Une simple erreur.

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C'était une erreur. Une ridicule et stupide erreur. 

Voilà maintenant trois jours que je reste prostré dans mon bureau. Le manque de sommeil rend mes mains tremblantes. Cela n'a plus d’importance maintenant... Je ne sais pas si j'écris pour me confesser ou pour me dédouaner. Le fait est que j'avais mes raisons ! Je SAVAIS ce que je faisais, je CONNAISSAIS les risques ! J'avais enfin trouvé l'institut parfait : loin de tout, un personnel vieillissant et docile, ainsi que des sujets des patients qui ne manqueraient à personne.

Analyser les tréfonds du cerveau humain, tel était mon rêve. Comprendre la plus formidable machine jamais égalée par l'homme lui-même. Après tout, n'est-ce pas là le but de mon métier ? Comprendre mes cobayes patients, c'est ce que l'on m'a appris. Alors comment voulez-vous que j'y arrive si tout n'est qu'hypothèse ? Je devais aller plus loin, trouver l'engrenage de l'humanité !

Et j'ai réussi. Oh mon Dieu ! J'ai réussi. Quelle horreur, c'est fantastique.

Il aura fallu sept corps. Sept tentatives. Ils peuvent s'estimer heureux, ils sont morts pour la science, et tous étaient déjà réduits à l'état de légume ! Le premier essai était tout sauf un pas en avant, on ne réussit jamais du premier coup. Surtout pas dans mon domaine. Mais le dernier... une vraie merveille, un vrai monstre ! J'ai soigneusement consigné chaque détail, mes notes sont rangés dans le dernier tiroir de mon bureau si quelqu'un d'aussi visionnaire que moi trouve mes écrits, ou si l'autre ne les trouve pas avant bien sûr. Auquel cas j'aurais vraiment marqué l'histoire de la médecine...

J'ai dit sept, mais c'est faux. Il y en a eu plus mais j'ai occulté les expériences inutiles et mes petites fantaisies. Je me demande ce qu'il a fait d'Héléna, l'infirmière. Je la conservais dans la chambre froide près de la salle d'opération pour quand j'avais des... envies. Je ne suis pas du genre patient. Il m'arrivait de temps en temps de piocher dans le personnel, ces imbéciles avaient sans doutes trop peur de moi pour tenter quoi que ce soit. Dommage pour eux, ils seraient encore en vie. J'ai toujours préféré pratiquer seul. Cependant, j'avais tout de même réussi à me trouver un assistant : le docteur Tobias Hualbec. Un esprit brillant, vraiment, surtout depuis qu'il baigne dans le formol. C'est le numéro cinq, j'ai beaucoup avancé grâce à lui. 


Je commence à avoir très faim. Heureusement, la fontaine à eau n'est qu'à moitié vide. 

Je crois qu'il a commencé les expériences, j'entends des cris depuis quelques temps. Quel formidable intelligence ! Dés le premier instant où ses grands yeux se sont ouverts, j'ai su que j'avais mis dans le mille. L'ajout des prothèses était nécessaire, je n'appréciais pas trop le style mais cela fonctionnait à merveille. Il m'a tout de suite regardé. Attention, pas comme les autres qui se contentaient de suivre le son de ma voix en grimaçant et éructant comme des poissons hors de l'eau ! Là c'était différent, il comprenait. Il ne ressemblait plus à la pauvre chose grelottante dans sa cellule que j'avais du sortir par la peau du cou. J'avais en face de moi une créature dangereusement intelligente, mais muette. Ça, je ne saurais pas l'expliquer, il n'a jamais voulu émettre le moindre son. Quelle erreur j'ai fait de l'avoir détaché. Je lui avait donné la vie après tout, il me devait le respect ! Il m'a assommé d'une seul main et je me suis réveillé dans mon bureau, la porte fermée de l'autre côté. Je pourrais facilement m'échapper mais à quoi bon ? Il le sait, j'en suis sûr, je suis si fier de lui. 


Il l'a fait ! C'est inconcevable mais il l'a fait ! Maintenant, il y a un garde devant ma porte ! C'est l'un des patients. Il me fixe jour et nuit à travers le carreau. Sa tête blafarde est parfois parcourue de spasmes violents et il lui arrive de crier. Le plus intriguant, ce sont ses yeux. Ils roulent sans arrêt jusqu'à ce que je bouge ne serait-ce qu'un cil, là il me scrutent avec une vigilance sans faille. Je me demande quels progrès l'autre va encore accomplir. 


Ils sont tous là ! Pourquoi fait-il ça ? Il n'avait besoin que d'un seul gardien ! Pourquoi vouloir à tout prix me montrer leurs visages décharnés ? Ils défilent, les uns après les autres à travers la vitre. Ils me fixent, on dirait qu'ils me jugent. Pourquoi fait-il ça ? Et ce bruit, c'est insupportable ! Ils rient aux éclats, ils chantent, ils pleurent, ils hurlent !


Je n'en peux plus ! Leur colère, leur douleur. Ils me haïssent ! Pourquoi fait-il ça ? Je les entends dans mon esprit, dans mon sommeil, je vois leur faces déformées s'agiter en tous sens, leurs dents noires claquer, leurs membres désarticulés gratter, frapper contre la porte. Pourquoi ne te montres-tu pas ? Qu'est-ce que tu veux ?

De la colère, de la haine. Désormais je ne quitte plus le dessous du bureau. Je suis en sécurité ici. Je les entends mais ils ne peuvent pas m'atteindre !


Les grattements sont plus proches, je sens l'odeur âcre du formol me brûler la gorge. Tant que je reste caché, ils ne m'auront pas. Mon territoire est désormais cette liasse de papier. Le reste du monde n'est plus que râles et hurlements de désespoir. Je suis en sécurité.


Ils sont là ! Il est là lui aussi ! Ils me jugent ! Penchés sur moi comme des vautours, leurs yeux sans âme braqués sur mon visage. Je ne dois pas dormir, ils gagnent du terrain quand je m'endors, ils pénètrent mon cerveau, me lacèrent l'esprit. Leurs ignobles doigts peuvent presque me toucher. Je ne dois pas dormir, je ne dois pas dormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirjenedoispasdormirje                                           


Après plusieurs semaines sans nouvelles de la clinique du château du Tremblay, la police a été envoyée sur les lieux pour enquêter. Tous les détails de l'enquête n'ont pas été fournis à notre rédaction, mais il semblerait que le directeur ait été retrouvé mort attaché sur la table de l'ancienne salle d'opération de l'hôpital. La cause de son décès semble être due à une trop forte injection de psychotropes. Encore plus étrange, tout le personnel et une partie des patients semblent s'être volatilisés. (suite page 4)

 

  

 

            

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