Pseudo : Kafka    Titre : La métamorphose

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*** CONTENU SENSIBLE ***



Soudain, j’ai réalisé comme tout s’était éteint en moi.

Depuis des mois, roué de souvenirs et de solitude, j’avais vécu l’agrégation de mes sentiments. Les uns après les autres, ils s’étaient absorbés. Jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un, apôtre de la révolte et grand gagnant de la sélection naturelle. L’élément le mieux adapté.

Alors je me suis relevé et n’ai plus jamais rechuté.

Cette force qui m’a sauvé la vie, je la tiens de la haine.

Oui, quels que soient l’horreur du monde, la nullité générale et la stupidité humaine, je pouvais toujours haïr. Et alors qu’on déteste les autres, il n’est plus aucune difficulté pour s’intégrer. On peut se montrer soi-même horrible, nul et stupide.

Hypocrisie, mensonges, trahisons, coups bas, tout devient possible.

Quand on hait suffisamment son prochain, on obtient tout ce qu’on veut de la vie.

Vous pouvez sourire à des employés que vous méprisez histoire de les motiver, vous pouvez vendre n’importe quelle merde aux autres en leur certifiant que vous avez la même à la maison, bombarder les radios de daubes formatées que vous n’écoutez même pas, vous pouvez nourrir la foule de malbouffe à base des restes de restes malmenés sur des chaînes de production dépourvues d’hygiène. Vous pouvez faire tout ça et plus encore.

Si vous haïssez suffisamment votre prochain, vous pourrez présenter le journal télé et reporter la misère générale un sourire confiant aux lèvres, vous pourrez mettre des violons sur un morceau choisi de la vie de deux crétins stéréotypés et appeler ça une séquence émotion, vous pourrez oublier toutes ces femmes heureuses dans leur burqa et vanter l’espoir qu’offre la liberté de culte, négliger les problèmes des autres et vous dire qu’ils ont juste besoin de se plaindre, vous pourrez vous arranger pour que toujours la meilleure des candidates batte le meilleur des candidats sur un poteau et alors la couvrir de superlatifs.

Tandis qu’on se tue pour des histoires de dieux, je peux vous vomir assez loin et fort pour en inventer un nouveau et vos filles qui m’offrent leurs fleurs, je peux faire scander à un niais mes paroles d’évangile et les royalties dans mon porte-monnaie.

Tandis que les chercheurs se demandent comment transférer leurs connaissances pour qu’un autre puisse reprendre le flambeau et finir leur projet, je peux vous ramoner au point de vous mettre sous antidépresseurs du soir au matin du moment que vous payez la consultation, je peux vous dire que c’est normal, qu’il n’y a pas de honte, et que ceux qui ne dépriment pas ne savent tout simplement pas ce que c’est – cette maladie.

Songez un peu à tous ces boulots qui rendent riches et que vous ne pourrez jamais espérer exercer sans recourir à la haine pour éteindre en vous ce qu’on appelait autrefois intégrité et respect d’autrui. Ces gens que vous aimez, admirez et enviez, ne sont jamais que des hommes et des femmes qui ont accepté de vous haïr pleinement. Ils prétendent vouloir aider leur prochain, veiller à leur mettre un peu de baume au cœur, œuvrer au bien général, nourrir des centaines de familles, donner le meilleur d’eux-mêmes, mais dans leurs instants d’honnêteté ceux-là pensent exactement comme moi, à savoir que vous n’êtes jamais que de la merde et que vous ne méritez que nos chiures.

Tandis que le monde implose, que des nuls se battent pour la paix et louent un idéal, que le fils du père court après son élection, que les crues inondent nos maisons et les épidémies nous ravagent, que des malades égorgent des centaines de familles et établissent des dictatures, que des types se maravent sur un coup de bourse raté, que des enfants errent sans but et se droguent pour bercer leurs humeurs, il n’y a qu’une chose à faire : haïr et y chercher les opportunités.

Mais pas haïr comme on en veut à une personne ou à une catégorie de personnes, pas haïr pour ci ou pour ça, pour patati ou pour patata. Je parle d’un rejet fluide et décomplexé, de mépriser suffisamment l’autre pour abuser de son infériorité sans plus penser une seule seconde qu’il soit de la même espèce que nous. Je parle de cette haine qui légitime une violence muette et sournoise, celle qui nous permet de totalement nier notre prochain.

De ne plus y voir qu’un animal.

Et bien sûr que nous savons vivre en harmonie avec les animaux, qu’on sait les apprivoiser, exploiter leurs points forts et se satisfaire de leur affection !

D’ailleurs, ne les idéalisons-nous pas sans cesse ? Eux qui ne nous trahissent jamais, eux qui ne se plaignent jamais, même quand les temps sont durs. Et je vous le demande : comment aimer un idiot, si vous ne le haïssez pas assez pour le changer en caniche ?

Pour tous ceux que vous aimez, enviez ou admirez, vous n’êtes que des chiens. Qu’ils le reconnaissent ou non. Et ça, il faut être un maître pour oser le dire.

Maintenant, allez-y, c’est le moment d’aboyer.

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