Chapitre 8 :

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Pendant qu’ils nous enlèvent les bracelets, je sens leur regard sur moi. J’ai envie de leur demander ce qu’ils pensent de moi, ce que l’avenir me réserve, mais je ne peux pas m’y permettre. Je n'ai pas le droit. Je sors de la salle et je vois certain qui me fixe en sortant. Je ne suis pas en pleurs comme la plupart des gens qui sortent d'ici d'habitude et Damien est juste fébrile. Il me suit lorsque je sors du secteur d'analyses et de tests. On peut descendre dans les sous-sols via l'entrée. Damien me dépasse et se met en travers de mon chemin.

— Tu vas trouver ce chef-là ? Tu comptes lui poser des questions. Es-tu consciente qu'il ne te fournira aucune réponse ?

— Peut-être oui, mais on ne sait jamais, affirmé-je. Puis, si mon père m'accoste, je pourrais peut-être soutirer des informations.

— Dans tes rêves sûrement, s'est un adulte comme tout le monde, je te rappelle de la partie des serments dans la cérémonie de ce soir. C'est sûrement pour cela, devine-t-il en m'accompagnant malgré tout. Tu auras du mal à savoir.

— Tu ne vas quand même pas me dire que tu n'as pas envie de réponses sur ce que l'on vient de voir !

Je cloue le bec de Damien et je passe. Malgré tout, il me suit. Si c’est un autre chef que Henry ou s’il y a des adultes qui ne supportent pas les gosses, on pourrait se faire virer, mais je tente le coup quand même. Puis au fond, Damien veut sûrement savoir l’origine de ces vidéos que l’on a regardées. Certains abatteurs s’occupent des plantations qui sont disposées en rangées verticales, dans le sens de notre venue. Je les observe un moment travailler alors que j’entends des cris d’animaux provenant d’un espace clos tout au fond.

Je tente de passer outre et cherche du regard Henry. Damien le trouve avant moi et me le pointe du doigt alors que je passe entre les rangées de plantations. Henry est contre la salle d’abattage. Mon père me repère sûrement mais pour le moment, avec cette masse de population, je suis incapable de l’identifier parmi eux. Peut-être qu’il est dans la pièce close au bruit horrible ! Je me fraie un chemin jusqu’à Henry qui surveille d’un regard ennuyé les autres s’activer, prêt à réagir si une émeute se forme. J’entends certains adultes pester de notre présence mais je les ignore. Ce n’est pas important, loin de là. Je suis assez petite pour pouvoir avancer vite et je suis obligée d’attendre Damien qui peine un peu plus. Je vois Henry se redresser un peu lorsqu’il me voit et me faire un faible sourire alors que Damien déboule de la foule puis on s’avance à sa rencontre.

— Constance ! cria-t-il. Tu t’es fait un ami à ce que je vois, ce n’est pas trop tôt ! Cela s’est-il bien passé dans la troisième salle ?

— Je n’ai pas pleuré, ni vomi, je suis juste tombée, déclaré-je alors que j’aperçus une lueur et une expression d’inquiétude chez Henry comme s’il sait ce que les analysateurs pensent de moi. Sauf que je veux savoir : ce sont quoi ses trucs ? Est-ce que… est-ce réel ? Comment cela peut-il être réel ? Qu’est-ce cela signifie ?

— Je ne peux pas te répondre, me lance le chef alors que Damien me jette un regard qui me demande d’abandonner.

— Comment cela ? Attends, commencé-je. Je ne comprends pas, on est censé regarder ces vidéos sans obtenir des explications juste après ? Ce n’est pas juste !

— Je comprends, assure Henry. Moi aussi je l’ai pris comme cela, comme tout le monde au fond. Mais lorsque tu prononceras le serment ce soir, tu sauras tout dans la semaine où tu commenceras ton affiliation. Je te le promets.

— Alors c’est réel, murmuré-je en reculant d’un pas. Comment est-ce possible ? Pourquoi ?

Le chef ne compte pas répondre à mes questions et me demande de partir. Je sens la main de Damien se presser autour de mon bras : il ne veut pas rester ici plus longtemps. Je décoche un regard noir à l’ami de mon père avant de partir mais quand je me retourne, j’entends la voir de mon père m’appeler. Damien pivote en fronçant les sourcils tandis que je vrille en serrant les poings. Mon père porte des gants en sang : il sort de l’endroit clos pour abattre les animaux. Il est déjà fatigué de devoir tenir cette conversation, je le vois à son regard.

— Constance…

— Pas ici, coupé-je. Ni maintenant. Après le travail, la cérémonie ne viendra pas dans l’immédiat, tu auras tout le temps de m’expliquer pourquoi tu m’as droguée à mon insu ! Absolument tout le temps !

En partant je me trompe d’escalier et j’en monte un second qui longe une salle avec des bruits étranges presque imperceptibles. Si la plupart des personnes ne l’entendent pas, moi et Damien si. On remonte vite et je retrouve ma salle pour un moment. On a besoin d’être seul. Je ne m’endors pas quand je m’allonge sur mon lit mais je ferme les yeux quand même. Les adultes dissimulent quelque chose au plus jeune, c’est évident. Mais quoi exactement ? Ces images sont donc bien réelles… Que signifient-elles ?

Pendant le repas du midi, j’ose ne pas m’asseoir avec mes parents mais avec Damien. On est seul à une table et on mange assez vite. On pense encore aux images, ce qui est totalement normal puisque nous sommes humains. Je me tords un moment pour observer ma famille. Mes parents me surveillent du regard alors que ma sœur est de dos. C’est prévisible. Je ne leur adresse rien et continue de manger dans le calme.

— Il se passe quoi exactement avec ton père ? se renseigne Damien entre deux bouchées.

— Il me fait surveiller par Henry et j’ai appris qu’il demandait à mettre des calmants dans ma nourriture. Et je ne sais pas pourquoi, réponds-je en terminant mon assiette.

— Sympathique…

Un plateau se pose à côté du mien. C’est Léa qui débarque à notre table. Les parents lui ont sûrement demandé de garder un petit œil sur moi. Elle me salue et fait connaissance avec Damien pour savoir qui il est. Je crois que cette intervention suffit au jeune homme pour être dégoûté des familles à vie. Pour me débarrasser de la surveillance imposée par mon père, je demande à Damien s’il veut visiter la partie des familles de l’aile pour adultes. Il comprend un peu et on partit en laissant Léa seule, sûrement un peu frustrée. Damien trouve l’aile des adultes mieux que celles des enfants, néanmoins, il n’a pas encore vu celles des adultes sans familles, mais à ce que je comprends des dires de Damien : rien n’est pire que l’aile des enfants lorsque l’on y vit. Être une enfant des familles n’est pas mieux ! On est encore en plein questionnement sur les images que l’on a vues, il reste un peu dans ma salle avant de retourner dans les dortoirs.


Je reste seule une grosse partie de l’après-midi. J’écris un peu ce que j’ai vu ce matin et je couche sur le papier mes sentiments vis-à-vis de cela. Ma mère est la première à rentrer. Elle me taquine sur le fait que je me sois fait un ami garçon et me donne une seconde tenue à porter pour la cérémonie finale. Celle-là me correspond plus : une combinaison noire. Les manches s’arrêtent aux coudes et le bas continu jusqu’aux chevilles. Je vais me changer dans la salle de bain et enfile des baskets noires aussi. Enfin quelque chose qui me correspond ! Ma mère prend une douche, elle fait cela quand elle est fatiguée. Une grossesse doit être épuisante justement. La porte s’ouvre. Je m’attends à voir mon père mais c’est ma sœur qui entre. Elle porte une robe moutarde qui ne moule pas son ventre et des sandales dorées.

— Elle te va bien cet habit, je suis jalouse !

Je secoue la tête en souriant. Cela ne va pas bien dans la tête de ma sœur d’être jalouse de moi. Je n’ai absolument rien à mon avantage dans ce corps. Je m’assieds sur mon lit et Léa m’accompagne.

— Dire que ses deux lits ne serviront plus après ce soir, constate mon aînée en soupirant. Cela va donner un sacré coup au parent. Cela ne nous rajeunit pas.

C’est bien le but de la vie de vieillir… ma mère sort de la salle de bain toute pompette et refait le lit conjugal qui n’était pas ajusté. Elle s’y allonge et Léa se rapproche pour s’assurer qu’elle ne s’endorme pas comme elle peut le faire souvent. Elles ne me parlent pas de ce que mon père ait pu leur dire sur moi.

— Ton père est déjà prêt, annonce ma mère en massant souvent ventre. Il a son rendez-vous mensuel donc il a dû enfiler ses vêtements pour ce soir avant d’y aller. Il va passer pour nous chercher.

Elle a raison. Un quart d’heure plus tard, mon père surgit, sans aucune trace de sang et je suis la seule à rester assise alors que ma sœur et ma mère se lèvent pour partir. Mon père sait très bien que je veux des réponses, et il a intérêt à m’en donner. Je serais bien capable de ne pas me montrer à la cérémonie.

— Écoute Constance, j’ai fait cela pour ton bien, assure mon père en s’approchant un peu plus de moi.

— Pour mon bien ? murmuré-je. Tu m’as droguée à mon insu pour mon bien… bah voyons, qu’est-ce que l’on n’entend pas !

— Je l’ai fait pour t’assurer un avenir, affirme mon père en s’approchant un peu plus. Je ne sais pas jusqu’où ton caractère peut aller, mais j’ai eu peur des représailles.

— Mon caractère ?

— Tu n’as jamais eu de problèmes de colère Constance, souflle mon père. C’est cette explication que chaque scientifique donne aux personnes qui n’ont pas le caractère convenu pour notre système. Il faut que tu apprennes à t’écraser et à ne rien dire. Il n’y a que comme cela que tu pourras t’en sortir.

— Qu’est-ce que tu me racontes…

— Constance, écoute-moi bien, il y a des choses que personnes ne sait sur moi que tu ne soupçonnerais même pas, alors crois-moi lorsque je te dis, qu’il faut bien que tu sois plus coopérante.

Ma mère aussi est surprise. Je fronce les sourcils et ne pose pas plus de questions. Mon père cache donc des choses à tout le monde… génial ! Dans quoi était-il tombé plus jeune ? Il commence à me faire peur avec toutes ses recommandations. Qu’avait-il vécu pour dire tout cela ? Il ne me laisse pas le choix et me prend par le bras pour me faire avancer hors de la salle. La cérémonie finale commence désormais.

Je sens une boule de stress dans ma gorge et j’admets être angoissée… de toute manière, à part ceux qui ne passent pas les tests, qui ne peut pas angoisser ? Il y a encore du monde et j’en ai marre. Mon père insiste pour que je m’asseye à ses côtés avec maman et Léa. Je fais un léger signe de la main à Damien et il me sourit en me le retournant. Maman me pose des questions sur lui mais je ne suis même pas capable de lui répondre, je ne le connais pas depuis très longtemps.

C’est encore Henry qui se colle au discours. Pour une fois, tout est silencieux dans la salle pour une fois, mais c’est souvent comme cela.

Ma mère pousse un cri et je me retourne vers elle alors que je me fais brusquement emporter vers l’arrière et que je sens une douleur dans mon cou.

Tout devient flou, et le noir.

Plus rien.

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