L'entrée dans un nouveau monde

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 En septembre 2003, j’entre donc au lycée. Je n’ai encore que 14 ans, pour rappel je suis née le 22 décembre, n’ayant pas redoublé durant le collège, j’arrive plus jeune que la plupart des lycéens présents. Le premier jour, j’étais perdue, c’était immense pour moi, je rencontre les gens de ma classe, quelque peu bizarres que je dirais à première vue. Je ne me laisse pas trop de place pour le jugement et aux premières impressions. Malgré tout, ce premier jour a été pour moi très étrange, je ne me sentais pas du tout à ma place de nouveau au milieu de tous ces gens inconnus. Les secondes étaient toujours regardées et scrutées par ceux de terminal, l’horreur, c’était le même nombre de personnes dans mon lycée que dans mon village même plus que dis-je.

Je pourrais décrire cette année en trois mots : horrible, humiliation, surprenante.

 Comme j’ai pu vous le dire plus tôt, au collège j’avais de bons commentaires, des notes satisfaisantes, j’étais appréciée par la totalité des professeurs, j’avais ma place. J’avais choisi la seconde générale pour pouvoir prétendre à toutes les filières de première. Donc le niveau était assez élevé dans toutes les matières. Nous devions être capables de passer autant en scientifique qu’en littéraire par exemple. Alors pour résumer, en scientifique je pouvais oublier, j’étais perdue, totalement en retard, je ne comprenais plus la logique, en langues, je me débrouillais, j’avais anglais, espagnol, italien. En ce qui concerne le français, je me suis laissé avoir par l’attitude de la professeur, qui à mon sens n’était pas du tout dans un bonne posture, et ne donnait aucune envie d’étudier … J’étais donc très moyenne.

 Nous étions environ 30 dans la classe, le double que j’avais connu auparavant, rien que ça, c’était perturbant pour moi. Les professeurs ne prenaient pas le temps pour chaque élève, j’étais devenue un nom sur un liste, et plus une personne à qui l'on apporte de l’attention, mais surtout ne m’aidaient pas quand j’en avais le besoin, car au milieu de tous, même une grimace qui veut dire « je n’ai rien compris », ils ne la voyaient pas … J’apprenais mes cours, je bossais très dur pour être honnête, mais j’avais des mauvaises notes, et certains de mes profs pensaient que je ne travaillais pas. Je ne vais pas citer les matières concernées ni les noms, même si je m’en souviens très bien, juste parce que je suis respectueuse malgré tout, mais j’avoue que si je devais les croiser à ce jour, je leur dirais bien tout ce que je n’ai pas osé à l’époque car en tant que professeurs, ils ne se sont pas rendus compte que leurs paroles ont été condescendantes, irrespectueuses, vides de sens, mais surtout à l’opposé de la vérité.

 Je me souviens avoir eu droit à « tu ne ferais jamais rien de ta vie », « tu ne réussiras jamais », « tu es nulle », « tu n’apprends rien, tu es feignante, et tu te fous bien de moi en me disant que tu révises vu tes notes », « tu ne comprends rien » « tu viens du privé donc tu pensais être privilégiée ».

 Imaginez mes ressentis au moment où ces paroles ont été dites haut et fort en pleine classe, devant 29 autres élèves. Je me suis sentie humiliée au plus profond de moi, car je savais que j’apprenais, que j’essayais mais que je n’y arrivais pas. Je ne savais pas pourquoi mais ça n’avait aucune logique, et certaines matières n'avaient pour moi plus aucun intérêt. J’ai pu constater aussi que j’étais la seule à venir du privé parmi les autres, et que c’était mal vu, comme s’il y avait la guerre entre privé et public. Ou parce que peut être on pensait encore une fois que mes parents avaient de l’argent pour m’avoir mis avant en privé … Ils ne connaissaient pas mon histoire, il m’avait jugé sur le papier avant même que je mette le premier pied dans leur classe, c’était devenu évident. Mes notes étaient de plus en plus lamentables, leurs remarques de plus en plus désobligeantes, je n’en pouvais plus, je me suis définie comme étant une ratée sans avenir à force de me l’entendre dire. Je me suis demandée si un apprentissage n’était pas mieux finalement, je n’avais peut-être pas le niveau du lycée, et j’avais fini par leur donner raison.

 Je tiens à faire une remarque importante que j’ai pu retenir de cette année-là, mais surtout des professeurs. Ma maman me disait toujours d’arrêter de remettre la faute sur les professeurs, que c’était moi qui n’écoutais pas assez ou n’apprenais pas bien, mais la remise en cause d’un prof n’était pas possible à ses yeux … Du moins au début. Je rentrais chez moi désemparée, vidée, démoralisée … Tous les termes de tristesse extrêmes sont bons pour me décrire à ce moment. A force que je répète ce que les profs disaient, et qu’au premier trimestre à la réception du bulletin, elle a vu les commentaires plus que médiocres, elle a fini par se poser des questions. Un trimestre sans aide ni compréhension de personne, ça peut paraître court mais c’est en vérité très long, je vous assure …

 Une fois qu’elle a compris et rencontré quelques-uns d’entre eux, elle a bien vu qu’ils faisaient une fixette acharnée sur le fait que je vienne du privé. Mais pas seulement, ils étaient persuadés que je n’étais pas du tout une élève assidue. Maman me voyait passer des heures sur mes devoirs sans aucun résultat satisfaisant. J’étais soutenue après ça par elle, elle me disait que si je devais redoubler, je le ferais que ce n’était pas si grave … Pour la première fois, je me suis sentie rassurée et comprise par maman et ça changeait la donne. Avant ça, elle m’aurait puni pour mes notes, mais là, elle a laissé l’année passer comme elle était ! Je crois aujourd’hui que son attention envers moi et le fait qu’elle savait que je n’étais pas du tout aidée au lycée, m’a permis de ne pas sombrer encore une fois.

 Depuis cette époque, j’ai pu voir à diverses reprises, qu’un prof peut tout changer, une personne attentionnée, bienveillante avec ses élèves et avec des cours vivants permet une progression même dans les matières où l’on peut être moyen. J’ai pu à contrario malheureusement, comprendre qu’une personne sévère, sans aucune empathie et très magistrale ne donne pas de bons résultats sur un élève qui serait moyen au départ ou même bon … Les notes peuvent chuter considérablement !

 Alors, je suis d’accord le prof ne fait pas tout, mais je me mets à la place des ados qui endurent des heures et des heures assis sur une chaise à écouter, à rester le plus concentrés possible … Si nous sommes dans un contexte de cours magistraux, monotones, vide d’expressions, les notes peuvent aller en conséquence. Je comprends doublement car je l’ai vécu. Un élève qui se sent rabaisser peut aller très vite vers le bas, à ne plus réussir à se relever ! Ils ont entre 14 et 18 ans, environ, ils n’ont pas la remise en question et la force qu’un adulte acquiert au fur et à mesure des années … Si cela arrive autour de vous, s’il vous plait, essayez de comprendre ce qu’il se passe au fond de l’histoire, ne restez pas en surface ou quelque peu « borné » sur le fait qu’un prof n’est pas là pour être bien ou non, que si on l’écoute, le reste fonctionne … Quand on travaille avec des humains et je crois encore plus avec ce genre de public, il faut savoir les tenir en éveil, les surprendre, leur donner des méthodes diverses d’apprentissage, être à leur écoute plus que jamais.  De nos jours, un ado part à la dérive très rapidement si l’on compare avec d’autres époques plus anciennes ! Sur un point de vu élargi et réfléchit, un professeur joue un rôle très important dans la réussite pour de nombreux élèves, car il y a toujours des exceptions, ceux qui rien ne perturbe, qui apprennent avec une facilité presque déconcertante. Je crois que ce n’est pas la majorité malgré tout. Si vous avez un enfant comme cela, considérez-vous chanceux, ce sera ce genre de personnes inébranlables, que les tempêtes ne déracinent pas, que le vent n’emporte pas … Ils naissent avec des facilités et arrivent à les garder tout au long de leur scolarité, peut-être même de leur vie … Je sais à présent par vécu, et expériences autour de moi, qu’il faut se déplacer dès que l’on peut au contact du personnel enseignant, pour en savoir plus sur celui ou celle qui a notre enfant entre ses mains. Aussi, pour comprendre au mieux notre enfant quand il revient mal dans sa peau à cause d’une mauvaise note, si on les culpabilise par-dessus, je crois que c’est la descente aux enfers assurée.   Encore une fois, c’est toute la difficulté des relations à cet âge, il ne faut pas trop être dans le lâcher prise, sinon il en profite bien trop mais ne pas être dans l’extrême inverse, car on les perd systématiquement ! C’est un juste milieu à trouver qui n’est pas évident, ni naturel je dirais, car nous sommes tous différents et nous devons tous nous adapter aux membres de notre famille, et encore plus à nos enfants … Je sais la difficulté du métier d’enseignant, je sais aussi qu’après des années d’expérience, parfois il est compliqué de rester juste et impassible. Mais comme dans tout métier, parfois il suffit de prendre du recul pour comprendre pourquoi nous ne sommes plus comme avant, si c’est de notre fait, ou si tout simplement les époques changent et qu’il se peut que nous ne soyons pas faits pour cette nouvelle ère avec des générations plus complexes. Au fond, nous devrions tous un jour se remettre en question quand notre travail est sur une pente glissante, et on devrait tous avoir les moyens de changer de voie, car certaines fois comme dans la vie courante notre travail ne nous correspond plus, on pense en avoir fait le tour. Quand nous commençons à avoir ce genre de pensées, nous devrions peu de temps après signer la fin d’un chapitre de notre vie. Je suis consciente que ce n’est pas du tout simple, que ça peut être même presque impossible, mais c’est ce que l’on croit. Tout reste possible, il suffit juste de bons conseils, de bonnes personnes au bon moment … Ou parfois juste une pause, une parenthèse pour revenir plus fort et professionnel que jamais … On peut être sévère de nature, et être un prof très exigent, néanmoins, aucune personne ne mérite d’être rabaissée, qu’importe ses lacunes, ses problèmes. C’est comme si une assistante sociale disait à une personne qu’elle suit que c’est un cas social et que personne ne peut rien faire pour elle. D’autres comparaisons peuvent être faites mais je pense que celle-ci suffit à comprendre le fond de ma pensée. Personne n’est parfait, donc ni élèves, ni parents, ni professeurs … Il faut toujours faire preuve d’empathie, ce n’est pas inné chez chacun de nous, ce n’est pas forcément dans notre caractère … Mais sans aucune empathie on ne pourra pas totalement comprendre les personnes à qui l’on tient, nous n’avons pas besoin de cette qualité pour tout dans notre vie, mais au moins pour nos proches … On apporte les meilleurs conseils et le meilleur soutien dans l’empathie, la compassion … On ne résout rien dans l’ignorance, dans l’intolérance, et dans l’incompréhension. Il faut de tout pour faire un monde, mais personne ne nous empêche d’être une meilleure personne de jour en jour et de réussir à s’adapter aux situations même les plus pénibles. Un enfant qui se pense en dessous des autres, sans intérêt, sans importance est un être qui ne grandira pas de la bonne manière si on ne le voit pas et qu’on ne le comprend pas. Si quelqu’un ou plusieurs personnes le rabaissent à longueur de temps, que personne autour de lui n’aura vu sa peine, il aura vraiment un mal fou à remonter la pente. Par-dessus tout, il ne sera plus objectif avec lui-même et va s'accaparer le rôle qu’on lui donne puisqu’il ne sait plus être autrement. J’insiste vraiment sur cet épisode, car je sais aujourd’hui que sans la prise de conscience de ma mère, je serais vraiment redescendue très bas ; j’aurais pu sécher les cours et arrêter totalement le lycée pensant simplement qu’ils avaient tous raison … Ma maman a été très sévère et très dur avec moi souvent, je l’avoue et elle l’avoue aussi, mais à côté de ça, elle a été présente dans des moments de ma vie où sans elle j’aurais mal fini sans doute. Vous pourrez en lire plus à ce sujet dans quelques lignes, aujourd’hui je le remercie du fond du cœur pour sa tolérance les longs mois de ma seconde. La fin d’année scolaire est arrivée, il fallait que je donne mes choix d’orientation. J’ai glissé de l’humour, j’ai dit que je voulais passer en scientifique … Ils m’ont dit « non ce n’est pas vrai ? » Bien évidemment que non … C’était juste pour clôturer sur ce fiasco, le conseil de classe voulait me faire redoubler pour que l’année d’après j’aille en littéraire … Mais cette année m’avait fait comprendre une chose importante, la théorie c’était bien mais je voulais apprendre des éléments concrets qui allaient m’aider dans ma vie professionnelle … Mais cela m’a fait comprendre aussi, après quelques recherches que les études de droits, n’étaient pas à ma portée. C'étaient des écoles privées et sans droit aux bourses. J’avais compris que je devais rester concentrée sur mes études pour m’en sortir, donc aller travailler en parallèle pour payer mes études, ça n’aurait pas été possible. Mes parents ne pouvaient pas subvenir, et je comprenais, nous étions trois enfants … J’avais donc abandonnée l’idée et d’autant plus que pour être juge il fallait être avocat avant, ah que non !!! Il était hors de question que je passe par là même que quelques mois … Alors après mûre réflexion, j’ai envisagé les études de commerces … J’ai donc fait mon premier choix pour aller en première STT, sciences et technologies tertiaires, depuis ça a changé de nom ! Ils m’ont laissé ma chance car je leur ai fait comprendre que cette seconde avait été un choix par dépit d’autre chose, que je ne savais pas ce que je voulais faire comme bac, j'avais donc pris ça, mais que c’était une grosse erreur … Je suis passée en première, de justesse mais enfin une personne m’avait compris et donné le verdict final en ma faveur. Heureusement que mon prof principal lui était réellement gentil et avait compris mon désarroi et peut être mes capacités …

 Durant cette année, malgré tout, j’ai rencontré une personne hors du commun, très étrange aux yeux de beaucoup des lycéens, mais je ne sais pour quelle raison, à l’époque, son extraversion et son côté atypique, me touchait et m’attirait. Nous avons passé de très bons moments, on riait beaucoup elle et moi, et elle était connectée à un monde parallèle, comme si par moment elle était partie dans une autre sphère, invisible mais dans laquelle elle vivait pleinement. Elle me disait voir les défunts, être confrontée à des événements étranges qu’on ne soupçonnait pas … Elle était mystérieuse pour beaucoup, mais à moi elle me racontait beaucoup ses passages dans cet autre monde. Sans voir ni ressentir, je m’y intéressais, et je ne me suis jamais dit cette fille est folle ! C’est ce côté noir que les autres trouvaient repoussant, mais pas moi … Comme si elle et moi pour des raisons différentes nous n’étions pas faites pour être dans la majorité, d’être populaires comme certains. Nous n’étions que peu entourées, je vous l’accorde mais nous étions bien elle et moi. J’ai compris il y a peu de temps que cette fille avait été mise sur mon chemin pour une raison, voire plusieurs, mais que je n’étais pas prête à l’époque pour la comprendre. Elle est donc passée seulement dans ma vie, car en première nous n’étions plus ensemble, et nous étions plus souvent avec les gens de notre classe qu’ensemble. Donc le temps nous a un peu éloigné … Mais je garde un souvenir intact de cette courte amitié, car son passage dans mon univers était fait pour que je m’en souvienne …

 J’avais aussi dans ma classe, des filles à la hauteur de celles que j’avais connu en primaire, mais je n’ai pas fait l’erreur de vouloir intégrer leur groupe, pour ne pas être celle qu’on laisse sur le bord de la route encore une fois avec les moqueries qui vont avec … Je détestais les entendre critiquer, ça m’insupportait, elles se croyaient au-dessus des autres mais pourtant n’arrivaient pas à la cheville de beaucoup avec leur mentalité !

 Ce fût une année mouvementée, où j’ai longuement douté sur mon avenir, mes capacités, où j’ai perdu la confiance en moi que j’avais réussi à reconquérir quelque peu pendant le collège … Il faut beaucoup de temps pour se construire mais très peu pour se démolir. C’est là où nous pouvons remarquer, que finalement ce n’est pas de nous-même que viennent les doutes, mais du monde nous entourant. A force de se soucier de ce que les autres pensent de nous, ou d’écouter les mauvaises paroles, ou encore subir les mauvaises attentions des autres que l’on perd toute forme de confiance en nous. Si chaque parole, chaque geste mal attentionné glissaient sur nous comme une pluie torrentielle pour après sécher aussi vite, une fois le soleil revenu, nous serions mieux ! Apprendre à s’estimer et à se créer cette bulle infranchissable par les hôtes malveillants est un long apprentissage mais très gratifient et honorable par la suite. Puis surtout c’est ce qui nous donne cette foi en nous envers et contre tout. Mais attention à ne pas confondre, la confiance en soi qui rend ces gens très hautains, arrogants, et prétentieux, et l’estime de soi qui donne confiance en nous en restant humble, modeste et compréhensif. C’est toute la différence, avoir confiance en soi ne veut pas dire écraser les autres, juste avoir assez confiance en nous, nos capacités, notre valeur pour ne pas douter à la moindre occasion et c’est aussi ce qui nous donne la persévérance pour atteindre nos objectifs. Cela passe dans la compréhension de soi, dans la connaissance de nos limites, et être capable de dire non, je ne peux pas, je ne sais pas sans avoir honte. Nous ne pouvons pas, aucun de nous, dans une seule vie tout apprendre, tout comprendre et tout savoir. Les personnes qui pensent avoir tout vu sont loin de la vérité et ce sont les mêmes qui sont prétentieux en général ! Encore une fois, il faut de tout pour faire un monde, et c’est aussi des autres qu’on apprend, qu’on retient certaines leçons et aussi qu’on évolue. Ce n’est pas à 15 ans que j’ai compris tout ça, et encore aujourd’hui, vous pouvez remarquer que la confiance et moi, on ne fait pas qu’un. Je travaille dur sur moi, je me fais violence et me bat chaque jour avec cette partie sombre de moi-même pour apprendre à m’aimer, c’est le premier pas à faire, s’aimer soi-même de façon inconditionnelle, c’est-à-dire s’accepter tel que l’on est et s’apprécier à sa juste valeur. Je dirais que je ne suis qu’au début de l’échelle, je monte doucement mais surement sur cette échelle de confiance, et d’amour. Chaque jour est une chance d’apprendre, de découvrir, de comprendre qui nous sommes. L’être humain dans sa globalité, est très complexe, il reste encore énormément de mystères qu’aucun scientifique n’a résolu jusqu’à là. C’est autant de méconnaissance que l’on a en nous. C’est toute la magie de la vie aussi, si l’on savait tout, qu’elle serait le but de notre présence ici.

 Noël 2003, le père Noël m’a apporté un scooter ! J’étais éblouie par ce magnifique cadeau qui allait me donner un peu plus de liberté et d’autonomie dans mes déplacements. Pour rappel ; j’habitais un village perdu en campagne. J’étais d’une reconnaissance absolue envers mes parents, je savais que ce n’était pas donné, et ils se sont saignés pour que je l’ai … J’étais ravie.

 C’était la parenthèse pour ce qui suit, qui est beaucoup moins joyeux. J’ai souvent parlé de mes grands-parents maternels mais pas de ceux du côté paternel. Je n’ai jamais connu ma mamie, décédée d’un cancer à l’âge de 48 ans, on m’a raconté beaucoup d’histoires sur elle, sur sa bonté et sa gentillesse. Elle aimait énormément maman même si elles n’ont pas passé énormément de temps ensemble. Mes parents se sont mis en couple en 1982, ma mamie est décédée en 1984. Mes parents ont vécu à Paris ensemble jusqu’en 1987, année où ils ont commencé au restaurant et ils s’étaient mariés en 1985. Mamie savait papa heureux, elle l’était donc aussi, mais surtout mamie n’avait aucun jugement.

 Je n’ai donc pas eu le bonheur de la connaître, par moment je pense à elle, je ne connais son visage que sur les photos, mais quelquefois je me dis que j’aurais aimé entendre sa voix, l’avoir embrassé. Elle nous aurait aimé très fort j’en suis certaine. Concernant mon "papy", il a très vite refait sa vie avec une autre après le décès de mamie, il vivait à quinze minutes de chez nous. On habitait au-dessus du restaurant, il venait au cimetière sur la tombe de mamie enterrée dans notre village, mais n’est que rarement venu nous voir. Il passait voir papa, mais ne montez pas à l'appartement. J’avais des merveilles de grands-parents d’un côté qui faisait 40/45 minutes de route pour passer du temps avec nous ou aider mes parents alors qu’ils étaient en retraite et avaient eux aussi été commerçants. De l’autre j’avais cet homme froid, sans sentiment, avec un fond que je n’aimais pas vraiment. J’ai grandi, ainsi que mon frère et ma sœur, sans sa présence, sans son attention ni affection. Un week-end où il faisait beau, j’ai voulu faire un effort, et me déplacer à lui avec mon scooter. Ça me faisait plaisir et je me suis dis qu’il fallait faire avec ce que la vie nous donne, après tout il était en vie, tout le monde n’avait pas cette chance. Maman n’était pas très enthousiaste à l’idée que j’y aille, je lui ai téléphoné, il était chez lui et ne faisait rien, il a accepté volontiers ma visite. Je suis arrivée, contente d’être là malgré tout. Je me suis installée, on a commencé à discuter, puis il s’est mis à parler de l’ex-femme de mon papa, décédée dans l’accident. Il me disait que si elle était là, maman n’aurait jamais été avec papa. Et plus il continuait de parler, plus je regrettais d’être venue, j’entendais des choses affreuses sur maman. Qui plus est totalement injustes, infondées, et fausses. Il parlait de maman comme une moins que rien, qu’elle profitait de papa, qu’elle ne faisait rien au resto, que c’est papa qui gérait tout. Il continuait par ta maman est une mauvaise personne, méchante … Je vais m’arrêter dans ses dires, car les larmes me montent en écrivant ces lignes. Il a été odieux, je n’ai rien dit, juste qu’il se trompait sur maman. Il m’a soutenu que non en ajoutant encore des mauvaises paroles. Je n’ai pas voulu insister, je suis partie, avant mon départ il m’a demandé de ne rien dire de tout ça. J’ai fait comme si de rien était, je l'ai laissé comme si l’on avait passé un bon moment. Le long de la route, j’ai pleuré, beaucoup pleuré … Je me suis arrêtée pour me calmer avant de rentrer, et ne pas laisser de trace de ma rage, ma tristesse sur mon visage. Je ne voulais pas le dire, j’avais peur des représailles, des histoires que ça allait faire si j’en parlais. Maman et papa n’étaient pas du genre à ne rien dire et à se laisser faire … Donc je me suis tue, je suis rentrée, maman m’a demandé si cela s’était bien passé. J’ai dit oui, elle m’a questionné sur ce qu’on avait dit, j’ai dit on a parlé de tout de rien … C’était plus simple, et personne n’aurait d’histoire. Au fond de moi j’étais effondrée, comment pouvait-il parler de maman comme ça ? Comment pouvait-il être aussi méchant ? Il ne m’aimait pas pour oser me dire des horreurs pareilles. Tout un tas de questions me venaient, ça me rongeait mais j’ai continué dans le silence. Au bout d’une semaine, maman me trouvait différente, morose, avec le regard vide et triste. Ce matin-là, elle m’a dit « je sais que quelque chose ne va pas, depuis une semaine tu n’es pas la même, je ne te reconnais pas. Que se passe-t-il ? »

 Sur le coup, j’ai nié, je me suis retournée d’elle car les larmes montaient aussitôt. Elle a insisté, j’ai craqué, j’étais en larmes et je lui répétais que je ne pouvais rien dire, que je n’avais pas le droit. Maman s’est alors inquiétée, car elle ne m’avait pas vu en sanglot depuis un long moment. Elle a ajouté « ça doit être grave pour que tu sois dans cet état ». Je lui ai répété que je ne pouvais rien dire.

 Elle a encore insisté, je ne pouvais plus mentir, c’était trop pour moi, je n’avais que 15 ans, pourquoi m’avait-il dit ça à moi ? J’ai tout déballé … tout, mot à mot, car ça passait en boucle depuis une semaine dans ma tête, je n’avais rien oublié de ses paroles aussi ignobles les unes que les autres. Maman était furieuse, pas pour ce qu’il avait dit car elle savait qu’il ne l’appréciait pas, mais pour m’avoir mis tout ça en pleine face, alors que je n’y étais pour rien, et qu’à cause de lui j’avais été très mal autant de jours, pire encore qu’il m’eût demandé de rien dire. Papa a tout su dans la foulée … Il a téléphoné à son père directement sans attendre … Il ne l’a pas laissé parler, il était dans une colère noire aussi. Il a mis un trait sur leur relation. En raccrochant papa a dit qu’au moins il ne nous dirait plus rien de mal. Je me sentais mal à l’aise d’avoir créé ce conflit. Je culpabilisais beaucoup, papa et maman m'ont dit que ce n’était pas ma faute, que j’avais bien fait de le dire, que c’était sa faute à lui, qu’il n’avait pas à dire ça et encore moins à sa petite fille. De ce jour-là, il n’a plus mis un pied à la maison. Le pire dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment il ne m’a manqué, avant ça on ne le voyait déjà pas, ça ne changeait rien à notre vie … Sauf pour papa, c’est pour lui que j’avais de la peine, il n’avait plus sa maman depuis des années, et maintenant plus de père.

 J’ai compris après cette histoire, que la venue de maman dans la famille Guillon n’avait pas été apprécié, le mariage encore moins, et que la mort de l’ex-femme de papa n’avait jamais été digérée. Qu’avais-je avoir dans tout ça moi ? Qu’est-ce que j’avais fait pour mériter d’entendre tout ça ? J’étais la fille d’une femme détestée je pense tout simplement. Avant ma naissance, à l’époque où ma maman n’arrivait pas à avoir d’enfant, ce même homme avait dit que même ça elle ne savait pas faire … Je crois qu’il n’a jamais eu de cœur … Même ma mamie a été mal traitée, il profitait de son extrême douceur et gentillesse ! J’avais aussi compris pourquoi je n’avais jamais eu d’affinité avec lui, quelque chose me repoussait chez lui … et vous verrez par la suite qu’il n’y a pas eu que ça malheureusement.

Quand je vous ai dit que cette année avait été mouvementée, c’était vraiment sur tous les points … J’ai été chahutée de toute part, je ne comprenais pas pourquoi, je n’étais pourtant pas une mauvaise fille … Je me suis posée beaucoup de questions, que je laissais sans réponse, mais à chaque coup tordu ou coup dur c’est comme si on me martelait encore et encore pour m’enfoncer. Comme si on creusait peu à peu ma tombe. J’avais une impression de ne pas être à ma place nulle part, je me sentais terriblement mal. J’écrivais énormément à l’époque, mais autant vous dire que les poèmes étaient très tristes même lugubres …

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