jamais mangé. Le sucre encore collé à ses dents, elle passa sa langue sur ses lèvres, éliminant le reste de crème qui y était resté. Finalement, les humains n’étaient pas mauvais en tout. Bien qu’Aaron eût précisé que c’était bien meilleur préparé dans les boulangeries du coin, Scarlet eut du mal à croire qu’il puisse exister quelque chose de plus agréable en bouche qu’un donut au chocolat.

La main sur son ventre, elle regarda Aaron se lever de table avant elle avec étonnement. Soit il était terriblement mal élevé, soit il signifiait en cette action qu’il n’avait aucun respect à son égard. Elle grogna quelque chose, qu’il ne releva pas.

Elle le suivit tout de même jusqu’à la salle d’eau. Alors que sur l’île cette pièce était dotée d’un bain qu’on remplissait avec de l’eau chauffée au préalable par le feu, ici elle était bien plus petite et différente que ce qu’elle avait imaginé. Les murs étaient carrelés d’un matériau dur comme le verre. Dans les coins, elle pouvait apercevoir des traces de moisissures incrustées, causées par le manque d’aération. Sur sa gauche, il y avait une sorte de cuve bien trop petite pour y entrer un corps, et en face d’elle, une tour s’élevait jusqu’au plafond. Aaron ouvrit la porte de verre brouillée et l’invita à y entrer.

« Si tu me dis que tu ne te laves pas sur ton île, ta dernière règle ne posera clairement jamais de problèmes. »

Elle plissa le nez, un rictus sarcastique se dessinant sur ses lèvres.

Il lui expliqua rapidement comment s’en servir, et s’éclipsa en prenant soin de refermer derrière lui. Suivant ses directives, Scarlet tourna les boutons pour allumer l’eau, qui se déversa sur elle avec pression. Soudain, le jet glacial devint brûlant. Elle pesta avec colère.

« Arg, comment est-ce que ça fonctionne ce truc ? »

Elle s’éloigna contre le mur, essayant durant de longues minutes de régler à la bonne température, puis avec hésitation, se plaça sous la cascade. L’eau détendit rapidement son corps meurtri par la saleté et les écorchures. Elle regarda la transparence du fluide se teindre en sombre avant de s’écouler par le trou prévu à cet effet. Curieuse, elle détailla les bouteilles exposées. Shampoing, gel douche, après-shampoing, masque. Sur l’île, ils confectionnaient eux même leurs produits, à base de miel, d’huiles en tout genre et de jaune d’œuf. Ici, l’odeur n’avait rien de ce qu’elle avait pu sentir auparavant, et il moussait tellement dans ses cheveux qu’elle eut l’impression de mettre une éternité avant de tout rincer.

Les yeux dans le vide, elle plongea dans ses pensées. L’île lui manquait, mais l’envie de retrouver ses proches étaient bien plus importante que son confort et ses habitudes. Elle n’était pas certaine de survivre dans ce milieu hostile, ni de savoir si Aaron était vraiment digne de confiance ou non. Une chose était sûre, cependant : Si Garett ne s’était pas enfui, elle ne serait pas là à essayer de se débattre pour enlever le savon brûlant de ses yeux.

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