Chapitre 10 - UNE FAMILLE

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Les hordes rocheuses du bastion de l’Algripe évoquaient une forteresse imprenable. La façade étroite des corniches supérieures et ses sombres excavations menaçaient la caravane à tout instant. La pierre était plus ancienne encore que le premier des Démons ayant respiré l’air empoisonné des Lymbez. Une pierre dentelée et poreuse, friable et traîtresse, qui plonge sans coup férir sur les rares voyageurs se hâtant de traverser son paysage de brume mauve – saumâtre – et de sapins endoloris par le gel déchirant tout.

Trois nouvelles Lunes de marche. Une éternité sans horizon.

La dernière Subsculia à se mettre sous le croc venait de crever dans une crevasse où un ver d’Azrael l’avait dévorée toute crue.

Les plus fidèles subordonnés du Seigneur Phegnor menaient désormais la Grande Chasse sur les sommets escarpés de la bride de Fayen, le versant le plus pentu, à la frontière du pays de Sinsifrio. Cette région était réputée pour accueillir une foisonnée d’âmes de qualité. Une sorte de tombeau des gracieux – un petit Turmantern – un refuge naturel pour les âmes égarées qui espéraient les sentiers secrets vers le Paradis ou le Valhalla, dans les entrailles de la terre des Lymbez.

La Grande Chasse était une institution respectée.

Les Chasseurs Démons interceptaient les fantômes avant leur repos éternel. C’était là leur métier. Et la chasse avait été bonne.

Sous la lumière blafarde de la 17ème Lune, sous le silence imposant de la nuit, le Seigneur Phegnor admirait ses prises se déverser dans le carrosse en acier noir éthérique de l’expédition. Un mélange de bonheur et d’avidité se dépeignait dans son regard austère.

Il fallait néanmoins rentrer au plus tôt à Azalust car le froid et l’abstinence commençaient à éroder les corps et échauffer les esprits. En outre, pour calmer ses Chasseurs et apaiser leurs tourments, Lord Phegnor décida qu’on accoucherait d’une Subsculia pour la route du retour.

Oh, pas besoin d’une femelle exceptionnelle, juste des formes descentes, des lèvres suffisamment endurantes pour maintenir en vie une quarantaine de Démons.

On convenait d’un partage équitable, d’une rotation avisée de la Subsculia. Pas de morsures, ni de coups de poings : il fallait qu’elle dure, que chacun en prenne soin.

Phegnor en aurait la primeur, évidemment, puis c’est le grade qui déterminerait la position dans la file d’attente.

On ne la tuerait pas.

On la jetterait après dans les douves du palais.

Ce monde était abject.

Le monde des Lymbez.

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