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Yséov reprenait pied dans la réalité. L'homme à cet instant fût extirpé de la cellule sans ménagement. Elle souhaita intervenir, elle ne bougea pas d'un iota, se contentant de fixer d'un regard brumeux cette scène pour elle irréaliste.

Je vais me réveiller, c'est un cauchemar.

Ce fut sa première pensée. Comme elle aurait voulu que ce soit le cas. Mais diverses douleurs lui rappelèrent sa condition. Principalement un élancement régulier qui pulsait à l'intérieur de son crâne. La femme grimaça. Une vive colère la submergea, ce qui eut pour effet immédiat d'accentuer sa migraine. Elle s'exhorta au calme, sachant qu'il ne servait à rien de s'énerver, tant qu'elle n'aurait pas une visibilité plus précise de sa situation, (cela dans tous les sens du terme.). La femme resta donc là, le visage appuyé contre la roche fraiche, les yeux fermés ; elle tenta d'oublier sa rancœur.

Peu à peu, Yséov retrouva un certain calme, son mal de tête reflua. Elle commença à examiner son environnement. Après cette observation, elle éprouva les entraves qui liaient ses mains, beaucoup trop solides à son goût. L'anneau rouillé auquel elles étaient reliées, s'avéra tout aussi indestructible. La femme, avec désespoir, tira dessus plusieurs fois, pour s'en convaincre. La fureur, une fois de plus, montait en elle. Cette dernière fut interrompue par une intonation vocale soudaine, elle se figea, devina l'urgence dans les modulations, attentive, elle ferma les yeux et les analysa…

*

C'est avec brusquerie que le captif fut jeté à ses pieds. Aleei, conciliant, se mit à sa hauteur, avant de l'examiner avec attention. Son étrangeté le fascinait, il ne le trouvait pas laid ; par contre, il le pensait dangereux. Toutefois, il recula légèrement et ordonna au guerrier de détacher le prisonnier. Il attrapa le sac et demanda ensuite, à l'homme, ceci par de nombreuses mimiques, de l'ouvrir.

Le prisonnier n'avait pas besoin des grimaces de l'autochtone pour comprendre, mais il fit l'idiot et secoua la tête en écartant les bras dans un geste d'impuissance. Le nocturne assena au récalcitrant un coup de poing au visage ; ceci avec une force peu commune. Le captif eut l'impression qu'on lui dévissait la tête, il fut projeté en arrière.

Avec effort, il se redressa, un mince filet de sang coulait de son nez. Aleei sentit la colère émaner de l’être diurne, et remarqua que les singulières pupilles d'argent étincelaient. Sans se laisser impressionner, il désigna de nouveau l'objet de sa convoitise. Cette fois, l'homme ne chercha pas à s'opposer davantage, il s'en saisit et défit, avec une certaine lenteur d'ailleurs, les boucles qui le fermaient. Au demeurant, sa main glissa à l'intérieur, trop rapidement pour qu'Aleei comprenne ce qu'il manigançait.

Le prisonnier sortit hâtivement un objet brillant qu'il pointa sur lui en se redressant vivement et en envoyant la besace dans la face du second nocturne. Cette réaction rapide et inattendu prit totalement le chef au dépourvu, au moins quelques secondes. Brusquement, il hulula un appel à l'aide.

*

L'homme, sachant qu'il n'aurait sans doute pas d'autres opportunités, avait réagi vivement. Redécouvrant, en cette occasion, ses réflexes de soldats, endormis par plusieurs jours passés à se calfeutrer. D'ailleurs, il se demanda brièvement pourquoi, en quittant la bâtisse, lui et Yséov avaient laissé leurs armes au fonds des sacs. Cette pensée fut interrompue par le cri d'alerte du chef. Sa réaction fut instinctive ; il tira ! La créature s'écroula puis sombra dans l'inconscience…

Il n'eut pas réellement le temps de regretter son geste, ni l'occasion, de vérifier si l'autochtone était toujours vivant. Sa priorité ? Délivrer Yséov, quitter ces lieux dangereux, en bref remonter à la surface. (Restait à savoir de quelle manière). Il récupéra les sacs et quitta le logis du chef sans demander son reste. Aussitôt, il fut confronté à une opposition ; de nombreuses créatures se ruèrent dans sa direction. L'urgence ainsi que l'adrénaline décidèrent pour lui ; il fit de nouveau usage de son arme. Ainsi se traça-t-il un chemin jusqu'à sa compagne, sans savoir que plus tard, il regretterait cette action meurtrière.

*

La détonation surpris Yséov. Elle sursauta, fixa l'entrée de sa prison. D'autres déflagrations résonnèrent dans les habitats troglodytes, elle n'eut plus de doute. Son compagnon, d'une façon ou d'une autre, était parvenu à se libérer. La gorge serrée, elle entendait les gémissements et les hurlements de rage et de douleur des troglodytes. Son compagnon, habituellement si modéré, perpétrais un massacre. Elle en fut inquiète, car cela ne lui ressemblait pas.

Dire qu'il m'a reproché d'avoir détruit ce robot !

Cette pensée, plus préoccupée qu'amère, jaillissait dans son esprit. L'homme à cet instant arrivait dans sa prison. Il la libéra de ses liens, lui jeta un des sacs.

— Inutile de moisir ici ! lança-t-il ensuite.

Elle ne chercha pas à protester d'une quelconque manière, elle obéit et le suivit hors de la cavité, son cœur, de peur, battait à tout rompre.

*

Après avoir quitté le bosquet, la gynoïde gagna la route antique. Elle la suivit sur plusieurs mètres, avant de bifurquer sur un sentier poussiéreux. Celui-ci grimpait et sinuait sur le flan d'une colline de pierres et de terre altérée. 6A42 parvint rapidement à son sommet et embrassa du regard un paysage désolé qui ne manquait pas d'une certaine grandeur. Le lit d'un fleuve asséché étirait ses méandres assoiffés au cœur d'une forêt fossilisée. La sylve figée lançait ses arbres carbonés en direction d'un ciel incendié par un soleil impitoyable. Il ondoyait dans l'azur voilé de chaleur ; la température dépassait allégrement les quarante degrés. Sans paraitre incommodée, la robote descendit le versant sud du coteau dénudé et s'engagea dans le canyon aréique.

Chacun de ses pas soulevait des volutes d'une poussière séculaire qui se collait à son crâne enturbanné et poisseux de liquide cérébral. Elle n'en avait cure et poursuivait sa route, inlassablement. Enfin, la gynoïde repéra l'anfractuosité qu'elle cherchait, à peine plus grande qu'un corps. Pourtant, sans réel problème, elle y glissa le sien. Passant ainsi d'une clarté aveuglante à une obscurité opaque.

Sa vue électronique s'adapta très vite, 6A42 se retrouvait dans un couloir étroit. Du plafond pendait de longues racines cassantes qu'elle écarta d'un revers de main, un peu de terre tomba. Elle porta son attention sur le passage qui dégringolait vers les profondeurs de façon abrupte, rien qui ne puisse la faire dévier de son objectif. Déterminé, elle avança et commença à descendre, les ténèbres l'enveloppèrent.

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