Tu te laisses porter par le courant. À force de voyage, tu as appris à communier avec ces eaux tumulte-tueuses, elles ne te font plus aussi peur ; tu as même appris à les aimer, à apprécier chacun de ces remous porteurs d’aveux, emporteurs de doutes.

L’horizon n’est plus ce que tu as connu : une peinture déchirée, aux morceaux épars, ici un sommet enneigé se retourne, détaché de ses fondations ; là c’est le désert qui semble courir dans le ciel, recouvrir la forêt.

Le fleuve sur lequel tu navigues s’est même perdu, flottant entre deux gouffres infinis.

Voilà que tu croises le chemin du vieux moulin, sa roue vaine tournant dans le vide.

« Curieux voyage n’est-ce pas ? »

C’est la Grenouille qui t’interpelle. Il poursuit sur un ton prosaïque.

« On ne peut jamais vraiment savoir où la rivière file, où s’éteint le vent. Lors l’on vague entre deux espoirs, l’on vaque aprés deux peines, et finalement, nous ne sommes que des feuilles fauves sur les flots naïfs. Et l’on va là où meurt le Soleil. »

Face à toi, l’immense Orbe d’Or a déjà commencée à grignoter le paysage, à s’effondrer sur le lointain ; cette ligne discontinue, convolue, qu’a dessiné le Monde.

« Je crois que nos chemins se séparent ici, il me reste un peu de bile, un peu de fiel à partager ci et là. Et toi, tes lèvres brûlent des questions que tu as à lui poser. Adieu, Εἰςβῠσσόν, celui qui marche nu et perdu. »

Alors la rivière s’écharpe en chemins jumeaux, sentiers en désamour.
La Ranide disparaît sans se retourner, grain de poussière rouge dans l’onde indolente.
Et te voilà si proche de Sa lumière cuivrée. Cette flamme rouille te lime follement, et ta peau obsidienne s’égrise et s’oxyde jusqu’au sang.

Si proche.

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