27.3 - Le passé de Luna Kelly

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— C’est plus compliqué que ça… En fait, vers la fin de mes quatorze ans, j’étais devenue assez forte pour me défendre contre cette femme, j’avais même appris plusieurs sortilèges qui me permettraient de m’échapper un jour de cet endroit pourri. Finalement, un beau matin, elle est partie vendre les potions que j’avais préparées pour elle… C’est là que j’en ai profité pour détruire mes chaînes et prendre la fuite du cabanon que je n’avais jamais quitté jusque-là. Mes nouvelles connaissances étaient suffisantes pour me permettre de me défendre dans les bois, mais non pour rejoindre la société humaine. J’étais capable de canaliser le mana dans mon organisme et d’en faire des boules de feu ou bien de créer des bourrasques en claquant des doigts, mais j’ignorai toute la direction à prendre pour me rendre au prochain village. J’ai donc couru aussi longtemps que mes jambes ont pu me le permettre.

Elle prit une autre gorgée de la gourde avant de continuer.

— Je me rappelle avoir trouvé des arbres de fruits sauvages comestibles dont je me suis nourri durant ma fuite, expliqua-t-elle. J’ai fini par sortir de la forêt, mais j’ai sombré dans l’inconscience due à mon épuisement. À mon réveil, les aubergistes de Kritz m’avaient trouvée et soignée. J’étais recouverte de chardons et d’égratignures, d’après eux. Je me souviens m’être débattue avec des musaraignes sauvages qui tentaient de défendre leurs arbustes de fruits… Ils n’avaient pas pu m’abattre, mais avaient été quand même assez nombreux. Ils m’avaient mordue et égratignée. J’étais trop près de leur territoire, je crois.

Elle soupira et secoua sa tête.

— Bref, ça n’a pas d’importance, ajouta-t-elle. Les aubergistes ne m’ont jamais posée de question sur mes cicatrices, ni sur mes origines. Ils avaient compris que j’étais une enfant battue et abandonnée qui avait besoin d’un endroit où loger, manger et dormir. Ils ont fait de moi leur protégée jusqu’au jour où j’ai décidé de partir pour la capitale avec mon nouveau tuteur, Nash. Celui-ci ne m’a jamais traitée comme une esclave mais comme une amie et une adolescente normale. Je ne lui ai jamais révélé cette histoire, de crainte qu’il me voie d’une autre manière… Personne n’a encore eu la chance de voir mes vieilles blessures, à part les aubergistes et vous. Je leur ai fait promettre de ne jamais en parler à qui que ce soit.

Ellen secoua la tête, abasourdie. Elle recouvrit son visage puis se redressa rapidement.

— Neuf ans de servitude… dit-elle, choquée. Pour une sorcière avec qui nous avons travaillé à plusieurs reprises ! Si j’avais su, je n’aurai pas fait affaire avec elle… Plusieurs des potions qu’elle a vendues à mes hommes étaient probablement faites par vous… Oh l’horreur ! Nos clients se jetaient sur ces filtres comme des pains chauds… Mais ce n’est pas ça le plus important… Que dois-je faire pour vous aider, à part localiser cette femme, bien sûr ?

— Je veux simplement avoir la certitude qu’elle se trouve encore au cabanon. Je ne cherche pas à recruter personne pour la tuer, je souhaite m’en charger moi-même. Il est plus que temps de mettre fin à ce cauchemar.

— Je doute fort qu’il soit sage d’affronter cette sorcière seule, mais je comprends votre opinion. Vous avez besoin d’affronter vos démons…

— Je paierais les frais appropriés le moment venu, lorsque j’aurai des réponses. Je ne vous demande pas d’envoyer quelqu’un maintenant, peut-être dans les semaines à venir, lorsque la température se sera améliorée. D’ici ce printemps, peut-être que je retournerais dans les bois. Mais je vais avoir besoin de quelqu’un pour me tracer la direction à prendre pour me rendre à destination… C’est une situation très délicate.

— Dans ce cas, j’engagerais des personnes pour traquer cette femme. Peut-être un mage ou deux afin d’assurer leurs arrières.

— Ça fait mon affaire.

Luna tourna son regard vers ses cicatrices un moment, avant de soupirer. Après s’être confiée ainsi à Ellen, elle se sentait comme si elle s’était libérée d’un poids de ses épaules. Il était plus que temps pour elle de tourner la page. Pour cela, elle ne pouvait pas agir en tant que brigadière, mais en tant qu’ancienne esclave qui rendrait une ultime visite à son ancienne maîtresse. Il lui fallait l’éliminer.

Certes, tuer était illégal, mais il fallait pour Luna lâcher prise… Et la seule façon qu’elle y arriverait, serait de tuer Méduse.

— Votre vie jusqu’à présent a été un désastre et vous méritez de mettre fin à toutes vos misères, déclara Ellen. Plusieurs de mes clientes arrivent ici, défaites parce que leurs maris sont infidèles… Rares sont les personnes comme vous, qui venez nous rendre visite… avec de véritables blessures comme preuves. Si j’ai appris quelque chose avec mon expérience de cheffe de guilde, c’est qu’il ne faut jamais sous-estimer nos clients… et ceux qui ont le potentiel de l’être. Des fois, des gens arrivent ici avec de ces histoires incroyables… Mais je comprends parfaitement où vous voulez en venir avec tout ça. Cette femme devra payer de ses crimes.

Elle prit une grande inspiration avant de poursuivre :

— Je doute que les brigades puissent vraiment vous aider sur ce cas-là, car tout ce qu’elles sont autorisées à faire est d’emprisonner les criminels, à moins d’avoir l’autorisation du président. Vous avez besoin de la faire souffrir autrement… Comme vous le savez déjà, nous ne pouvons être engagés pour assassiner qui que ce soit, mais si jamais elle devait nous attaquer lors de nos recherches, nous n’hésiterons pas à recourir à la violence pour lui faire comprendre que nous ne sommes pas des faibles. S’il faut la tuer, alors qu’il en soit ainsi. Je vous promets qu’aussitôt que j’aurai des informations à son sujet, vous recevrez une lettre au palais présidentiel. Nous pourrons par la suite prendre un second rendez-vous. D’ici là, je vous suggère de vous préparer mentalement, car votre rencontre avec Méduse risque d’être brutale.

— Merci… Merci infiniment, Miss.

— Non… Merci à vous de rendre service à notre communauté, dit la dame qui raccompagna Luna à la porte de sortie. Que la déesse soit avec vous.

Luna remit son manteau, puis sortit de la grande pièce. Ellen retourna s’asseoir et se souvint des nombreuses cicatrices qu’elle avait vues dans le dos de l’enfant. Le sang lui bouillait toujours dans les veines. Elle était à la fois furieuse d’avoir fait confiance à Méduse et dégoûtée de ne pas avoir pu aider Luna davantage. Son cœur lui disait que si ça avait été sa propre fille, qu’on l’aurait enlevée et qu’on l’aurait torturé ainsi pendant des années, elle ne se serait jamais pardonnée et serait devenue aussi violente qu’une tempête, aussi brutale qu’une harpie et aussi vive que l’éclair. Elle aurait tué pour défendre ses petits, comme une lionne.

Heureusement pour la cheffe de guilde, elle n’était pas encore une mère, sinon elle serait davantage bouleversée par cette histoire. Par contre, elle ne pouvait pas s’empêcher de repenser au visage de Luna alors qu’elle lui avait tout raconté dans les moindres détails… Elle n’avait pas dans son regard de la peur, seulement de la colère, du désespoir à l’état pur. Comment pouvait-on ruiner une vie comme ça, sans en avoir honte ? Plus elle y pensait, plus elle avait envie de défigurer la vieille dame. Elle devait se ressaisir, toutefois.

Résolue à trouver les informations pour la magicienne, elle décida de s’habiller chaudement et choisit un grand manteau rembourré avant de sortir du bâtiment. Elle connaissait quelques traqueurs dans la ville et savait qu’ils sauraient l’aider pour cette requête personnelle. Luna méritait d’avoir des réponses.

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