Chapitre 25 :

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On doit aller vite. Césars utilise son pouvoir. Le temps s’est arrêté et il fait en sorte que je puisse bouger. C’est déroutant d’être la spectatrice mobile au lieu de le subir. Je ne peux pas m’étonner plus que cela. S’il a ralenti le temps, c’est pour que je ne sois pas repérée pendant le trajet. On s’éloigne pas mal de la grange dans laquelle sont Nathanaël et Gérard. Puis je pénètre dans un bâtiment plus confortable, et je vois Philippe. Il est inconscient et branché à de multiples machines. Je trouve cela étrange qu’ils y ont accès alors qu’ils semblent vivre assez pauvrement. Une jeune fille est à ses côtés et elle relève la tête. Elle a la même couleur de peau que Césars et ses cheveux noirs forment une grosse touffe. Elle est jeune. Lorsqu’elle s’approche je remarque qu’elle n’a pas de jambes. Elle n’a pas de cuisses non plus, ni de pieds. Son corps est constitué sans la partie inférieure. Elle avance en lévitant.

Voici ma petite sœur Sarah. Elle a 15 ans, et comme tu peux le voir… elle fait partie des personnes touchées par le changement, informe Césars en refermant la porte.

Je tente de ne pas la regarder bizarrement pour ne pas la rendre mal à l’aise, mais c’est compliqué. J’ai grandi dans un endroit où tout devait être normal. La moindre anomalie envoyait la personne dans l’asile. Alors qu’ici… notre anormalité paraissait banal. Peut-être que la normalité n’existait pas au fond. Sarah peut décider d’être plus grande ou plus petite que moi. Elle se dresse à ma hauteur. Elle s’approche de moi et me tourne autour.

Elle a l’air solide pour une personne qui vient des bunkers. C’est étonnant, affirme-t-elle avec un sourire.

Constance n’est pas comme les autres. Elle a une capacité aussi, et sait pour cela qu’elle est là, argue Césars en me faisant signe d’avancer.

Penses-tu vraiment qu’elle est capable de réveiller son… cet homme ? Darwin était puissant, le plus puissant qu’on connaisse. Elle n’est pas à sa hauteur.

C’est ce qu’on va voir.

Je n’ai franchement pas l’habitude de voir des querelles entre frère et sœur. Généralement, j’en faisais partie et je n’avais pas un point de vue extérieur. C’est donc étrange pour moi. Au final, c’est gênant et amusant à la fois.

Je me demande comment je dois m’y prendre… je n’ai sûrement pas beaucoup de temps. Je me remémore tout ce que j’ai fait auparavant… les pensées. Mais même en me concentrant, je n’entends pas celles de Philippe, que celles de Césars et Sarah. Le contact en essayant de pousser des pensées vers lui… je ne sens pas le picotement habituellement. Je serre la mâchoire. Non ! Non, il y a forcément un moyen de le faire revenir si on l’a fait partir de la sorte ! Je ne peux pas laisser cela comme cela, ce n’est pas juste pour lui ! J’entends Sarah dire à son frère qu’elle a raison et je ferme les yeux en me cramponnant fermement aux bras de Philippe. Il fait noir, et je cherche une faille. Je ne m’étais pas vraiment rendue compte hier comment se produisait le processus. Je me demande si c’est pareil… je cherche une faille. Tout est noir, puis je cherche, encore et encore. Je ne sais pas combien de temps cela dure, mais j’insiste. Je dois le sauver.

Dans ce noir complet, je repère un minuscule point blanc. À partir de ce moment-là, tout s’enchaîne vite. Le point grossit de plus en plus comme s’il allait m’aspirer. Et je me laisse faire en me souvenant que c’était la même sensation qu’hier. Je pénètre dans un endroit blanc. Il ne fait pas mal aux yeux, comme si aucune lumière n’y arrivait. Comme si… il n’y a aucune trace de vie ici. Cette fois, il n’y a pas d’images. Rien, absolument rien. J’ai froid, je frissonne je crois mais je me sens déjà hors de mon corps. Je m’enfonce si profondément dans l’esprit de Philippe que je ressens pour la première fois le fil qui lit ma conscience à mon corps. Il s’étire, et j’espère qu’il ne peut pas se briser. Mais plus je m’éloigne, moins je ressens mon enveloppe corporelle. J’essaye de faire abstraction de ses peurs en m’enfonçant encore plus. Si Sarah ou Césars parlent, je ne les entends pas.

Je ressens une douleur, dans la tête. Alors même en sortant de mon corps je ressens la douleur qu’il ressent.. c’est con, j’aurais aimé ne pas la ressentir. Ce n’est pas la douleur habituelle. D’habitude la souffrance est marquée par les pensées qui se répètent en boucle, mais il n’y en a pas. Donc, elle provient peut-être de l’effort… j’espère que ce ne sera pas trop dur, je ne peux pas m’arrêter. Je finis par voir de petites particules… mais où dois-je aller ? Je n’en sais absolument rien. Je vois quelque chose qui se démarque. Une forme qui n’est pas ronde comme le reste. Elle a la forme d’une coupure. Comme s’il s’agissait d’une blessure. Césars a dit que quelqu’un avait fait ça dans la tête de Philippe ! Je ne réfléchis pas plus longtemps. Mais je bute contre. Elle ne m’aspire pas. Je l’observe, elle n’est pas comme les autres : les particules que j’ai vues sont noires mais comme, illisible. Cette sorte de faille est rouge, comme une blessure toute fraîche.


Je dois y rentrer. Absolument.


Je ne sais pas de quelle manière m’y prendre. Comment dois-je procéder ? C’est nouveau pour moi, je repousse les limites à chaque fois que j’ai une interaction de la sorte. Je suis forcément en mesure de faire quelque chose. Je me demande ce que mon corps traduit. Est-ce que je tiens toujours le bras de Philippe ? Ai-je fait une grimace de douleur ? Est-ce qu’un de nous hurle ? Philippe réagit-il d’une quelconque manière ? Je n’ai pas de signes à l’intérieur, donc pourquoi y aurait-il un signe à l’extérieur ? Je sens la douleur, encore plus présente, une véritable souffrance qui me rappelle que ce que je fais n’est pas normal et a des limites. Je fixe la faille inaccessible, je tends le bras et je vois des ongles sortirent peu à peu de cette faille. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Je me colle et la main sort suffisamment pour que je la saisisse. Elle me tire encore plus pour me faire rentrer. Mais une voix de l’autre côté : il n’y a personne.

Je rugis intérieurement. Quelqu’un m’a fait rentrer pourtant ! J’appelle Philippe, mais sans succès. Cela ne peut être que lui qui m’a fait rentrer. Ses souvenirs et lui sont emprisonnés dans cette partie de son esprit ! J’en suis certaine. Je réitère mais je n’obtiens toujours pas de réponse. Je ne sens plus le fil qui lit ma conscience à mon corps. Je n’ai plus cette sensation… s’est-elle rompue ou devenue invisible ? Je me redresse et contemple la nouvelle partie de l’esprit de Philippe : c’est un abysse. Je tombe, une chute libre éternelle, peut-être a-t-il atteint le fond ? Je vois des particules de toutes les couleurs voler autour de moi. Elles m’encerclent, elles m’attirent, elles m’appellent. J’en touche une par inadvertance, et je me sens aspirée dedans.


C’est un souvenir. Philippe était jeune et je reconnais l’asile. Il est dans une chambre, et je reconnais un jeune Gérard sur le lit d’à côté. Tous deux parlent en chuchotant, et la porte s’ouvre. On ne peut me voir et m’entendre, et c’est tant mieux car je cris de surprise. Mon père a mon âge. Il a une lueur dans son regard que je n’ai jamais vu auparavant… une lueur de détermination. Et il est dans l’asile. C’est mon père.

Grégoire, dis-moi que tu as du nouveau ?


Alors le vrai nom de mon père est Grégoire et non Christian.. ce que Gérard a dit est réellement vrai. Cela me perturbe encore plus. Mon père s’est caché lui-même pour pouvoir vivre et essayer de nous protéger Léa et moi. Sait-il encore qui il est ? Ton père est la personne la plus forte psychologiquement que je connaisse. Ses seules faiblesses sont son amour pour ta sœur et toi, et crois-moi, c’est tout à son honneur. Je crois sursauter. C’est un message direct de Philippe. Je me tortille partout, mais impossible de le voir. Je ne le vois pas. Je crois que je m’enfouis trop profondément maintenant. Non, je ne peux pas laisser faire cela. J’ai l’impression de me faire recouvrir par les images de souvenir. Je cherche un moyen de briser cette faille. Je serre un peu plus mes muscles, je pousse cette envie d’ouvrir la faille vers elle. Je crois qu’elle s’ouvre et la douleur devient plus vive.

La sensation du fil revient, et la douleur atténuée par mon éloignement ne l’est plus. Je me fais projeter encore de l’esprit de Philippe et je m’effondre par terre. La douleur s’empare de ma tête, l’incendie de l’intérieur. Philippe hurle si fort qu’on est sûr d’être repéré. Mais il se reprend et se tait. Je ne hurle pas, mais je me recroqueville par terre. Il y a une main sur mon épaule. Ce n’est pas la même la douleur que lors d’une crise : tout simplement car ce n’en est pas une. C’est une douleur due à l’effort. Après quelques moments, je rouvre les yeux. Le visage de Sarah apparaît devant moi et Césars m’aide à me relever.

Les personnes du bunkers sont vraiment plus fortes que je ne le pensais, observe-t-elle en m’adressant un sourire. Tu es hyper impressionnante !

Je n’ai pas de mots pour lui répondre. C’est très déroutant pour moi en ce moment. Je ne suis plus la même personne, en tout cas j’ai du mal à me considérer comme la même personne qui n’avait pas à vivre avec les pensées des autres dans ses oreilles et dans sa tête continuellement. Je me tourne vers Philippe. Il s’est débranché lui-même et me regarde. Il comprend ce qui s’est passé. Je le vois formuler des remerciements muets avec sa bouche. Je hoche la tête et une porte s’ouvre à la volée. Des gens hurlent en voyant Philippe. Je n’ai pas le temps de me retourner qu’on me tape avec un objet dur sur la tête malgré les protestations de Sarah et Césars. Et tout devient noir.

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