5. Criminel

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De toutes les personnes au monde, on ne pouvait pas dire que Scarlet était quelqu’un de sentimental. Quiconque la connaissait assez pouvait s’en porter garant : elle était froide, résolue et parfois même un peu trop agressive. Alors, lorsque Garett avait disparu, elle n’avait pas cédé à la panique, évitant de s’enfermer dans la psychose et les états d’âmes. Elle avait gardé la tête haute, les armes à la main, et la détermination avait pris le pas sur la tristesse.

Cette fois-ci, c’était différent. Marchant à petits pas sur les graviers du repère de l’humain, elle faisait appel aux derniers restes de son courage pour ne pas s’effondrer. Ce n’était pas qu’Halia avait plus d’importance que son petit-frère, mais l’effroi de savoir qu’elle allait probablement perdre les deux personnes qui lui étaient les plus chères semblait être trop dur à surmonter. Alda était une île relativement paisible, sur laquelle les malheurs se comptaient sur les doigts d’une main. Ils leurs avaient appris à se battre au couteau, à l’arc et à mains nues mais pas une seule fois ils n’avaient évoqué la manière dont ils se sentiraient une fois sur une terre ennemie.

Garett était loin d’être le petit-frère parfait. Il était bruyant, malin et il ne cessait de poser tout un tas de questions absurdes. C’était un gamin de dix ans, dynamique et extraverti. Si Scarlet était du genre à ne jamais montrer qu’elle était capable de ressentir, cette fois-ci, elle ne pouvait nier qu’il lui manquait affreusement.

Quant à Halia, c’était une femme d’une bonté presque risible. Elle était calme, réfléchie, et bien trop intelligente pour le commun des mortels. C’était bien davantage qu’une amie à ses yeux, c’était une sœur. Elles avaient grandi ensemble, jouant dans les herbes hautes de l’île, puis se retrouvant après les études au centre pour se cacher dans la forêt et discuter des heures entières. Pourtant, elles n’avaient rien en commun. Scarlet était impulsive, irréfléchie, sanguine, alors qu’Halia était la voix de la raison, studieuse et sage. Alors, si elles n’avaient pas d’intérêt similaires, elles trouvaient leur amitié dans la complétion. Dorénavant seule, Scarlet pouvait ressentir son absence au plus profond d’elle-même : sans l’eau pour la canaliser, le feu allait faire des ravages irréversibles.

« Voici ta chambre. »

Sortant de ses pensées grises, elle releva la tête vers l’humain. Celui-ci désignait une pièce, bétonnée, au troisième étage. La lumière grésillait faiblement, éclairant ce qui semblait être l’endroit où elle allait passer la nuit.

« Ce n’est pas le summum du confort mais…

— Ça ira. » le coupa-t-elle en s’avançant dans la chambre.

Il referma la porte derrière elle, lui laissant le loisir de s’approprier les lieux. Fatiguée, elle plaça son arc sous le lit, prenant soin de garder son canif près d’elle. Il faisait bien plus froid que sur l’île ici, si bien qu’elle ne put contenir ses grelottements. Elle s’assit sur le matelas abîmé, faisant grincer les ressorts rouillés par le poids de son corps. Le regard vide, elle détailla cet endroit infâme dans lequel elle allait se laisser dans les bras de Morphée.

Les murs de la pièce étaient d'un gris fade et les plafonds d'origine blancs étaient salis par les toiles d'araignées. Elle n'avait pas idée de ce qu'était cet endroit en ruine, si c'était réellement l'habitation de ces humains et si la vision qu'elle en avait actuellement était une généralité. Ce qu'elle savait, en revanche, c'est qu'elle ne s'y sentait pas à l'aise pour un sou. Le sol était sale, poussiéreux et il n'y avait rien d'autre que ce vieux lit et ce meuble en métal remplit de livres. Avec curiosité, elle s'approcha de ce semblant de bibliothèque bancale pour regarder les bouquins aux reliures abîmées. Elle effleura du doigt les ouvrages, constatant que certains d’entre eux avaient l’air moins sales que d’autres. L’humain devait en avoir des favoris. L’Etranger, A. Camus ainsi que Hamlet de Shakespeare semblait en faire partie. Elle continua son observation, attrapant un autre sur la rangée du haut. La couverture noire avait attiré son attention. Le dessin argenté mettait en scène un trône aux milles épées.

« Doucement avec ça ! »

Elle se retourna vivement sous la surprise. L’humain était là de nouveau, ses sourcils noirs froncés, le visage crispé comme si elle venait d’ouvrir son journal intime. Il avait enlevé sa capuche, découvrant ses cheveux en bataille d'un noir de jais. A la lumière blafarde, on pouvait voir ses yeux d'un bleu aigue-marine. De tous les hommes qu'elle connaissait sur Alda, aucun ne lui était semblable.

« C’est une édition limitée, reprit-t-il avec colère.

Le Trône de Fer ?

— C’est de la médiéval-fantasy, un roman excellent. »

Il s’était radouci, s’approchant d’elle pour lui enlever le livre des mains et le remettre à sa place. Elle n’avait pas idée de ce qu’était réellement un roman. Sur Alda, les ouvrages contaient des histoires pour enfants, ou étaient dédiés pour les études. Il y en avait pour tous les goûts, si tant est qu’ils voulaient s’instruire. Halia devait les avoir tous lu, depuis le temps.

« Est-ce que tu vis ici ? l’interrogea-t-elle en désignant la pièce

— Ouais. Ça te plait pas ? »

Sa bouche s’étira en un rictus sarcastique.

« C’est… différent de là où j’habitais. » hasarda-t-elle.

Il soupira et croisa les bras sur son torse, s’appuyant contre le mur.

« Tu devais être sacrément bien lotie, alors.

— On peut dire ça, j’imagine.

— Tes parents sont riches, pas vrai ?

— Riches ? répéta-t-elle, sans comprendre.

— Oh s’il te plait ! s’exaspéra l’humain en levant les yeux au ciel. Ne joue pas à ça.

— Je n’ai pas plus de privilèges que le reste des habitants de mon village, si c’est ce que tu entends par richesse.

— Tu n’aurais jamais dû venir jusqu’ici.

— Je n’aurais pas laissé mon frère aux mains des gens comme vous sans rien faire. »

Il se redressa, secouant la tête.

« Tu vas mourir bêtement.

— Je suis une guerrière, j’ai été entraînée pour survivre face aux humains.

— T’as surtout l’air d’une dérangée.

— On a plus de points communs que tu l’imagines.

— Je suis un criminel, rit-il, pas un guerrier. C’est bien moins glorieux.

— Un criminel ?

— J’enfreins les lois, si tu préfères. Ça fait de moi le méchant de l’histoire.

— Alors je suis la méchante aussi ?

— Je ne sais pas, répondit-il en réfléchissant. Est-ce que tu brises les règles, toi aussi ?

— J’ai dû en déroger un bon nombre pour venir ici. »

Il se contenta d’un sourire, a priori amical.

C’était la première fois. Sur l’île, elle ne parlait que très rarement aux hommes. A vrai dire, les femmes d’Alda ne leur accordait pas beaucoup d’importance avant la fin de leurs études. Une fois leur diplôme obtenu, elles s’y penchaient plus sérieusement, car elles avaient la dénomination d’adulte que lorsqu’elles avaient enfanté. L’amour était alors prohibé, les anciens ayant instauré cette règle pour préserver l’indépendance des femmes au sein de leur société. Beaucoup avaient peur que ce sentiment les rende faibles.

« Tu devrais dormir, reprit-il

— Je ne suis pas sûre d’y arriver. J’ignore si mes proches vont bien, et il fait un froid glacial ici.

— L’électricité coûte trop cher pour installer des chauffages. Tu n’as qu’à t’habiller.

— Je ne suis pas venue avec une penderie de peaux .

— Tu aurais dû y penser, on est en plein début d’hiver.

— Il ne fait pas ce climat sur l’île. »

Il lâcha un soupire et ôta son sweat, puis lui lança nonchalamment. Elle l’attrapa à la volée, puis l’enfila. Le vêtement sentait le parfum boisé et la menthe, mélangé à des relents substantiels peu agréable d'une odeur froide et âcre à la fois. C'était inconnu à ses yeux et pourtant ça semblait être une description odorante parfaite de l'humain qui se tenait devant elle. En t-shirt, elle pouvait voir ses bras recouverts de dessins noirs aux traits épais. Curieuse, elle s'approcha, frôlant ces figures abstraites du bout des doigts. Il effectua un mouvement de recul, se crispant par réflexe.

« Ce sont des tatouages. »

Elle grimaça. Ça n’avait pas l’air d’être agréable. Elle n’eut pas le temps de converser davantage avec lui. Il s’échappa par la porte, refermant derrière lui, la laissant alors seule dans cette pièce maussade.

Allongée sur le lit grinçant, elle tenta de fermer les yeux, enroulée dans ce sweat aux arômes si particuliers. Pourtant, se laisser aller au sommeil n'allait pas être si facile.

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