Chapitre 7

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— Il m’a fallu plus de vingt ans, lieutenant. Plus de vingt ans de cauchemars, de concessions et de patience pour les atteindre. J’ai attendu, patiemment, qu’ils aient oublié, qu’ils aient construit leur petite vie misérable. Ma mère n’en a jamais rien su. Elle était absente ce week-end là. Elle n’a rien su de la nuit du loup, la nuit pendant laquelle j’ai assisté à tout cela de ma fenêtre. Je l’aimais vous savez. J’étais à peine plus âgée que Grégory, mais je voyais dans ses yeux ce que je ne voyais pas dans les gamins de mon âge. Il était discret, mais il était plein d’espoir. J’aurais pu agir, mais j’ai eu peur. Ils étaient quatre, et moi qu’une lycéenne qui révisait dans sa chambre. Quand Grégory est parti avec Chiara, ils sont sortis de l’ombre et ont commencé à allumer le feu dans notre poulailler, et puis ils ont pénétré chez lui. J’ai tiré mes rideaux, même quand j’ai entendu des cris. Je ne suis sortie que bien plus tard, c’est là que je l’ai retrouvé. Il prenait soin de sa mère, malgré le sang qu’il avait sur le visage, et j’ai su à ce moment que jamais plus je ne verrais la lumière dans ses yeux.

Le lieutenant Bernaux baissa son arme, puis fit signe à sa collègue d’en faire autant. Margaux reposa lentement la photo qu’elle tenait à la main. Le lieutenant aperçut dessus le visage d’un jeune garçon souriant, les yeux levés par-dessus un roman.

— Il est mort l’année suivante, dans un accident de scooter. Sa mère le lui avait acheté pour qu’il n’ait plus à côtoyer ces garces dans le bus. Ironique, hein ? J’ai continué à lui rendre visite pendant des années, et elle a fini par vaincre son cancer. C’est elle qui m’a raconté, qui a fini par m’avouer ce que ce type lui avait fait. Elle m’a dit son deuil, mais aussi comment toute sa vie, elle lutterait pour tenir la promesse qu’elle avait faite à Grégory. Et elle l’a tenue. Elle va chaque année se faire écraser le sein entre deux plaques. Elle ne fume plus, elle ne boit plus, elle court chaque jour sur le chemin de graviers sur lequel son fils s’est tué.

La femme leur jeta un regard où se mêlaient du défi et de la fierté.

— J’ai longtemps rêvé de cette Élodie Maillard. Oh elle n’a pas fait que participer ce soir-là. Je suis allée la voir, quelques semaines après, pour l’affronter, ou lui faire peur j’en sais rien. Elle m’a raconté comment elle avait organisé cette soirée, envoyé Chiara chez lui comme un appât. Elle jubilait. Je la hais. Même maintenant qu’elle n’est plus qu’un déchet dans des sacs, comme les autres, je la hais.

La femme sourit. Ses yeux bleus brillaient, leur pupille aussi profonde qu’un puits. Bernaux s’approcha, les menottes à la main.

— Ce ne fut même pas difficile, lieutenant. Découper des poules, j’ai fait ça toute mon enfance.

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