Pseudo : Cliché                         Titre : Club de lecture

5 minutes de lecture

*** Contenu sensible ***

Clichés :

Les hommes aiment le football. Les hommes boivent de la bière. Les hommes boivent de la bière en regardant le foot. Et continuent même à picoler le match fini… Les hommes regardent des films de zombies (bière en même temps ? Sûrement, à vérifier). Les hommes abusent des jeux-vidéos… pendant des heures… et après ça n’ont le temps de rien ! Les hommes oublient les dates importantes (anniversaires, de leur propre mariage, même la saint-valentin !)

– Non, non ! Qu’est-ce que tu fais là ?! paniqua Charlotte en apercevant Arthur assis sur le siège de l’ordinateur qu’elle venait tout juste de quitter.

– Je lis « Clichés », lui répondit-il, usant d’un accent distingué et… en fait inexplicable. C’est excellent chérie, excellent ! Tu tiens là un best-seller ! se moqua-t-il avec ardeur.

– Ah, ah, grinça Charlotte.

– Non, j’exagère hein, c’est juste que… tu ne manquerais pas d’inspiration ?

– Arrête, laisse-moi la place, c’est…

– C’est d’un gnangnan ! lâcha-t-il avec une absence totale de soutien.

Charlotte, gênée que son brouillon d’idées soit lu par son bien-aimé alors qu’il n’était destiné qu’à elle-même, chercha à se justifier :

– Ne te moque pas, c’est un exercice. Tu sais que j’aime bien écrire, c’est juste une ébauche, j’écris ce qui me vient, c’est pour un thème sur les clichés.

– Hum, hum, tu m’en diras tant.

– Si tu veux savoir, j’avoue : pour l’instant pas grand-chose ne me vient !

– Ah ouais ?! Tu ne me l’aurais pas dit je n’aurais pas deviné.

– Ah, ah, regrinça-t-elle.

– Mais, puisque je viens, déjà, de finir de jouer, le génie que je suis, entre ses deux bières, avant le début de son match – ligue des champions ! –, va pouvoir t’aider !

– Non, non, c’est gentil, vraiment, merci, mais je n’ai pas besoin de ton aide, tenta-t-elle de l’arrêter très vite avant qu’il ne s’immisce pour de bon dans son plaisir d’écriture.

– Si, si, si ! insista-t-il, avide d’apporter sa contribution. Et ça va être génial ! Laisse-moi deux minutes et tu vas faire sensation dans ton club.

– Ce n’est pas vraiment un club, marmonna-t-elle.

– Mieux : ton club va te glorifier ! s’exalta-t-il.

– Ce n’est pas un club ! articula-t-elle bruyamment, afin qu’il enregistre au mieux cette information.

– Peu importe, dit-il balayant avec indifférence cette idée de club, ça ne change rien, ta prof sera fière de toi.

– Mais il n’y a pas de prof ! Et pourquoi ce serait "une" prof, d’ailleurs ?

– Euh… Il y a des hommes dans ton club d’écriture ?

– Ah, ah, ah, très drôle, s’agaça-t-elle face à tant d’étroitesse d’esprit.

– Tu la tiens bien cette voyelle. Bref, moi qui croyais que les hommes ne regardaient que le foot, n’aimaient que le foot, ne…

Prise à son propre jeu, Charlotte s’énerva pour de bon :

– C’est bon, stop ! Ça va, j’ai compris ! Ce n’étaient que des clichés, parce que c’est ça le thème.

– Des hommes écrivent ? persista-t-il.

– Oui, mais… Argh, mais pourquoi je te réponds ?! ragea-t-elle contre elle-même.

– Parce que je t’ai posé une question, femme !

– Oh, oh, bravo… et merci ! J’ajoute d’office le cliché "machiste" à tous les hommes.

Arthur sourit, se tapa dans les mains et, ignorant magistralement l’irritation croissante de Charlotte, pivota le siège face à l’écran pour s’apprêter à écrire.

Il n’omit tout de même pas de balancer une ou deux généralités parfaites pour l’occasion :

– Pendant que j’arrange ton texte, prends donc deux minutes pour appeler ta mère, te faire une manucure ou regarder un truc de télé-réalité…

Connaissant très bien Arthur, jusqu’au-boutiste dans ses bêtises, Charlotte soupira en gonflant les joues et partit dans la cuisine en maugréant. Arthur, seul devant le clavier, trouva aussitôt l’inspiration :

Les filles aiment les bouquets de fleurs, les soirées romantiques, qu’on leur écrive des poèmes d’amour, elles recherchent la tendresse, exigent un prince charmant à la manière de Cendrillon.

– Merde, c’est tout aussi nul que ce qu’a écrit Charlotte, se lamenta-t-il. Quel club d’écriture de merde, pouvait pas pondre un thème sur les zomb… s’apercevant qu’il entrait alors dans la catégorie « cliché », Arthur s’arrêta net de baragouiner.

Clichés de femmes :

Les femmes aiment les séries débiles. Les femmes boivent du thé. Les femmes boivent du thé en regardant leurs séries débiles. Et font pipi toutes les deux minutes. Les femmes regardent des films…

– Quels genres de films ?

Et dans son esprit si inventif, la lumière fut :

– Oh oui ! Oui, oui !

Les femmes regardent des films érotiques en cachette.

– Ouais, c’est bon ça, le sexe plaît toujours dans les clubs geeks pour lecteurs coincés du cul !

Les femmes regardent des films pornos…

– Hum…

gays ? Lesbiens ?

– Allons-y pour bi.

bi…

Puis, de nouvelles images en tête, Arthur s’excita :

des trucs salasses où des femmes et des hommes se font pénétrer, de tous côtés, par des membres virils, de trente centimètres minimum, jusqu’à l’expulsion, telles les grandes eaux de Versailles, de semences gluantes sur leurs visages ébahis, leurs culs rebondis, leurs tétons durcis, dans leurs bouches arrondies…

– Je tiens bien la rime, mais j’y vais peut-être un peu fort, reconnut-il.

– Fort quoi ? lui demanda Charlotte qui revenait vers lui une tasse de thé à la main.

Arthur, paniqué qu’elle ne lise derrière son épaule, se dressa d’un bond et lui fit face :

– Euh… non, rien ! Attends, je… suis en train de me finir.

– Finir quoi ? Allez, laisse-moi regarder.

– Je n’ai pas fini, que je te dis !

– Moi non plus je n’avais pas fini, lui rappela-t-elle en tentant de le pousser de sa main libre.

Arthur résista, se tourna en vitesse et appuya frénétiquement sur la touche « Del ». Charlotte, pas dupe, s’en rendit compte et rouspéta :

– Hey, non ! Tu n’as pas le droit !

Toujours debout, à la va-vite, il tapa d’autres banalités… plus lisibles :

Femmes aiment bisous, baisers, caresses, bouquets de fleurs. Femmes : romantiques.

Soulagé, il respira et en convint :

– Finalement, je n’ai pas été plus inspiré, chérie. Allez, bisou, je te laisse avec tes « clichés », je vais…

– Tu vas te chercher une bière ?

S’apercevant à nouveau qu’il entrait dans la catégorie du parfait cliché, Arthur gonfla les joues, soupira, maugréa, mais partit tout de même vers le frigo.

Charlotte reprit sa place, à l'aise devant le clavier, elle monta le curseur de la souris sur la barre d’outils et cliqua, suffisamment longtemps, sur la flèche « Annuler »…

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