L'incompréhension, la colère

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 Nous sommes en 2002, ma sœur est encore un bébé, en février nous sommes partis en Espagne, ce fût la dernière fois. Alors qu'on partait très fréquemment là bas avant. Nous avons passé de supers vacances, C'étaient les premières depuis l'arrivée de ma soeur. Après ça, je n'ai pas vraiment de souvenirs de cette année, jusqu'à Juillet. Je ne saurais donc vous dire à quel moment les choses ont changé, à quel moment tout a dérivé … Je voyais maman moins bien, je me rappelle, j'entendais souvent des mauvais mots de mauvaises phrases entre mes parents. Tous les ans, depuis mes dix ans, nous partions les jours de fermeture du restaurant ainsi que les vacances dans un camping à environ une heure de chez nous. Un endroit très chaleureux, qu'un ami de mes parents de l'époque nous avait fait découvrir et que nous avions adoptés. L'occasion de s'évader souvent, pas très loin. Nous étions bien là-bas, tout le confort, un grand lac, une belle plage, des jeux, une piscine … tout était très bien.

 Je me souviens d'un soir, nous mangions sous l’auvent de la caravane, c'était une belle fin de journée ensoleillée … Mais ce jour-là, ça a été la dispute de trop entre mes parents. Je me rappelle très bien la discussion, maman m'expliquait pourquoi elle écrivait son prénom, qui est Isabelle, avec un seul L, donc Isabel. C'était une question banale qui partait sur un échange d'opinions … Puis papa, a lâché comme une bombe, des paroles qui m'ont marqué « tu devrais l'écrire avec deux L (ailes), tu t'envolerai mieux ». Maman s'est enfermée dans le silence et s'est enfermée dans la caravane. J'ai senti dans son regard tellement de désespoir, de tristesse, ça m'a procuré des frissons inexplicables … Je me suis retournée, par la fenêtre elle m'a fait un signe de la main disant au revoir, et là j'ai compris … Comment ? Je ne sais pas, je n'avais jamais été confrontée à ce genre de situation mais ça ne me disait rien de bon.

 J'ai dit à papa, que maman n'allait pas bien, qu'elle allait faire une bêtise, il m'a répondu avec un simple « pffffff ». J'ai attendu un peu, j'ai débarrassé sagement, j'avais dit à mon frère d'aller jouer, ma sœur était petite donc n'avait pas eu de réaction particulière, elle dormait il me semble. Papa faisait sa vie comme si de rien était, mais moi, au fond je savais qu'il fallait aller la voir, elle avait fermé la caravane, il a fallu forcer la serrure pour entrer. Elle était couchée sur le lit, j'ai couru vers elle, en lui demandant ce qu'elle avait fait, car elle ne dormait pas, elle bougeait mais les yeux fermés de façon étrange. Elle m'a répondu, je pars dans un monde meilleur, et j'ai trouvé la boîte de comprimés qu'elle s'était procurée, je ne sais où mais très toxiques, elle pouvait mourir … J'ai appelé papa très fort, je tremblais, je pleurais … il a appelé les pompiers … En attendant, je tenais maman aussi consciente que possible. Nous avions éloigné mon frère et ma sœur de la scène. Elle me disait qu'elle était trop bien, elle planait tellement, elle me disait être contente de partir, qu'elle nous aimait … Mais moi, 13 ans, je me disais comment tu peux aimer et abandonner les tiens, tes enfants, si jeunes, ce n'est pas humain ! Au moment où elle ne me répondait plus, où elle s'en allait de plus en plus, les pompiers sont arrivés … On m'a fait sortir, j'avais à mon tour l'impression de l'abandonner ! Il fallait laisser faire les professionnels on me disait, et on ajoutait, ça va aller ne t'en fais pas. J'avais juste envie de leur dire, mais qu'est-ce que tu en sais toi, tu ne l'as pas vu, tu n'as pas été auprès d'elle quand elle s'éloignait du réel ! Les voisins du camping, les copains, essayaient juste de me rassurer … Mais à ce moment-là tellement de sentiments me traversaient qu'on pouvait me dire pleins de bonnes paroles, je n'écoutais plus … J'ai juste demandé où étaient mon frère et ma sœur. On m'a répondu, on s'en occupe, on reste avec eux.

 Une de mes copines et voisine de notre emplacement, m'a serré fort dans ses bras et m'a pris avec elle pour la soirée, on a rejoint ses amis. Papa avait donné sa permission. J'étais mal, je ne pensais qu'à ces images d'elle allongée sur ce lit. Une fois revenue à l'emplacement, papa était rentré, maman était sortie d'affaire, ils la gardaient pour la nuit, et le lendemain elle allait voir un psychiatre.

 J'avais tant de questions à lui poser, la plupart resteraient sans réponse, je me disais qu'elle ne m'aimait pas, qu'elle ne nous aimait pas assez pour vouloir mourir. Ma sœur avait que 9 mois, comment peut-on en arriver là ? A quoi pensait-elle ? Et pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?

J'avais de la haine, de la colère, de l'incompréhension, de l'amertume, de la tristesse, du désespoir … en trop pleins de sensations et d'émotions difficiles à gérer, surtout quand on a un papa qui ne laisse rien paraître et qui n'a pas eu l'habitude de nous cajoler ou consoler lors d'un gros chagrin … Mais là j'avais besoin de lui, besoin d'être rassurée par lui, qu'il me dise que quoiqu'il arrive ça irait à présent... Mais en vain. On a dit à mon frère que maman avait du aller à l'hôpital, mais qu'elle allait bien, qu'elle revenait demain.

 Maman est revenue le lendemain, elle s'est excusée pour son geste, elle ne sait pas ce qui lui a pris, et elle m'a pris dans ses bras en me disant je t'aime. Moi, je ne me sentais plus en sécurité, je n'étais pas rassurée, et elle ne m'avait pas appris à vivre sans elle ou même ce que je devais faire dans ces moments … Je n'étais pas préparée, mais nous ne sommes jamais prêts pour ça. Je me suis dit, c'est une erreur de parcours, elle ira mieux, ça va aller, j'avais surtout envie que ce soit comme ça notre avenir …

 Quelques mois sont passés, ce n'était pas le bonheur total, mais il y avait du mieux, enfin un semblant de mieux finalement ! C'était un soir, je ne me rappelle plus, c'était la même année ou 2003, mais pas plus … Nous mangions tous ensemble à l'appartement, une dispute éclate encore une fois entre mes parents, la violence des mots était tellement forte qu'elle résonne encore en moi aujourd'hui. Nous avons vécu de nouveau le même schéma que la première fois, maman quitta la table, avec ce même regard, cette même tristesse ...elle s'est dirigée vers leur chambre, a fermé la porte. J'ai tout de suite dit à papa « elle ne va pas bien, c'est comme quand elle a pris les cachets », il m'a répondu que non, ça allait passer. J'ai hésité une nouvelle fois pour aller la rejoindre, mais cette fois avec la peur de revoir la même chose que la première fois … Papa ne se levant pas, j'ai pris mon courage à deux mains, je me suis dirigée vers la chambre la peur au ventre, j'ai ouvert la porte, finalement ce n'était pas pareil, mais pire, elle avait le fusil sous le cou, à genou sur le côté gauche du lit, avec la photo de nous trois sur ses cuisses. Des sanglots coulaient le long de ses joues, son visage était trempé tellement ses larmes étaient intenses. Je me suis paralysée, il m'était impossible d'avancer jusqu'à elle, elle m'a dit de partir, de la laisser faire … J'ai hurlé, « papa ! Papa ! Viens, faut arrêter maman, elle a le fusil ! » Il a couru jusqu'à elle et lui a arraché l'arme des mains, en criant ! Maman nous a hurlé dessus, qu'elle voulait partir, qu'elle voulait mourir, que c'était son choix, qu'elle voulait plus de ce monde … Papa l'a relevé, l'a pris dans ses bras, je suis partie, elle a pris le temps de se calmer. Le mal était pourtant fait une nouvelle fois. Mon frère et ma sœur n'ont pas vu tout ça, ils ont entendu des paroles, aujourd'hui ils n'ont plus de souvenir de ce moment d'effroi, il n'y a que moi qui garde ces images en moi … un fusil planté dans son cou, des larmes, notre photo... Je ne pouvais pas croire qu'elle avait recommencé, je ne pouvais pas imaginer qu'elle était devenue si fragile, si triste, à tel point qu'elle voulait en finir avec la vie ! Nous avions beau être là, elle s'était battue pour nous avoir et elle voulait maintenant nous laisser seuls sur cette terre hostile ! Comment peut-on comprendre, comment doit-on faire pour empêcher cette envie indéniable de mourir … Après ça, elle a recommencé une troisième fois, Bien que papa eût caché le fusil, elle l'avait trouvé... c'est encore moi qui aie compris qu'elle allait recommencer ! Comme si elle et moi on était connectée, je la comprenais du regard … Ses yeux tristes, abattus qui ne me trompaient plus … Encore une fois, j'ai appelé papa, qui est allé à son secours. Mon avis à moi, ayant vécu la situation, malheureusement les trois fois, ce n'était aucunement prémédité, elle n'en a jamais parlé, et surtout aucun mot juste ce regard que seule moi comprenait … Si je n'avais pas réagi à chaque fois, elle ne serait plus là ! C'était donc de vraies tentatives de suicide !

 À la suite de ça, elle s'est reprise en main, a été suivie de plus près, elle a juré ne pas recommencer, qu'elle avait compris qu'on avait besoin de notre maman. Elle a ajouté à la fin, qu'elle ne ferait plus rien au moins jusqu'à ce qu'on soit grand et qu'on est tous réussi. Je n'ai encore pas compris son raisonnement, on a toujours besoin de sa maman, qu'importe notre âge, grand ou pas, réussite ou pas, une maman reste le premier pilier de notre vie, qu'en pensez-vous ?

 Je n'ai rien répondu, je savais que je perdrais du temps à argumenter, elle voyait la vie comme ça à cet instant, je me suis dit, si on l'aime fort, qu'on la rend fière, elle changera peut-être d'avis …

 J'avoue qu'il est difficile de vivre sans savoir si elle tiendra le coup, si je serais là pour la «sauver » la prochaine fois, tout un tas de questions encore qui me hantait l'esprit chaque jour, chaque soir en lui disant bonne nuit et en lui répétant tous les soirs à quel point je l'aimais. Les deux dernières fois, le lendemain j'étais au collège, comme si rien ne s'était passé. Je n'arrivais pas à parler de tout ça, je n'avais pas assez confiance en mes copines pour me livrer à ce point. J'étais une personne méfiante depuis ma CM2, je ne me confiais pas, je restais sur des discussions simples, cependant, les autres se confiaient à moi. Personne n'était donc informé de ce qui arrivait chez moi, que j'étais devenue la gardienne de ma maman. Elle m'en a voulu de l'avoir trouvé, de l'avoir compris, et donc de lui avoir sauver la vie … Pour la sauver j'aurais dû la laisser mourir … J'avais ce poids sur la conscience. Je ne l'ai pas sauvé alors ? Elle ne sent pas mieux ? Elle n'est pas libérée ? Je ne savais plus quoi penser, quoi faire, c'était trop dur, mais je ne disais rien et faisais comme à mon habitude, la forte de la famille, la façade pleine de sourires !

 Ce que j'ai à dire sur le sujet du suicide est très personnel, mais étant une partie importante de mon adolescence, et étant passée pour tous les sentiments ainsi que toutes les émotions possibles et inimaginables, j'ai la certitude que je peux en parler avec assurance aujourd'hui.

 A l'époque et pendant de nombreuses années, j'ai trouvé que cet acte était d'un égoïsme, d'une stupidité, et surtout d'une lâcheté incroyable ! Certaines personnes restent sur cette opinion, et je peux dire que je les comprends totalement malgré mon changement de vision au fil du temps. A présent, après avoir vécu le suicide de près ou de loin, avoir eu des personnes qui ont perdu des proches de cette façon, et de la manière dont certains d'entre eux passent à l'acte, je me suis dit qu'il fallait beaucoup de courage au contraire pour aller au bout. C'est une première chose qui a changé dans mon esprit, on peut en parler, oser dire je vais me suicider, mais c'est tout autre chose de passer à l'acte vraiment.

 De plus, après avoir longtemps réfléchis sur le sujet, mais aussi après m'être beaucoup informée sur le psychologique, le cerveau, les émotions depuis des années. J'en suis arrivée à une opinion qui m'est propre certes, mais qui peut être pourra vous aider, si vous avez eu des personnes autour de vous qui sont partis de cette manière. Cependant, il n'en reste pas moins qu'elle est très violente et difficile à vivre pour ceux qui restent. Mettons-nous quelques instants dans la peau d'une personne à bout, qui ne pense plus qu'à ça, qui ne s'aime pas, qui n'aime plus ce monde cruel, qui voit noir quoiqu'elle fasse, qu'importe avec qui elle est. Imaginons-nous vraiment la situation, il faut se mettre à leur place, dans le non-jugement et objectivement. La conclusion qu'elle fait de sa vie, c'est « je suis nulle, je suis une moins que rien, je n'apporte que du malheur autour de moi, je ne mérite pas de vivre, je fais du mal aux gens qui m'aiment … etc. ». Elle pense donc, et en est même persuadée que sans elle, le monde se portera mieux, et que ce sera un soulagement pour ses proches. Dans sa tête, elle permet de redonner vie aux personnes qui tiennent à elle. Je ne dis pas que c'est une bonne chose, mais quand on en est là, et qu'on est obsédée par ça … On peut arriver à se convaincre qu'on doit passer à l'acte. Alors égoïste ? Pas égoïste ? Pour la personne suicidaire, non, pour les personnes qui restent, ça peut l'être et le rester … Est ce notre égo qui parle ? Est-ce notre cœur ? Notre façon de voir la vie ? Si l'on reste dans le non-jugement, on peut se dire, c'était son choix, c'est très dur, mais la seule façon de continuer à vivre, c'est d'accepter.

 Je tiens à préciser, que je ne cautionne pas du tout ! Que ce n'est pas une solution et que la vie vaut la peine d'être vécue ! Ce paragraphe était juste dédié à des personnes qui ont perdu des personnes chères par le suicide.

 En revanche, pour ceux qui ont cette pensée, relisez le paragraphe ci-dessus, mais en vous disant que l'on peut changer le monde, et que comme les personnes peuvent accepter ou pardonner le suicide, vous qui avez ces idées noires vous pouvez vous dire que tout ce qui est marqué avant, c'est la façon de penser que l'on a quand on est au plus bas, mais qu'en aucun cas c'est objectif. C'est totalement biaisé et amplifié par les énergies négatives qui émanent autour de toutes ces pensées ! Il est difficile de remonter la pente, d'avoir des pensées positives, mais difficile ne veut pas dire impossible … Et dites-vous, que personne ne vivra mieux sans vous, personne ne sera soulager de votre mort, au contraire, ça laisse des traces indélébiles dans l'âme et le cœur. Parlez ! Osez dire « je ne vais pas bien », il n'y a aucune honte à passer par des étapes plus compliquées que les autres qui nous semblent insurmontables ! Mais rien ne l'est, c'est votre mental qui se créent des barrières fictives et vous empêchent de voir plus loin, plus haut. Seul, on peut aller vite mais ensemble on va bien plus loin !

 J'ai voulu parler des deux visions, car il est important de comprendre, d'imaginer ce qui peut se passer dans la tête de chacun, même si nous sommes tous différents et vivons tous les événements de la vie de notre propre manière. L'empathie est une belle qualité dans ce monde, pouvoir se mettre à la place des autres en leur laissant leurs émotions, ce sont des sentiments qui leur appartiennent. Mais de pouvoir comprendre, sans pour autant compatir, ni ressentir, permet de les aider à s'en sortir, et d'avoir aussi une ouverture d'esprit qui nous laisse prendre les choses comme elles sont. Il y aura toujours des personnes qui passeront à l'acte, d'autres qui seront sauvés mais qui recommenceront encore et encore, et enfin ceux qui se feront soigner et auront envie d'avancer. Soyez toutes ces personnes et aucune à la fois, juste dites-vous, je peux comprendre, je peux tenter d'imaginer mais par-dessus tout n'abandonnez pas ! Il y a une solution à tout problème, ça demandera peut-être du temps, beaucoup de patience et de courage, mais les efforts priment toujours ! 

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