Chapitre 5

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  Je pousse la porte d'entrée de notre modeste maison et je pénètre dans le hall. Je délaisse mes chaussures, dépose ma veste habillée sur le porte-manteau ainsi que ma cravate que j’ai desserrée depuis notre sortie du cabinet médical. Quelle idée ai-je eue.

Le séjour est calme, malgré l’heure avancée, la luminosité de ce début de mois d'août éclaire la pièce au travers de la baie vitrée. Je dépose Elïo et son siège coque au milieu de la pièce et me dirige vers le comptoir de la cuisine ouverte.

  • Vous êtes rentrés ? interroge une voix familière à l’autre bout de la maison.
  • Oui, c’est nous.
  • Ça s'est bien passé ?

Je me sers un grand verre d'eau et me remémore la consultation. Hormis quelques moments de gêne, je crois que je peux répondre par l’affirmative.

  • Oui.

Je reconnais les bruits de pas décidés de Julie sur le parquet et je devine qu’elle sort de la chambre parentale pour venir nous rejoindre. Elle apparaît dans le séjour, vêtue d’une tenue décontractée et d’un air examinateur.

  • Oui ? C’est tout ?

Elle me connaît trop bien. Un simple oui de ma part ne peut qu’être le symptôme d’une cachotterie. Ou alors a-t-elle perçu le ton gêné de ma réponse.

J’ingurgite d’un coup sec mon verre d’eau.

  • Oui, ça s’est très bien passé. Elïo grandit bien, mais je n’ai pas pu m’empêcher de faire des miennes.

Notre fils s’éveille tout à coup criard. Il est tard et son estomac semble le rappeler à l’ordre.

  • Tu m’expliqueras tout à l'heure, je vais faire manger Elïo, j’ai tout préparé. Et toi, profites-en pour aller te doucher. Pourquoi t’es-tu accoutré de la sorte ?
  • Je ne sais pas. Je voulais donner l’impression d’être un bon père, comme si ma tenue signifiait quelque chose. Tu sais que j’étais stressé de ce rendez-vous.
  • Je sais, je sais. Allez, va te rafraîchir, on en reparle après.

L’eau froide épouse mon crâne, s’écoule le long de mon corps et détend mes muscles. Je reste cinq minutes sous le flux rafraîchissant avant de sortir de la douche. Je me sèche et me vêts à mon tour d’une tenue légère d’été.

Dans le séjour, Julie finit de rassasier notre petit monstre. Je dépose un baiser sur chacun de leur front et me dirige au bureau pour répondre à quelques mails professionnels.

Quand je réapparais dans la pièce commune, Elïo est dans les bras de sa mère et fait sa plus belle éructation.

  • Je crois qu’il est fatigué et qu’il faudrait le changer, me dit Julie.
  • Je m’en occupe gente dame.

J’attrape notre poupon dans les bras avant de me diriger vers sa chambre qui jouxte la nôtre pour remplir ma mission. Tout comme son derrière, sa couche est maintenant propre et je le dépose dans son lit à barreaux. Je joue de mimiques avec lui. Sa bouche et ses yeux de couleur ambrée me sourient.

Elïo s’endort et je rejoins Julie dans le séjour. La télé est allumée, et dévoile d’un son modéré le programme du jour du journal télévisé. Comme d’ordinaire, il y a des sujets plus ou moins réjouissants. Une entreprise française fait faillite, le soleil est le siège d’éruption solaire atypique, ont remarqué les experts et le nouveau film de Martin Carlou fait un record au box-office. Ma tendre finit de préparer notre repas et je dresse la table.

  • Bon alors comment s’est passée la consultation ?
  • Très bien.
  • Mais encore.
  • Tu sais que j’avais peur de ne pas savoir répondre et de paraître pour un mauvais papa.
  • Oui, et je me demande toujours pourquoi.
  • Je sais que c’est idiot. Mais le mélange de cette appréhension couplée à mon imagination ... j’ai eu des réponses quelquefois sortant de l’ordinaire, conclus-je.

Nous nous installons pour dîner et je lui raconte aussi bien mes exploits que mes pensées saugrenues. Nous rigolons tous les deux. Le journal télévisé se diffuse en fond : «… c’est la première fois que l’on assiste à ce genre de phénomène…»

  • Je me demande encore qu’est-ce qui a bien pu t'attirer chez moi, osé-je sans plus de sérieux.
  • Je ne sais pas, répond Julie en cherchant dans sa mémoire, peut-être bien ta spontanéité et ton originalité ?
  • De ce côté-là, tu es servie.
  • Et toi ?
  • Et moi ?
  • Qu’est-ce qui te plait chez moi ?
  • Chez toi ?
  • Chez moi, oui.

Elle me regarde dans le blanc des yeux. Je pourrai répondre tout. Tout, ce mot qui ne signifie rien et tout à la fois, est la première chose qui me vient à l’esprit. Ce serait une réponse facile, mais surtout une réponse impersonnelle et c’est tout l’opposé de ce qui me définit.

Julie est belle. Elle n’est pas grande. Elle n’est pas petite. Elle n’est ni mannequin, ni parfaite. Elle est Julie. C’est une personne douce, intelligente et d’une bienveillante franchise. Elle ne connaît pas la sournoiserie ou le mensonge. Elle a un fort caractère, ce qui me complémente bien tout comme cela peut me bousculer. Ses cheveux sont noirs comme ses pupilles et les traits de son visage sont fins à l’image de son petit nez élégant. Elle sait déjà tout ça.

  • Tu es aussi sincère que je suis spontané et tu es aussi forte que je suis original. Mais par-dessus tout, tu acceptes ma bêtise.

Nous nous sourions. Nous nous connaissons depuis dix ans maintenant, mais ce petit échange n’est pas exempt d’une modeste pudeur. Notre relation a évolué au fil des ans et ne cesse de le faire, car nous voilà parents d’un petit homme qui, je l’espère, saura nous tirer le meilleur.

La télé continue de déverser ses informations : «… la critique encense aussi bien la réalisation que les acteurs…»

  • Le docteur Ravi m’a parlé de la couleur des yeux d’Elïo, dis-je sans transition. Tout va bien concernant son développement sensoriel, mais elle m’a avoué n’avoir jamais vu ça.
  • Je n’avais jamais vu quelqu’un comme toi, alors un de plus ou un de moins…

J’exprime un sourire.

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