Pseudo :  le roi                        Titre : Ta dernière couronne

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Tu enjambes les cadavres, contournes les moribonds. Dépêche-toi. Tu croises quelques vivants, certains titubent, ceux qui se tiennent droit te repèrent et t’évitent. As-tu pire allure qu’eux ? Tu marches tête baissée, tu fonces au mieux. Plus vite !
Tu relèves un instant les yeux pour repérer la prochaine bifurcation, ton regard rencontre celui d’une femme étendue sur le tarmac, tu ralentis malgré toi, la femme te tend un bébé qui gigote et gazouille. C’est beau un bébé vivant. Tu accélères.
Tu accélères même si ta cheville enflée te lance jusqu’à la hanche. Tu accélères même si la morve qui coule de ton nez a trempé ton écharpe et brûle ton cou. Tu accélères même si le silence te glace et te donne envie de te coucher là, plus bouger. Tu accélères.
Et maintenant tu cours en longeant les façades. Tu contournes les containers à poubelles qui débordent et les voitures abandonnées. Tu as un point de côté, tu t’arrêtes un instant. Dépêche-toi.
Le vent est doux. Les petits nuages blancs sont guillerets. Le soleil est tendre. Pourquoi les oiseaux ne chantent-ils pas ? Tu t’en fous.
Tu arrives aux abords du parc Montjoie. Tu gagneras du temps si tu le traverses. Tu ne t’interroges pas sur les éventuels agresseurs cachés derrière les buissons en fleurs, tu fonces. Il faut filer plus vite. Dépêche-toi. Tu ne souris pas en voyant le kiosque où tu avais donné le tout premier rendez-vous à Héloïse, celui du premier baiser. Tu cours vers la sortie du parc.
Tu aperçois les tours, tu te demandes encore pourquoi diable tu ferais le crochet, mais tu es déjà occupé à te diriger vers le bloc A. Tu grimpes les escaliers sans jeter un œil aux corps épars. Tu arrives au quatrième, tu ne frappes pas à la porte, tu la défonces. Tu annonces que c’est toi pour la forme et tu éternues. Tu fonces jusqu’à la chambre. Tu les vois, elle sur le sol et lui sur le lit.
Les cheveux blonds d’Héloïse sont étalés sur le lino, comme une auréole d’or. Elle est si belle. Son bras gracieux est étendu en arrière, sa peau dorée. Ton frère lui est étendu à l’envers sur le lit, les pieds sur les oreillers, la main tendue vers Héloïse. Ta jalousie a enfin le goût du renoncement. Tu dois t’en aller. Dépêche-toi.
Tu entends un cri. Tu aperçois un berceau. Un bébé. Merde. Ils ont eu un gosse et ne t’ont même pas averti. Merde.
Tu te barres. Non, tu restes, tu regardes le petit. C’est beau un bébé vivant.
Merde.
Tu le prends, comme ça, contre toi, tu le serres. Parce que c’est le petit de ton frère, le petit d’Héloïse. Tu penses même au lait en poudre, au biberon. Pas aux langes, tu es déjà dans la merde hein ? Et tu t’en fuis avec le bébé dans tes bras sans te retourner sur leurs cadavres.
Arrivé sur le trottoir, tu te remets à courir, le petit serré contre toi, il te gêne. Tu n’y arriveras pas, tu le sais. Mais tu ne le lâcheras pas, tu le sais aussi.
Tu entends une première explosion et tu vois de la fumée au loin, à l’est. La ville voisine. Le vieux colonel t’a bien expliqué. Une bombe par ville suffira. Ils n’ont plus le choix.
Il te reste à peine deux kilomètres pour rejoindre la Grotte de la Préale. Tu cours, les deux bras contre la poitrine pour mieux tenir le bébé. Dépêche-toi.

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