Pseudo : Jean-Jean    Titre : Un mec

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Je profite de la mise en avant de ce défi pour solliciter des commentaires sur ma prochaine romance. Je poste juste le début que j'ai adapté pour l'occasion. Il entre bien dans le cas du défi parce que la narratrice y manipule quelques clichés H/F (clichés ou pas, hi hi hi !)

Ce que j'aimerais savoir, c'est si un récit de ce style serait lisible sur la longueur. Bien sûr, vous pouvez aussi parier sur mon sexe, sachant que beaucoup d'hommes lisent de la romance sans l'avouer.

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Carole m’avait mise en garde. Pour elle, il y a un principe simple : no zob in job. Au lycée, elle ne flirtait jamais avec les garçons de la classe. « C’est le pire truc à faire. Imagine : tu sors avec un mec à la rentrée, tu le plaques à Noël et tu passes le reste de l’année scolaire à dégouliner de ses regards de chien malheureux. »

Nozobinjob, elle avait raison.

Mais lorsque Nicolas, le tout nouveau chef du service communication, avait été muté au siège, je n’avais pas su résister à ses yeux bleus de surfer californien. Dès le premier regard, j'avais décidé que ce mec-là était pour moi. Hors de question de le laisser m’échapper.

Je ne m’étais pas jetée dans son lit, mais presque, au grand dam de Carole qui préconise des approches plus subtiles, celles qui confèrent à l’homme le rôle de chasseur actif, d'initiateur. Et donc de responsable en cas de rupture. Car c'est à l'homme d'assumer le poids de la culpabilité d'une relation ratée. C'est trop facile de le laisser s'en tirer avec une remarque hypocrite du genre : « Tout est allé tellement trop vite entre nous ! »

Mon histoire avec Nicolas a duré deux ans. Un mois après notre première nuit, j’avais quitté mon studio pour m’installer chez lui. Et puis, lentement, insidieusement comme tombe la nuit en pleine forêt, comme viennent les premières rides au coin des yeux ou les premiers cheveux blancs à vingt-cinq ans, mon Prince Charmant était devenu mon Prince tout court, puis mon mec. Puis un mec.

Un mec normal, comme tous les autres mecs, ni mieux ni moins bien que le commun des mecs qu'on trouve sur Tinder ou sur Adopte.

Le pire, c’est que, spectatrice impuissante, j’avais assisté au naufrage de mon propre navire. J’avais reconnu les premiers signes de fissures dans la coque. C’était les mêmes symptômes que dans le couple de mes amies lorsque ça commençait à gîter sous la houle. Je me désolais alors de leur passivité : « N'hésite pas, quitte-le ! » Je leur proposais mon canapé, mon oreille compatissante et mes flots de haine fielleuse, le soir, vautrées devant un bol géant de céréales au Nuttela. Je me jurais sur la tête de Simone de Beauvoir que jamais un mec ne me ferait tourner bourrique de cette façon.

Et voilà que deux ans plus tard, à petits coups d’acceptation, de compromission, de taisage de gueule et ravalage de fierté, je me retrouvais dans cette situation du matelot qui écope. J'espérais encore éviter le naufrage d'un rafiot à la coque trouée et au capitaine qui s'en fiche. J'étais la bonniche. Je lavais et repassais les chemises de monsieur, j'assurais les tâches domestiques, les courses, la descente des poubelles, le récurage de la douche, des toilettes, de la cuisine. On était deux à vivre dans cet appart et à le salir, bordel ! Non ?

Comme tout bon esclave enchaîné pas trop serré, j'alternais les moments de rébellion et les bouffées de reconnaissance quand monsieur daignait se souvenir que le lave-vaisselle ne rangeait pas tout seul les assiettes dans le placard du haut. Je faisais remarquer qu’on avait les même horaires, qu’on bossait (presque) autant l’un que l’autre et qu’il n’y avait pas de raison pour que ça continue. Je m'enfonçais dans l'aigreur, il me le faisait remarquer, calmement, me reprochait mes cris. Pour lui, c'était gagnant à tous les coups.

Un soir, alors que des amis allaient arriver pour une petite soirée apéro dînatoire, je lui ai demandé de passer l’aspirateur dans le salon. « C’est pas sale », a été sa réponse.

Pardon ? Pas sale ? Et les miettes de chips sous la table basse ? Et les traces sucrées des verres à mojitos de la veille sur le plexiglas ? Ce n’était pas le zinc de chez Bébert, OK, mais c’était douteux. Pas net, quoi.

Nous, femmes, on a toutes fait l’expérience de ce genre de situation. Les hommes ne remarquent rien ou ne font pas de cas. Les femmes, si. Les invitées n’auraient vu que ça, les miettes et les ronds collants. Elles auraient fait bonne figure. Mais, dans l’ascenseur de fin de soirée, il y aurait eu des moues dégoûtées, des grimaces entendues. Ma réputation aurait été détruite. Je serais à jamais restée la souillon qui néglige son intérieur et garde la même culotte deux jours de suite.

Bref, une fois de plus, il était vain de discuter. J’avais empoigné rageusement l’aspirateur pendant que monsieur, enfermé dans son bureau, visionnait sur son ordi les photos de sa dernière rando-escalade qu’il envisageait de projeter en cours de soirée.

Les hommes et les femmes n’ont pas la même notion de la propreté. Je le sais depuis longtemps. Toute mon adolescence, j’ai eu l’exemple de mes parents sous les yeux. Pour les hommes, tant qu’ils ne trébuchent pas sur les canettes vides, c’est acceptable. Les femmes sont plus pointilleuses et exigeantes, en grande partie parce que c’est sur elles que repose la fameuse « charge mentale », cette obligation inconsciente, ce manteau mouillé, cousu de plomb qu’elles-mêmes se jettent parfois sur les épaules.

Pour le linge, c'est pareil. Tiens, parlons-en justement du linge.

Pour les hommes, le rapport à la lessive se résume à la boîte magique EDA, un petit parallélépipède de plastique dans les tons pastels, muni en son sommet d’un couvercle à trappe basculante et agrémenté d'une façade perforée afin de juger du niveau de remplissage. La boîte magique EDA trouve naturellement sa place dans la salle de bain, entre la baignoire et le lavabo. Il suffit à monsieur d'y glisser ses boxers, chemises et chaussettes pour les retrouver, trois jours plus tard, rangés, pliés et repassés sur l’étagère de la chambre. C’est pas de la magie de femme, ça ?

Encore plus costaud. La boîte EDA est tellement puissante que même quand monsieur pressé manque sa cible, le caleçon qui a atterri à côté est traité avec le reste. Tadam ! Alors, on dit quoi ?

C’est ainsi que mon surfeur californien est devenu mon coloc. Il me baisouillait vite fait le samedi soir quand la semaine ne l'avait pas « tué », sinon il se matait une série netflix. À la fin, on n’était même plus des colocs. Il était le proprio, j’étais la femme de ménage. Le jour où j’ai pris la décision de le quitter, je me suis demandée comment j’avais pu tenir aussi longtemps.

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